Pendant deux jours, je parcours le Nord du Burkina Faso comme un dégradé de couleurs, d’une savane ocre encore sèche à une campagne verdoyante déjà bien arrosée. Ainsi, Je laisse derrière moi le Sahel et me rapproche des forêts de l’Afrique équatoriale. « Le pays des hommes intègres » est peuplé de seize millions d’habitants, repartis en une soixantaine d’ethnies aux coutumes plus ou moins préservées. Bien entendu, la plupart sont démunis et pratiquent l’agriculture vivrière. Pourtant, certains économistes classent la nation « en voie de développement », notamment grâce aux réformes capitalistes du président Compaoré. Successeur du célèbre révolutionnaire Sankara, il dirige, depuis vingt-quatre ans, un état réputé pour sa stabilité. Mais voici à peine quelques mois, de graves troubles sociaux ont fragilisé sa position. Profitant du désordre, des militaires enragés se sont rendus coupables d’actes dramatiques, mais aujourd’hui, le calme est revenu et la vie continue.
J’atteins ensuite Banfora, centre névralgique de la plus belle région du Burkina. Lassé de l’agitation de la ville, je ne reste ici que le temps de louer une de ces motos chinoises. Je prends vite la mesure de l’engin, et filer seul sur une belle piste, dans un tel décor, est pour moi une sensation grisante. L’altitude, pourtant faible, modifie radicalement le climat. Le paysage, sublime, est vallonné et la végétation exubérante. La nature est ici très généreuse, et je croise de petits villages de cases bâtis au milieu de grands champs de céréales, de rizières, ou de jardins maraîchers. Grâce à l’autonomie que me procure la moto, je me suis concocté un programme chargé. Je vais d’abord jusqu’au fin-fond du pays, explorer les fascinants Pics de Sindou, étranges formations rocheuses sculptées par le temps, puis je conduis encore jusqu’à quelque hameau reculé où les enfants médusés arrêtent de labourer pour me dévisager ou me courir après. Après une nuit sous tente écourtée par le chant du coq, qui perd dans l’affaire quelques plumes, je remonte en selle et fonce de bon matin jusqu’au lac de Tengréla et ses hippopotames, sacrés bien sûr. En pirogue, un pêcheur me rapproche à moins de dix mètres des énormes bestioles qui barbotent en famille. Puis à travers d’immenses champs de maïs et de cannes à sucre, je me rends aux Dômes de Fabédougou, curiosité géologique unique, puisqu’une petite montagne est surmontée d’une multitude de dômes de roche noire. J’escalade l’ensemble en deux heures, sous un soleil de plomb, ce qui amplifie le plaisir de la baignade dans les eaux fraîches de la cascade de Karfiguéla. Incroyable, c’est dans un grand bus flambant neuf que je retourne à Bobo : la climatisation marche à fond et les sièges sont encore emballés ! Et puisque le sinistre consul du Ghana m’a refusé le visa de son pays pourtant tout proche, il me faut traverser tout le Faso d’Ouest en Est pour atteindre le Togo. Je fais donc une halte à Ouaga où je ne manque pas d’embrasser Mamou et toute sa famille. Le soir, elle et moi retournons un long moment dans le même maquis que le jour de notre rencontre, devant la même bière, où nous passons une excellente soirée. La boucle est bouclée, il est temps de poursuivre ma route.