Le sable et le feu




Je découvre l'hospitalité tunisienne avant même de poser le pied dans le pays. A l'aéroport du Caire, en salle d'embarquement, de jeunes gens turbulents mettent un peu d'ambiance. Presque aussitôt après avoir engagé la conversation, l'un d'eux me propose de passer la nuit chez lui. Mondher, qui vient de travailler quelques semaines en Egypte, habite une belle maison avec ses parents, sa soeur et son frère, au Kram, un quartier paisible de la banlieue Nord de Tunis. Je reste trois jours avec eux, le temps de fraterniser, de déguster quelques délicieux plats traditionnels préparés par la maman, et, bien sûr, de parcourir la ville et ses alentours.

Après le chaos du Caire, la capitale de la Tunisie me semble n'être qu'un village. Héritière de Carthage, Tunis ne recèle plus rien de l'antique cité fondée par les phéniciens au IXe siècle avant J.C. Jaloux de sa splendeur, les romains la détruisent au IIe siècle avant J.C. Ce sont les vestiges de la ville rebâtie par Jules César que l'on trouve éparpillés dans les quartiers chics de la banlieue Nord.
Après la domination des Vandales, puis des Byzantins, les arabes s'emparent de ses terres fertiles en 698, et y développent leur culture.











Le village mauresque de Sidi Bou Saïd, posé sur une colline comme un balcon sur la mer, en est une superbe illustration. De même, la médina, au coeur de la ville, a conservé son atmosphère médiévale, entre souks bondés et dédale de ruelles tranquilles. Le jeu des volumes est accentué par la blancheur éclatante des murs, tandis que les portes, fenêtres ou moucharabiehs, proposent toute la gamme des bleus : ciel, azur, électrique, marine...









Quant aux ottomans, après trois siècles d'occupation, ils finissent par ruiner le pays et le céder à la France. Ses architectes, inspirés par le baron Haussman, construisent, sur d'anciens marais, de nouveaux quartiers. Ils composent aujourd'hui le centre-ville. De remarquables bâtiments Empire, là encore blancs ornés de bleus, longent de larges avenues bordées d'arbres. Les citadins devisent joyeusement à la terrasse des cafés, buvant le thé et fumant la chicha.
Mais l'histoire s'écrit aussi au présent, et j'en suis involontairement le témoin. Depuis quelques semaines, des troubles secouent certaines villes du centre de pays, pauvre et rural. Les manifestants évoquent le chômage, la vie chère, la censure, la corruption, et les profits indécents du président Ben Ali et de sa belle famille, qui dominent les principaux secteurs de l'économie. Mon nouvel ami m'aide à comprendre les difficultés du peuple tunisien. Mondher, outre sa générosité et son esprit fin et ouvert, est cultivé. Diplômé en électronique, il parle également quatre langues, mais ses chances de trouver un emploi sont nuls. Sans aucune aide sociale, et donc sans le sou, il est obligé de demeurer chez ses parents, et en conséquence dans l'impossibilité de se marier. Sans avenir, son cas est semblable à celui de de nombreux tunisiens. Et encore, son père, cadre aujourd'hui en retraite, bénéficie d'une belle situation.
Tandis que je passe une journée et une nuit chez Khouloud, jeune caméraman et étudiante en audiovisuel, dans le centre de Tunis, une première manifestation d'envergure se déroule à cent mètres à peine de l'appartement. Des dizaines de personnes sont arrêtées, et vu la politique autoritaire en place, ils pourraient ne ressortir que dans de longues années.
C'est dans ce climat houleux que je pars, via un bus, à Tozeur, oasis au Sud-Ouest du Pays. Mon objectif est de revenir vers la capitale en effectuant quelques haltes dans des endroits que j'estime intéressant. Lorsque j'y arrive, même si la tension est palpable, il y règne encore un calme relatif. Tozeur est une une petite ville aux portes du désert, entourée d'une vaste palmeraie. Important centre culturel et commercial au Moyen-Age, elle a conservé une magnifique médina. Ici, point de blanc, les bâtisses sont construites en briques d'argile couleur sable, laissant apparaître des motifs géométriques en relief. Le labyrinthe de ses ruelles, dominé par la Grande Mosquée et son minaret hexagonal, débouche sur quelques très belles demeures. Je me rends ensuite à Nefta, ville la plus à l'Ouest de la Tunisie. De là, je pars en solitaire pour une promenade fantastique. Je traverse d'abord, pendant une heure, une palmeraie luxuriante, qui s'interrompt brutalement pour laisser place au désert. Très vite, les quelques buissons épineux et cactus se raréfient pour disparaître totalement. Après encore une heure, me voilà en plein Sahara. L'impression de solitude absolue, au milieu d'un silence mystique, est fascinante.














De retour à Tozeur, un conducteur de calèche, Monouer, me propose de passer la nuit dans le désert, sous la tente de nomades. Encore envoûté par ma ballade, je saisi l'occasion. Après un long chemin agité, nous atteignons le campement en fin journée. Le mode de vie de ces gens n'a guère changé depuis des siècles. les murs de la hutte sont constitués de feuilles de palmes, et au centre trône la tente, qui sert de chambre à coucher. A proximité, l'étable contient un beau cheval noir, quelques oies, poules, et agneaux. Je contemple longuement le coucher du soleil, puis, à la tombée de la nuit, Mohamed arrive avec son troupeau de moutons. Puisque la température chute brusquement, nous nous réfugions à l'intérieur, auprès du feu. Mabrouka prépare le couscous, tandis que j'essaie de comprendre ces messieurs qui discutent des événements autour d'un thé. Affamé, je dévore le savoureux diner, puis, comme je n'ai que peu dormi la nuit dernière, bercé par les palabres en arabes, je m'écroule de très bonne heure, enfoui sous des kilos de couvertures.
Après un copieux petit déjeuner de galettes préparées sous mes yeux, je quitte mes hôtes, encore mal réveillé, comme dans un songe. Mais le retour dans la petite ville est brutal. Perplexe, je constate les stigmates de violentes émeutes. Pendant que je passais la nuit en toute quiétude, les habitants mettaient la ville à sac. Les banques sont détruites, de nombreuses vitrines brisées, les magasins pillés, les bâtiments officiels brûlés. Sur la route, des carcasses de voitures sont encore fumantes, tandis que la gare routière est dévastée. Je saute pourtant dans un bus en direction de Kairouan, la ville sainte. Mais une centaine de kilomètres plus loin, comme des barrages nous empêchent de continuer, le chauffeur fait demi-tour. De retour à Tozeur, je tombe en pleine insurrection. Déconcerté, j'erre un moment au milieu de la population. Les gens ne me sont pas hostiles ; au contraire, de nombreuses personnes plaisantent avec moi ou me proposent de l'aide. J'arrive à un important carrefour : la foule est très dense, et, quelques mètres plus loin, un feu immense barre la route. Je décide de repartir dans l'autre sens quand des coups de feu retentissent ; tout le monde se met à courir, et, par instinct, je fais de même. Mais les policiers ne chargent pas, et je sais que tant que je ne les vois pas, je suis à l'abri des balles. J'apprends plus tard que quelques victimes sont à déplorer. Je fini par trouver refuge chez une française de cinquante ans et un tunisien, vingt ans de moins, qui ont loué une maison à l'écart du centre. Je reste deux jours avec eux, puisque le lendemain, mon bus, encore, rebrousse chemin. Ces deux-là m'offre une hospitalité précieuse, mais leur compagnie m'est pénible. Madame à la certitude des gens stupides, elle mélange tout, et ne pense qu'à son confort. Quand à monsieur, c'est le seul tunisien que je rencontre à encore soutenir le président assassin...
Evidemment, j'abandonne l'idée d'explorer le centre du pays, et j'espère, de Tunis, attraper un avion pour le Maroc ; hors de question de passer par l'Algérie, en proie à des événements encore plus violents.
Au troisième essai, enfin, mon bus atteint Ben Arous, dans la banlieue Sud de Tunis, Mais aujourd'hui, dans la capitale, c'est la révolution. Le discours d'apaisement de Ben Ali n'a pas suffit à calmer le peuple. Réfugié dans un commerce, je découvre, à la télévision, que les artères principales sont envahies de milliers de manifestants, et que la police tire dans le tas. Je finis par rejoindre, en taxi, Mondher et sa famille. Sur la route, j'observe, de loin, de hautes colonnes de fumées qui noircissent le ciel de la métropole. Ce jour est historique : Ben Ali, après vingt-trois ans de dictature, est en fuite. Mais quelques bandits, ainsi que des milices à la solde du président déchu, profitent de l'incertitude pour terroriser la population. C'est dans ce climat que je m'enfuis vers l'aéroport. Après vingt-quatre heures sur place, entre attente, espoir et déception, j'abandonne et retourne chez les Ben Khalfallah, si accueillants. Avec Mondher, je fais le tour du quartier, où la population assure sa propre sécurité. A chaque carrefour, des barrages de fortune stoppent les voitures. Les habitants, de dix à soixante ans, stoppent et fouillent chaque voiture. Ils sont armés de pierres, de bâtons, de barres de fer, de couteaux, de hachoirs ; j'ai même aperçu une épée !
Comme les tunisiens contrôlent leurs quartiers, et que l'armée accule les derniers policiers qui soutiennent encore Ben Ali, j'ose espérer que les violences vont décliner dans les prochains jours. Bien entendu, le processus vers la démocratie sera long et difficile. Mais voilà une semaine, je suis entré dans une dictature, et je vais bientôt quitter un pays libre.

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Bien content d'avoir des news, vu le contexte je commençai à m'inquiéter. En tout cas félicitation pour le timing, tu te retrouves au cœur du cyclone, et ton histoire embrasse l'Histoire.
Soit gentils, reste prudent!

Clarisse a dit…

tonton Jérôme,

je t'aime

Clarisse

Brice a dit…

Nous aussi on est bien content d'avoir des news, d'autant que te connaissant bien, j'étais sur que tu allais te retrouver au milieu des manifestations, volontairement ou pas.

Reste planqué encore un peu et choisi bien ton moment pour t'envoler, petit scarabée.

Olivia a dit…

bon ben moi aussi j'avoue... j'étais quand même très inquiète de ne pas te lire... j'espère que le maroc sera plus paisible : )
Pleins de bisous

Anonyme a dit…

Tout pareil Jay, check tes e-mails pour le reste. Prends soin de toi,
bisous, ade

Xav a dit…

Mais t'as pas fini de foutre le bordel partout où tu passes. C'est bien cette histoire de tour du monde, même sans que tu retournes tout comme ça dès que tu déboules. J'ai entendu dire qu'au Maroc on trouvait facilement de quoi se détendre... A+mon pt'it vioux

Anonyme a dit…

Depuis ton dernier mail, plus de news sur le blog...Je commençais à être un peu inquiète j'avoue!
Contente de voir que tu vas bien, et puisses-tu avoir raison pour le pays libre...!
Gros bisous
Flo

ton pote mondher a dit…

aors mon ami comment ca se passe fait gaffe a toi ya sahbi et n'oubli pa que j t'attend toujours pour deguster a l'enorme couscous avec du poisson que va nous faire mama aya bonne chance ps on a pas de chance elle ete une brouteuse LOOOOOOL

albin a dit…

salut mon ami Jay, c Albin, je vois que tu fais un magnifique voyage et que tu t'amuses bien dans ces lointaines contrées pleines de gens cool.... profites bien et n'hésites pas à donner des niouzes.
Albin

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