Dakar, cité métisse


Contrairement à mes précédentes aventures, mon séjour prolongé dans la capitale sénégalaise me permet d'étudier attentivement ses diverses caractéristiques, ainsi que de m'intégrer, un peu, à sa population cosmopolite. Aussi, je la parcours en tous sens, en bus ou taxi déglingués, et, bien sûr, à pied, le plus souvent en compagnie de ce cher Eddy.


Dakar, qui est ma porte d'entrée de l'Afrique Noire, est l'une des principales capitales politiques, économiques et culturelles d'Afrique de l'Ouest. Fondée par les colons français à la fin du XIXe siècle, elle subit depuis un développement exponentiel. Aujourd'hui, l'agglomération déborde largement la presqu'île du Cap-Vert et comprend de trois à quatre millions d'habitants, alors que la population du pays est estimée à quatorze. La presqu'île, formation volcanique, forme un triangle d'environ quinze kilomètres sur dix. Partout, des chantiers occupent les derniers mètres carrés disponibles.

On y trouve des équipements majeurs, tel que l'immense port, au Sud-Est, qui voit débarquer chaque jour des milliers de conteneurs, ou l'aéroport international, au Nord-Ouest, au beau milieu de quartiers d'habitation. Le long des côtes, les dernières plages publiques sont encadrées de complexes hôteliers fastueux ou de villas splendides, qui tranchent avec les ports de pêche à la pirogue ou les lieux sacrés préservés.


Le centre-ville, à la pointe Sud, avec ses rues commerçantes et arborées, est évidemment d'inspiration européenne, le pays n'ayant obtenu son indépendance qu'en 1960. Relativement propre et moderne, il est dominé par quelques hauts buildings et abrite les administrations, tel que le Palais présidentiel, l'Assemblée et autres ministères. A proximité, la médina, qui n'a rien à voir avec les cités médiévales arabes ; c'est un quartier populaire vétuste et dense, datant de l'époque coloniale.











En remontant vers le Nord, l'urbanisme est plus récent mais néanmoins souvent sommaire et anarchique. On découvre parfois, le long des grands axes, quelques belles maisons et de grands immeubles défraîchis. Sur les trottoirs, les marchands ambulants interpellent les passants, tandis que d'autres proposent toutes sortes de marchandises sur des étals de fortunes. En quittant ces boulevards et en s'engageant plus profondément, les logements deviennent plus modestes et rapidement, la chaussée n'est plus que du sable. Dakar subit les conséquences d'une démographie galopante, associée à un fort exode rural. Des banlieues interminables s'étendent au Nord-Est, sur le continent. Ici des forêts de béton s'élevant au hasard sur le sable repoussent les limites de la brousse. Les toubabs (les blancs) ne s'aventurent pas jusque là : à mon passage, les enfants interpellent leur maman en me fixant avec de grands yeux ronds.


Les dakarois, comme le reste des sénégalais, sont très marqués par l'Islam, qui progresse considérablement face aux croyances ancestrales. D'ailleurs, les sérignes, ou marabouts, constituent un pouvoir politique puissant. Economique aussi, puisque les moins scrupuleux d'entre eux envoient des petits garçons pouilleux, dont ils sont censés assurer l'éducation, mendier dans les rues, tandis qu'ils affichent avec ostentation leurs richesses. Mais la religion est aussi pratiquée dans l'allégresse : les Baye Fall par exemple, entre mysticisme enjoué et philosophie rasta, peuvent chanter, en groupe, des louanges toute la nuit dans la rue. D'autres prient simplement sur une natte déroulée sur le trottoir, ou encore dans de petits enclos blancs au milieu de la circulation bruyante.


En outre, les étrangers constituent une minorité non négligeable de la population de la ville. Les européens et les libanais se partagent les affaires les plus lucratives, comme l'hôtellerie ou la restauration haut-de-gamme, les Chinois s'implantent fortement dans les faubourgs intermédiaires. Et de nombreux immigrés d'Afrique occidentale ou centrale, venant chercher ici la stabilité voire la paix, participent à l'extraordinaire mélange de la société dakaroise. Les Cap-verdiens, les Maures, les Maliens ou les Guinéens sont les plus représentés. Mais surtout, le peuple sénégalais est composé d'une multitude d'ethnies aux moeurs et coutumes diverses. Les Wolofs, dont la langue est parlée de tous, sont les plus nombreux et les plus influents. Les Lébous sont traditionnellement pêcheurs et les premiers occupants de la presqu'île. Les Sérères ont la réputation d'être d'excellents agriculteurs. Les Peuls, comme les Toucouleurs, sont nomades et surtout éleveurs. les Diolas sont originaires de Casamance et fervents chrétiens. Ils s'opposèrent farouchement aux Malinkés, eux-mêmes issus des Mandingues, répandus à travers toute l'Afrique de l'Ouest. On compte également quelques Bassaris, Bediks ou Diallonkés, et j'en passe. Mais aujourd'hui, dans la capitale, ces origines historiques se diluent rapidement dans le métissage ainsi que dans la culture occidentale dominante. Plus de la moitié des sénégalais ont moins de vingt ans, et la jeunesse citadine ne rêve que d'Europe et d'Amérique. On constate cet état de fait dans le langage : souvent polyglottes, les jeunes parlent un Wolof mâtiné de français et d'anglais. L'aspect vestimentaire s'uniformise aussi : le jean et le t-shirt supplantent largement le boubou et le pagne. L'apparence est ici primordiale et le budget consacré à l'habillement est généralement conséquent ; les dakarois, dans ce domaine, rivalisent avec les urbains des métropoles européennes. Les filles consomment des produits de beauté à profusion et changent de coiffure comme de chemise.


Pourtant, la plupart des habitants du pays sont pauvres et le chômage est endémique. Ici, point de protection sociale, c'est la solidarité familiale qui permet aux moins bien lotis de subsister. L'instauration d'un capitalisme effréné par le président Wade, en poste depuis 2000, permet à quelques uns d'amasser des fortunes, quand l'immense majorité éprouve les plus grandes difficultés à joindre les deux bouts. En simplifiant, j'ai pu constater que les prix, en constante augmentation, sont souvent deux à trois fois inférieurs à la France quand les bas salaires, pour ceux qui ont la chance d'avoir un emploi, sont plus de dix fois inférieurs. Cependant, lors de mes randonnées urbaines, j'ai été étonné de ne voir que peu de misère. Soit, quelques gamins mendient dans les rues ; et des paysans ont importé le mode de vie rural sur les trottoirs, logeant d'humbles bicoques à côté du troupeau de moutons ou de chèvres. Mais l'habitat de type bidonville, même s'il existe, reste exceptionnel. En fait, quand ils ne vivent pas en famille, les gens logent pour la plupart dans de simples chambres, les sanitaires et les cuisines étant collectives. Même si le sénégalais est fier, il accepte généralement son sort avec fatalité et détachement. Pourtant, lors de mon séjour, une manifestation considérable a réuni plusieurs dizaines de milliers de gens sur la place de l'Indépendance. Les mécontents ont exprimé leur colère quant à la vie chère et aux coupures de courant chroniques. Etrangement, durant les deux semaines qui ont suivi, les coupures ont cessé, avant de revenir progressivement.




Si j'ai pu m'infiltrer dans la fantastique mosaïque qu'est la société dakaroise, je le dois surtout à mon ami Eddy. mon vieux compagnon Yo parti, nous sommes vite devenus inséparables. Notre relation complice est basé sur l'échange ; habitant la ville depuis vingt-sept ans et parlant Wolof, il est pour moi un guide extrêmement précieux, tandis que mon goût pour l'exploration par la marche lui fait découvrir des endroits où il n'a jamais mis les pieds. Eddy Nkonga Bokakema Batumbe Ekenga, né à Kinshasa, au grand Congo voilà 33 ans, a une trajectoire pour le moins singulière. Son père fut diplomate dans plusieurs états d'Afrique ; mon ami a donc grandi dans le faste et reçu une éducation de haute qualité. Il connait peu son pays, mais possède une vision globale du continent. Il se considère, à juste titre, comme "un prototype du panafricanisme". Les méandres de la vie ont fortement contribué à sa grande ouverture d'esprit, puisqu'à la prise de pouvoir de Kabila père en 1997, à la suite du général Mobutu, les budgets consacrés à la diplomatie se sont volatilisés. Dès 20 ans, Eddy a donc dû composer avec une condition nettement plus humble. Il vit aujourd'hui dans un modeste appartement, dans une banlieue populaire à la périphérie de la ville. Il habite seul avec son père, dont il s'occupe avec le plus grand soin. Le vieil homme, malgré son grand âge, reste alerte et élégant. C'est un homme charmant, qui fait peu de cas de ses nobles origines, partageant son temps entre l'ambassade, où il transmet sa longue expérience, et les bars sombres de son quartier. Ce qui m'étonne le plus vis à vis d'Eddy, ce sont les nombreux points communs qui nous rapprochent, malgré nos cultures à priori si différentes. Outre nos caractères semblables, cela tient au fait que durant des années, il s'est imprégné de la culture de mon pays en travaillant, depuis Dakar, pour les sociétés de téléphonie française, vendant des milliers d'abonnements à mes compatriotes. Ainsi, outre le fait qu'il parle couramment quatre langues, il est capable de s'exprimer en français comme un ministre ou avec l'accent marseillais. La nuit, nous visitons régulièrement ses amis, issus de conditions diverses, alors que le jour, après nos longues pérégrinations, nous faisons parfois le marché afin de préparer le diner. Parmi ses moult talents, mon acolyte est fin cuisinier. Je l'assiste dans la préparation de savoureux plats : africains bien sûr.

5 commentaires:

Bricey a dit…

OH!

Un mois sans nouvelle, et même pas le récit d'une conquête féminine...

Jérome a dit…

eh frangin, les histoires que je raconte ici ne sont qu'une petite partie de mes aventures ! Et puis certaines choses relèvent des affaires strictement personnelles... Ne t'inquiète pas, j'en garde à te raconter.

Brice a dit…

Bon si c'est comme ça je vais finir par écrire mes propres aventures...

Anonyme a dit…

Nanga def Jay ?
Bisous, ade

Anonyme a dit…

salut Jay c'est Albin, il est magnifique ton voyage, je suis impatient de lire ton prochain récit
Albin

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