l'île oubliée



Mercredi 15 janvier 2014 – 1187e jour

Si j’ai choisi de passer par l’île d’Erromango, c’est parce qu’elle est situé entre Tanna, incontournable, et Efaté, siège de la capitale Port-Vila. C’est aussi parce qu’elle n’est cité par aucun guide touristique, ce qui promet une authenticité certaine. Complètement sauvage, avec ses 3000 habitants dispersés sur près de 1000 km2, elle est intégralement couverte de forêt vierge. A l’époque, dans ma roulotte de Calédonie, j’avais trouvé amusant d’atterrir d’un côté et de repartir de l’autre : puisqu’elle n’est traversée par aucune route, je savais que j’allais devoir m’en remettre à la bonté des autochtones pour la traverser à pied. Oui mais voilà, quand j’avais prévu une semaine pour le faire, le report de mon vol réduit mon séjour à seulement trois jours. Il va falloir la jouer serré.

Pour débuter de manière folklorique, j’atterris à Ipota, au Sud, sur une piste d’herbe à bord d’une espèce de minibus volant, un minuscule coucou de 8 places. Là, un homme répond à mes interrogations et m’organise la suite en quelques minutes : il me confie à l’un de ces amis et nous embarquons dans une barque motorisée, qui fait office de transport en commun, en direction de Cook’s Bay, sur la côte Est. Sur la plage de sable noir, je rencontre comme prévu Calisto, un vieil homme à la barbe blanche, cultivé  et francophone ; puis avec les autres passagers, nous atteignons un peu plus loin le village d’Ilvuc Alam, superbement accroché à une falaise surplombant l’océan. Assis sur une natte, tandis qu’on nous apporte le diner, nous bavardons toute la soirée sous les étoiles. Originaire d’une île minuscule au Sud de l’archipel, il a parcouru de nombreux endroits du Pacifique au cours de sa longue vie ; dont la Nouvelle-Calédonie ; il est sorti de sa paisible retraite en se portant volontaire pour venir enseigner le français ici. Sa grande expérience lui permet d’avoir de la distance sur la vie dans ce village tellement reculé, et son témoignage m’est très précieux. C’est aussi un sacré farceur et ses récits calédoniens me font beaucoup rire. Enfin, il m’installe dans une case inoccupée où je dors sur le plancher de bambou.


  



Une très longue marche m’attend aujourd’hui, puisque je dois traverser tout l’île pour rejoindre Dillon’s Bay, sur la côte Ouest. Heureusement les ados du village veulent m’accompagner. Personne n’a l’heure ici, ni moi non plus d’ailleurs, et le départ se fait attendre. Enfin, après avoir remis certaines de mes affaires à chacun d’entre eux pour alléger mon fardeau, nous nous mettons en route. Confiant, je m’en remets donc à cette joyeuse équipe : Agés de 12 à 16 ans, mes « jungle boys » ne sont guère éduqués, mais ils connaissent parfaitement la forêt, leur immense terrain de jeu. Machette à la main, ils vont pieds nus tandis que moi, plus civilisé, j’ai chaussé mes sandales. En remontant le cours de la rivière en pirogue d’abord, en marchant dans l’eau ou dans des marécages inextricables ensuite, ou en se frayant un chemin dans l’épaisse jungle, j’avance péniblement mais avec bonheur dans leurs pas. Puis après avoir gravi un sentier escarpé, le rythme devient meilleur alors que nous évoluons sur les crêtes, où la forêt est moins dense. Parfois, la vue se dégage, sublime, laissant apparaître le relief irrégulier d’un vert absolu, et au loin, très loin, cette montagne qu’il nous faut franchir.






Bernard, le cadet, c’est l’as du lance-pierre : au premier jet, il atteint une roussette perchée sur une branche en pleine tête. Léon, lui, tue d’un seul coup de bâton ce serpent qui a le malheur de passer devant nous. Je suis amusé quand Bernard attrape un phasme de 25 cm ; nettement moins quand Georgie me montre une araignée grande comme la main. Mais Henri, l’ainé, a conscience de la distance qu’il reste encore à parcourir et convainc ses camarades de limiter les pauses. Soudain, les quatre chiens plongent dans les fourrés en aboyant, immédiatement suivis par la moitié du groupe. En bas, ils tuent un cochon sauvage simplement en lui jetant leurs lames, et remontent avec la bête. C’est donc l’heure du déjeuner : en un rien de temps, ils la débitent et la font cuire sur des broches. Il ne reste plus qu’à dévorer les côtelettes accompagnées de maïs grillé. Désormais chargé d’un gros jambon et d’un petit porcelet, nous attaquons la descente, interminable. Plus loin encore, nous sillonnons une forêt sèche tandis que la nuit tombe. Mes camarades commencent vraiment à fatiguer ; moi aussi d’ailleurs, mais je n’en dis rien, je montre plutôt l’exemple en prenant la tête du peloton. C’est à la lueur de la pleine lune que nous atteignons finalement le village d’Unpogkor ; à mon avis, il nous a fallu le tour de la pendule pour l’atteindre. Je me remercie chaleureusement mes valeureux petits gars, qui trouvent refuge chez un de leur grand-père, tandis que, éreinté, je dégotte un lit dans une modeste guest-house.







Le lendemain matin, je découvre Dillon’s Bay, un endroit enchanteur. Le village occupe une étroite vallée, traversée par une rivière et encadrée de remparts verdoyants, et qui se termine dans l’océan. Encore fourbu par la course de la veille, je flâne dans les jardins ou sur la plage de galets, où j’approfondi mes leçons devant la tombe du révérend Williams. Quelques années avant sa mort en 1839, les premiers européens à venir ici furent les marchands du précieux bois de santal. Ceux-ci firent preuve de cruauté envers les autochtones, qui réservèrent en conséquence un accueil pour le moins hostile au missionnaire, qui fut tué avant d’être mangé. Le même sort attendait ses successeurs, ce qui semble-t-il explique le retard du développement de l’île. Un siècle et demi plus tard, toujours très peu d’étrangers viennent jusqu’ici, mais les gens sont désormais tous chrétiens, et surtout extrêmement accueillants.



Je fais aussi la connaissance d’un homme affable, avec qui je partage la chambre. John est un citadin de Port-Vila, ma prochaine destination. Il est venu pour affaire : sa société a tout récemment installé des antennes relais sur l’île et il vient vendre des téléphones portables. Lui aussi est en quelques sortes un missionnaire : avec ses arguments bien rôdés, il apporte les premiers signes de modernité sur Erromango.

1 commentaire:

Cara a dit…

Quelle aventure !

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