Jeudi 29 mai 2014 – 1321e jour
Alors que le temps a été magnifique tout au long de mon
séjour à Buenos Aires, il est tristement maussade en ce jour de reprise. En
voguant sur le eaux boueuses du Rio de la Plata, ce gigantesque estuaire qui
balafre le continent, ça me rappelle que l’automne est déjà bien entamé sous
ces latitudes, et que cette fois, je n’échapperai pas à l’hiver à mes trousses.
D’ici là, sur la rive Est, je débarque en Uruguay, 47e
nation de mes aventures. Ce petit pays de trois millions et demi d’habitants est
un peu le petit frère de l’Argentine, avec laquelle il est lié par sa culture, fortement
européenne, mais aussi par son économie. Fatalement, il a durement subi les
effets de la crise de son grand voisin, mais il s’en tire à meilleur compte,
grâce à sa forte tradition démocratique et à la solidité de son système
bancaire.
Le premier pôle touristique, Punta del Este, est une station
balnéaire luxueuse, bordée par de superbes plages. Mais les ghettos de riches
m’intéressent moyennement, et après les îles du Pacifique, il est hors de
question que je me baigne dans une mer à moins de 25 degrés. L’Atlantique
attendra.
D’ailleurs, peu importe la pluie, puisque je commence par un de ces endroits transpirant l’histoire que j’apprécie tant, Colonia de Sacramento ; d’autant que la bourgade est vraiment très calme après le tumulte de Buenos aires. Fondée dès 1680 les portugais, elle changea de main sept fois en alternance avec les espagnols, au gré des batailles et des traités. Si ce petit port entouré par les eaux est si charmant, c’est qu’il a su conserver son atmosphère d’antan. Ainsi, après avoir franchis le pont levis, je longe le fleuve dont la teinte sombre se distingue mal du gris du ciel, perché sur les fortifications vieilles de trois siècles. Puis j’arpente avec bonheur ses ruelles pavées toutes cabossées en contemplant les maisonnettes d’époques, en pierres ou en briques, qui affichent des couleurs usées du plus bel effet. Aussi, le système des musées, logés dans plusieurs modestes demeures, est très ludique : quoi de mieux en effet que de butiner de l’un à l’autre pour apprendre ses leçons, en découvrant les guerres ou la vie ordinaire, en examinant les costumes ou les faïences. Tout ça est passionnant, mais après un dernier tour sur le vieux port, il est l’heure de mettre les voiles.
D’ailleurs, peu importe la pluie, puisque je commence par un de ces endroits transpirant l’histoire que j’apprécie tant, Colonia de Sacramento ; d’autant que la bourgade est vraiment très calme après le tumulte de Buenos aires. Fondée dès 1680 les portugais, elle changea de main sept fois en alternance avec les espagnols, au gré des batailles et des traités. Si ce petit port entouré par les eaux est si charmant, c’est qu’il a su conserver son atmosphère d’antan. Ainsi, après avoir franchis le pont levis, je longe le fleuve dont la teinte sombre se distingue mal du gris du ciel, perché sur les fortifications vieilles de trois siècles. Puis j’arpente avec bonheur ses ruelles pavées toutes cabossées en contemplant les maisonnettes d’époques, en pierres ou en briques, qui affichent des couleurs usées du plus bel effet. Aussi, le système des musées, logés dans plusieurs modestes demeures, est très ludique : quoi de mieux en effet que de butiner de l’un à l’autre pour apprendre ses leçons, en découvrant les guerres ou la vie ordinaire, en examinant les costumes ou les faïences. Tout ça est passionnant, mais après un dernier tour sur le vieux port, il est l’heure de mettre les voiles.
J’arrive ensuite à Montevideo, elle aussi bâtie sur les
rives du Rio de la Plata, c’est une capitale relativement modeste qui abrite
tout de même la moitié de la population du pays. Sac sur le dos, je descends
d’abord un large boulevard bordé de grands arbres et de quelques belles villas,
traverse un parc agréable et fait une pause sur une ravissante plage déserte.
Je m’enfonce ensuite dans le centre-ville, nettement plus animé. Autour de moi,
je constate que les effets de la croissance ne sautent pas encore aux yeux.
Piétons et véhicules circulent devant de vieux bâtiments classiques tout gris
ou des immeubles plus grands et plus récents, quoiqu’ayant bien besoin d’un
ravalement. Je croise encore quelques jolies places arborées, agrémentées de
fontaines et de kiosques, avant d’aboutir sur la vaste Plaza Independencia, où
veille la statue équestre du général Artigas au milieu de hauts palmiers. Elle
aussi est entourée de building inégaux : l’élégance du Teatro Solis,
datant de 1850, est sabotée par un immense immeuble de bureaux très vilain,
mais l’édifice le plus remarquable reste le Palacio Salvio, singulière œuvre
art-déco, bâtie en 1930 et aujourd’hui encore point culminant de la ville.
Plus tard, je retrouve l’excellent Fredy, qui m’offre le gîte. Le contact est rapide est facile, sachant que ce garçon de 35 ans parle un bon anglais et arbore constamment un large sourire. Responsable d’une entreprise d’export qui lui verse un bon salaire, il est aussi un grand fan de rock. En tant que batteur, il se produit depuis des années dans une multitude de bars, avec autant de groupes différents. Logiquement, c’est un épicurien, fêtard, et coureur de jupons. C’est en en sirotant une bonne bouteille de vin que je lui raconte mes péripéties. Et comme le président, ce cher Pépé, vient juste de décréter la légalisation du cannabis, une première mondiale, je ne me prive pas de demander à mon camarade de m’en dégoter un brin pour célébrer cet évènement historique.
Les journées suivantes se décomposent en matinées paisibles et studieuses, seul dans l’appartement ; en après-midi de découverte, en battant le pavé ; tandis que les soirées, malgré les températures polaires inférieures à 10 degrés, se déroulent dans la joie et la bonne humeur en compagnie de mon nouvel ami.
En suivant mes plans, j’explore donc la vieille ville, postée sur une presqu’île. Le quartier, très concentré, est assez banal est plutôt délabré, mais on y trouve tout de même une longue rue piétonne, où des boutiques luxueuses se logent dans de belles bâtisses parfaitement restaurées. Derrière la Catedral, sur la charmante petite place Zabaleta, les gens sirotent le maté, une majorité se baladant constamment avec la gourde à la main et le thermos sous le bras ; quant à moi, je suis ravi de pouvoir apprécier mon pétard sans me cacher, avant de visiter un musée le sourire aux lèvres. Tout au bout, le port s’est développé de manière exponentielle, mais le Mercado del Puerto a conservé son cachet du 19e siècle : on vient y déjeuner en s’accoudant aux guinguettes, qui font griller des kilos de viandes savoureuses sur les barbecues. Puis je conclue immanquablement en flânant sur la rambla et ses larges promenades qui longent le fleuve immense.
Fredy a le sens de l’hospitalité. Avec quelques amis, il m’emmène assister à un match de foot dans le Stade du Centenaire, celui-là même où l’équipe nationale remporta la toute première coupe du monde en 1930. Et comme le club local gagne la partie à la dernière seconde, les gradins virent au délire. Une autre nuit, nous allons remuer devant un sensationnel concert de rock alternatif : dans une petite salle obscure, les groupes se succèdent avec brio. Et lorsque la pétillante Inès, rencontrée la veille, entre en scène, Fredy et moi l’accueillons bruyamment. Ce petit bout de femme souffle dans son saxophone avec une énergie stupéfiante. La nuit se prolonge comme il se doit, sur le trottoir, où nous enchainant les bières en devisant comme de vieux copains ; c’est étonnant mais je n’ai plus froid.
Et puis je m’en retourne à ma solitude de globe-trotter, accentuée par la faiblesse de mon espagnol. Je progresse, mais il y a encore du boulot. Quand je parviens, non sans mal, à poser une simple question, le plus souvent la réponse fuse : je n’y comprend rien, nada.
En traversant 300 km de champs à l’étage d’un bus très
confortable, je trouve quand même le chemin de Paysandu, petite bourgade
champêtre nichée sur les rives du Rio Uruguay. A l’office du tourisme, j’ai la
joie de rencontrer un jeune homme parlant français, et passionné d’histoire de
surcroît. Il me propose une visite guidée qui complète parfaitement mes leçons
sur la destinée de la nation. Néanmoins, le temps capricieux ne nous permet pas
de faire la balade en canoé prévue. Entre deux averses, je me contente donc de
longer ses berges et de parcourir cette ville vraiment très calme. C’est vite
fait, puisque au-delà de la rue principale et de ses commerces, il n’y a rien
d’autres que des quartiers résidentiels ordinaires. Même cette étrange manifestation
se déroule en silence.
Ensuite, en franchissant le Rio Uruguay pour quitter le pays
éponyme, et avant d’enjamber le Parana pour entrer au Paraguay, je sillonne
pendant une semaine la province enclavée de Misiones, en Argentine. Par ici,
les paysages sont très verdoyants, car avec la proximité du Tropique du
Capricorne et la présence de ces grands fleuves, le climat s’avère subtropical.
Aussi, je note la présence d’une importante population indigène, les guarani.
C’est dans cette contrée qu’au 17e siècle, les jésuites
fondèrent leurs premières missions. En respectant leurs mode de vie, les curés souhaitent
d’abord convertir les habitants de la forêt, et si ces derniers sont si réceptifs,
c’est qu’ils trouvent dans ses regroupements un refuge contre les esclavagistes
portugais venus du Brésil voisin. Les moines leurs firent construire des
cathédrales, leurs apprirent l’artisanat, l’agriculture ou les arts, dans
lesquels ils excellèrent. Ainsi, pendant plus de 150 ans, jusqu’à l’expulsion
de la confrérie, c’est une véritable civilisation autonome qui prospéra :
à son apogée, elle rassemblait plus 100 000 habitants dans une trentaines de
villages.
Aujourd’hui en ruine, San Ignacio Mini fut l’une des plus
importantes de ces missions. Je la devine d’abord de nuit, en assistant à un modeste
spectacle son et lumière, original et poétique. Au milieu des vieilles pierres,
des hologrammes projetés sur des rideaux de brume content la rencontre de deux cultures, puis leur
fusion, les batailles aussi. De jour, je me rend mieux compte des dimensions imposantes
du village, et de son organisation remarquable ; même si de l’église ou
des habitations, il ne reste plus que des murs écroulés, encore enfouis sous la
jungle il n’y a pas si longtemps.
Evidemment, je profite de la première éclaircie pour faire un tour dans la nature environnante. En trottant gaiement sur des chemins de terre rouge, je parcours de belles forêts, pas bien hautes mais très denses, je m’arrête devant une vue imprenable sur le Parana, et devant quelque cabane isolée, je ne manque pas de saluer les indigènes. Néanmoins, le soir venu, je suis bien content de me blottir contre la cheminée de mon auberge.
Puis, trépignant d’impatience, je me dirige vers l’un des sites
naturels les plus extraordinaires de la planète, les mythiques chutes d’Iguazu.
A Puerto Iguazu, petite cité entièrement tournée vers le tourisme et donc sans
grand intérêt, j’attends que la pluie cesse. Je dors dans un dortoir minable,
je déjeune à la cafétéria bon marché de la station de bus, où on paye la
nourriture au poids, et je rôde, les pieds mouillés, dans ce patelin qui s’est
développé de manière anarchique. J’y fait quand même deux balades
intéressantes. La première me voit suivre en surplomb la rivière Iguazu, qui
coule dans un lit profond bordé par une épaisse végétation, jusqu’à la
confluence avec le Parana. Comme l’indiquent les monuments de part et d’autre,
ce carrefour marque la frontière entre trois pays. Je me rends également dans
une réserve qui abrite une poignée de guarani. Au milieu d’un bout de forêt
dont ils sont les gardiens, ces gens vivent dans des conditions franchement précaires.
Des adultes en guenilles travaillent au champ tandis que les enfants cavalent
pieds nus dans la boue, devant de pauvres chaumières en bois.
Enfin, le dernier jour, le soleil perce les nuages. Je me
précipite dans le car au tarif prohibitif, comme l’entrée du site. Les affaires
sont prospères par ici, mais je ne m’attarde pas autour des restaurants ou des
boutiques de souvenirs, comme j’évite soigneusement la gare, sachant qu’un
petit train permet de se déplacer dans le parc. Tout l’intérêt de la marche,
c’est justement d’observer cet végétation luxuriante unique, constamment
humidifiée par les embruns. Je m’amuse un moment avec des coatis peu farouches,
des genres de ratons laveurs, mais déjà j’entends au loin un inquiétant grondement
sourd. Plus loin, un réseau d’escaliers et de plateformes permet de se rapprocher.
Le bruit devient assourdissant et soudain, les cataractes apparaissent. Le
spectacle est ahurissant : un volume d’eau inconcevable, six millions de
litre par seconde paraît-il, dégringolent de 100m de haut le long d’une courbe
de plus de 3 km ; c’est gigantesque. A mi-hauteur, une terrasse s’avance
au plus près de l’extrémité, et en trois secondes, le temps de me sentir
ridiculement petit devant une telle puissance, je me retrouve trempé. J’ai
encore du mal à y croire quand j’arpente la passerelle qui passe juste
au-dessus, puis après avoir contourné la rivière dans la jungle, où j’aperçois
ici un petit caïman à museau large ou là le fameux toucan, j’emprunte une nouvelle
passerelle longue d’un kilomètre, au-dessus des eaux encore calmes. De l’autre
côté, on domine la magistrale Gargantua del Diablo : le relief forme ici
un large fer à cheval englouti par un fracas monstrueux. Sidéré, je reste là un
très long moment, le temps nécessaire pour que mes neurones veuillent bien
admettre la réalité de cette force faramineuse.
2 commentaires:
La dernière photo est éblouissante... Par contre, j'avoue ne pas avoir eu le courage de tout lire ;)
Salut Joanna,
Vue ton assiduité ici, tu es pardonnée. Désolé pour les pavés, j'essaie pourtant de faire court...
Bien le bonjour à Brian et au petit, j'espère que tout le monde va bien.
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