NB : Les photos ne sont pas les miennes.
Quand je débarque à Madagascar, j'atteins déjà le trentième pays de mon formidable périple. Voilà cinq longs mois que je trace une ligne brisée sur la carte de l'Afrique de l'Est, à travers ses massifs, autour de ses lacs ou sur l'océan. Cette fois, la Réunion, mon prochain objectif, où je compte reprendre mon souffle, n'est plus très loin. Je choisi donc de parcourir tranquillement la moitié Nord de la Grande Ile, en restant le plus souvent seul, et jamais trop loin des sentiers battus ; un peu comme en vacances, si j'ose dire. Sur certains aspects, elle n'est déjà plus vraiment africaine ; sur d'autres, elle l'est encore terriblement.
D'ailleurs, les paysages
de Madagascar sont un condensé de ceux du continent, tout en offrant
un caractère des plus singuliers. S'étirant sur plus de mille cinq cents kilomètres entre
l'équateur et le tropique du Capricorne, elle est coupée du Nord au
Sud par une large chaîne montagneuse. Ces massifs, culminant à
moins de trois mille mètres, dessinent les hauts plateaux qui
occupent la majeure partie du territoire. Ces dimensions et ces
reliefs entraînent une grande variété de climats soumis à
l'influence de la mousson : équatorial à l'extrême Nord ou quasi
désertique à la pointe Sud. Du fait de ces conditions, mais aussi
de l'isolement de la Grande Ile au cours des temps géologiques, la
vie s'est développée ici de manière unique. Dans une
extraordinaire mosaïque de milieux naturels, et malgré une
régression rapide, la flore et la faune affichent un taux
d'endémisme supérieur à quatre vingt pour cent.
Curieusement, on sait que les premiers ancêtres du peuple malgache sont originaires de l'archipel indonésien, arrivés de si loin en canoës à balancier il y a plus de deux millénaires. Certains s'installent au bord de la mer et vivent de la pêche, d'autres pratiquent l'agriculture dans les terres. Mille ans plus tard, de longues vagues d'immigrés, du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Asie puis d'Europe provoquent un important brassage ethnique. Outre l'assimilation de différentes origines culturelles, cela implique des caractéristiques physiques particulièrement métissées, puisque les malgaches peuvent avoir les yeux plus ou moins bridés ; les cheveux frisés ou raides ; la peau claire, sombre ou cuivrée. Entre le 17e et le 18e siècle, les ethnies s'affirment et des royaumes émergents s'affrontent. Au début du 19e siècle, les Merinas, du centre du pays, assoient leur hégémonie et soumettent l'ensemble du pays à l'autorité d'Antananarivo. En 1885, la France s'attribue Madagascar lors de la conférence de Berlin. Après de brèves négociations, elle conquiert le Royaume presque sans combattre ; au premier coup de canon, la reine Ranavalona III fait hisser le drapeau blanc sur son palais. Le gouverneur, le général Gallieni, combat la rébellion et colonise, instaurant une administration, un système éducatif, et la planification de l'économie. Les affaires deviennent vite florissantes, mais la résistance ne faiblit pas, elle s'intensifie même jusqu'à l'insurrection de 1947, réprimée dans le sang. En un demi-siècle, les militaires français ont tué au moins cent mille malgaches, probablement beaucoup plus. Depuis l'indépendance, l'apprentissage de la république est douloureux. Les présidents se succèdent : le premier protège les intérêts des français, l'un de ses successeurs est assassiné après une semaine en poste, un autre encore impose un régime socialiste. Pendant des décennies, le patrimoine colonial se dégrade, tant au niveau des infrastructures que du tissu économique. Dans les années 90, l'instabilité politique et la corruption ne permettent pas au libéralisme nouvellement prôné de tenir ses promesses de croissance à long terme. Le peuple se lasse de voir la classe dirigeante s'enrichir encore alors que le niveau de vie ne cesse de se dégrader. En 2009, à la suite de violentes émeutes, le maire de la capitale, un ancien DJ de trente-six ans, contraint le président cupide à la démission grâce au soutien de l'armée. Il s'empare du pouvoir pour une période transitoire à l'issue encore aujourd'hui incertaine. On attend encore les élections prévues en 2010 ; plusieurs groupes d'influence s'opposent, la situation s'enlise.
Pendant ce temps, l'immense majorité des malgaches continue de s'enfoncer dans la misère. Beaucoup vivent encore de pêche ou d'agriculture vivrière, sans eau ni électricité, dans de petits bungalows végétaux ou de modestes maisons de terre. Et alors que la richesse du sous-sol est exploitée par des sociétés étrangères, l'économie parallèle fait vivre un bon tiers de la population. Largement ruraux et sous-éduqués en général, les gens perpétuent des traditions séculaires, tandis que les religions exercent une forte influence. La moitié de la population est chrétienne, catholique ou protestante, mais la religion traditionnelle, basée sur les liens avec les morts, est encore très répandue. Localement, des minorités de musulmans et d'hindous sont également présentes. Mais c'est surtout socialement que les problèmes sont les plus graves : la présence de l'Etat, et donc son autorité, déclinent, les grèves et les manifestations se multiplient, les équipements se détériorent, et l'appauvrissement général empire.
Je n'ai finalement que des contacts superficiels avec les malgaches, qui montrent souvent de la retenue ; à cause d'un certain complexe vis-à-vis des blancs et de la dureté de leur vie, me semble-t-il. Mais cela ne les empêche pourtant pas de faire preuve d'une grande gentillesse et d'une belle joie de vivre.
Curieusement, on sait que les premiers ancêtres du peuple malgache sont originaires de l'archipel indonésien, arrivés de si loin en canoës à balancier il y a plus de deux millénaires. Certains s'installent au bord de la mer et vivent de la pêche, d'autres pratiquent l'agriculture dans les terres. Mille ans plus tard, de longues vagues d'immigrés, du Moyen-Orient, d'Afrique, d'Asie puis d'Europe provoquent un important brassage ethnique. Outre l'assimilation de différentes origines culturelles, cela implique des caractéristiques physiques particulièrement métissées, puisque les malgaches peuvent avoir les yeux plus ou moins bridés ; les cheveux frisés ou raides ; la peau claire, sombre ou cuivrée. Entre le 17e et le 18e siècle, les ethnies s'affirment et des royaumes émergents s'affrontent. Au début du 19e siècle, les Merinas, du centre du pays, assoient leur hégémonie et soumettent l'ensemble du pays à l'autorité d'Antananarivo. En 1885, la France s'attribue Madagascar lors de la conférence de Berlin. Après de brèves négociations, elle conquiert le Royaume presque sans combattre ; au premier coup de canon, la reine Ranavalona III fait hisser le drapeau blanc sur son palais. Le gouverneur, le général Gallieni, combat la rébellion et colonise, instaurant une administration, un système éducatif, et la planification de l'économie. Les affaires deviennent vite florissantes, mais la résistance ne faiblit pas, elle s'intensifie même jusqu'à l'insurrection de 1947, réprimée dans le sang. En un demi-siècle, les militaires français ont tué au moins cent mille malgaches, probablement beaucoup plus. Depuis l'indépendance, l'apprentissage de la république est douloureux. Les présidents se succèdent : le premier protège les intérêts des français, l'un de ses successeurs est assassiné après une semaine en poste, un autre encore impose un régime socialiste. Pendant des décennies, le patrimoine colonial se dégrade, tant au niveau des infrastructures que du tissu économique. Dans les années 90, l'instabilité politique et la corruption ne permettent pas au libéralisme nouvellement prôné de tenir ses promesses de croissance à long terme. Le peuple se lasse de voir la classe dirigeante s'enrichir encore alors que le niveau de vie ne cesse de se dégrader. En 2009, à la suite de violentes émeutes, le maire de la capitale, un ancien DJ de trente-six ans, contraint le président cupide à la démission grâce au soutien de l'armée. Il s'empare du pouvoir pour une période transitoire à l'issue encore aujourd'hui incertaine. On attend encore les élections prévues en 2010 ; plusieurs groupes d'influence s'opposent, la situation s'enlise.
Pendant ce temps, l'immense majorité des malgaches continue de s'enfoncer dans la misère. Beaucoup vivent encore de pêche ou d'agriculture vivrière, sans eau ni électricité, dans de petits bungalows végétaux ou de modestes maisons de terre. Et alors que la richesse du sous-sol est exploitée par des sociétés étrangères, l'économie parallèle fait vivre un bon tiers de la population. Largement ruraux et sous-éduqués en général, les gens perpétuent des traditions séculaires, tandis que les religions exercent une forte influence. La moitié de la population est chrétienne, catholique ou protestante, mais la religion traditionnelle, basée sur les liens avec les morts, est encore très répandue. Localement, des minorités de musulmans et d'hindous sont également présentes. Mais c'est surtout socialement que les problèmes sont les plus graves : la présence de l'Etat, et donc son autorité, déclinent, les grèves et les manifestations se multiplient, les équipements se détériorent, et l'appauvrissement général empire.
Je n'ai finalement que des contacts superficiels avec les malgaches, qui montrent souvent de la retenue ; à cause d'un certain complexe vis-à-vis des blancs et de la dureté de leur vie, me semble-t-il. Mais cela ne les empêche pourtant pas de faire preuve d'une grande gentillesse et d'une belle joie de vivre.
Je débute mes explorations par Antsiranana, également nommée Diego Suarez, grande ville à l'extrême Nord de Madagascar, baignée par l'une des plus grandes baies du monde. Mon premier contact, un chauffeur de taxi débonnaire pilotant une rutilante 4L jaune poussin, me met instantanément à l'aise. Pour quelques jours, le temps de m'acclimater et de travailler mes leçons, je prends mes quartiers à deux pas de l'ancien centre colonial, aux allures de ville fantôme. Du fait du manque d'entretien et de violents cyclones, les vieilles bâtisses à colonnade sont dans un état de délabrement avancé. Au bout d'un grand boulevard, seuls subsistent de l'hôtel de la Marine, autrefois luxueux, les murs de pierres moisis et les hautes voûtes. Plus loin, une place ronde surplombe le port et la baie gigantesque, fermée par de lointains escarpements. Les locaux et les rares touristes viennent y prendre l'air alors que le ciel se colore de pourpre et d'indigo. Pour quelqu'un venant des Comores musulmanes, impossible de ne pas remarquer la légèreté de la tenue des filles. Visiblement, la notion de décence est ici bien différente. Moins réjouissant, plusieurs hommes blancs d'âge mûr déambulent de bars en restaurants, une jeunette sexy accrochée au bras. Je préfère dîner sur le trottoir, installé contre une gargote bancale. Sous une faible lumière jaunâtre, la cuisinière fait frire toutes sortes de savoureux beignets garnis de viande ou de légumes. J'en dévore une dizaine pour moins d'un euro.
Outre une intéressante
balade historique, je ne manque pas de parcourir le centre actuel,
où je reconnais une ambiance très africaine. Au milieu d'un
joyeux vacarme et dans un alignement de bâtiments gris, les rues
sont encombrées de vieux tacots et de charrettes surchargées. Les
trottoirs sous arcades sont tout autant bondés : j'y croise des
hommes en plein effort, des femmes en boubous vifs portant leur
courses sur la tête, et quelques enfants pouilleux réclamant la
pièce. Plus loin, le marché exhibe un invraisemblable bric-à-brac,
puis, dans un pauvre quartier résidentiel, les habitations ne sont
que de simples cabanes.
Etant donné la chaleur,
je choisi de me rafraîchir une journée à la plage, à une
vingtaine de kilomètres. Il y un moment que je n'ai pas voyagé en
taxi-brousse ; je suis servi. J'attends d'abord une heure que
l'antiquité, une Peugeot 403 bâchée, se remplisse de ses
vingt-cinq passagers, entassés à l'arrière sur des banquettes en
bois. Le véhicule se traîne une heure de plus sur une route
cabossée pour se rendre à Ramena, un ravissant village de pêcheurs
aux huttes de feuilles tressées. Dans l'eau aigue-marine, je nage
entre les pirogues, je goûte un mérou très frais, puis je flâne
longuement sur le sable ivoire en me préparant à aller étudier de
plus près les extravagances de la nature.
Encore à bord d'une
403, mais à l'avant cette fois, je grimpe jusqu'à la très humide
montagne d'Ambre, le château d'eau de la région. C'est d'ailleurs
sous une pluie battante que j'arrive à Joffreville, humble bourgade
dissimulée au cœur de la forêt, où je suis accueilli par deux
femmes âgées dans une vaste maison bourgeoise. En écoutant les
précisions d'un guide boiteux, j'explore la jungle foisonnante du
parc national. En cette fin de saison des pluies, la végétation
délirante étale toute la gamme des verts. Dans le sous-bois
inextricable, nous suivons d'étroits sentiers ; régulièrement,
une puissante cascade jaillit d'une paroi émeraude. je m'extasie
devant moult arbres déconcertants qui dépassent souvent trente
mètres, comme les palissandres, les canariums, ou encore celui-ci,
dont les branches sont disposées en étoile à la cime d'un tronc
rectiligne. A travers les lianes et la mousse, on peut déceler
quelques gracieuses orchidées ; d'amples fougères épiphytes
poussent même sur les branches, les racines à l'air. Mon
accompagnateur à la vue perçante me montre un gecko, si bien
camouflé qu'on ne distingue qu'un œil cligner sur une écorce, ou
de mystérieux lémuriens qui grignotent sur de hautes branches, en
nous épiant avec curiosité de leurs grands yeux globuleux. Heureux
hasard, nous observons des spécimens de trois espèces distinctes,
parfois à seulement quelques mètres. Il me pose aussi dans la main
le plus petit caméléon du monde, moins de deux centimètres. J'ai
déjà vu des fourmis plus grosses.
Non loin de là, en
continuant sur la route du Sud, je m'arrête voir les tsingy rouges.
Le site, niché au fond d'un petit canyon, au bout d'une très
mauvaise piste, ne présente pas un grand intérêt géologique.
L'érosion, par ailleurs un grave problème national, a simplement
provoqué un glissement de terrain. Désormais, sous une épaisse
couche de latérite d'un ocre rouge, très friable, se dressent une
multitude de petits pics délicats, d'une roche aux teintes jaunes ou
roses pastels. Assis sur un caillou, je rêve éveillé dans ces
lieux tout droit sortis d'un conte fantastique. Arrivé en stop dans
le 4x4 de trois compatriotes en villégiature, je repars dans celui
de deux tourtereaux parisiens, qui se dirigent vers le parc de
l'Ankarana. Ce n'est pas à mon programme, mais c'est sur ma route :
fidèle à mes principes, je saisis l'opportunité.
Après une bonne nuit
dans des bungalows rudimentaires, nous partons ensemble à la
découverte de cette envoûtante forêt sèche saisonnière, à la
flore très différente de la précédente. On y trouve par exemple
l'adénia, une liane surprenante qui résiste à la sécheresse grâce
à son pied gonflé d'eau, ou le taimpapango, arbre endémique à
l'écorce blanche, ou encore le majestueux baobab adansonia, l'une
des six espèces propres à Madagascar, contre une seule sur
l'ensemble du continent africain. Et la faune n'est pas en reste ;
nous observons d'autres lémuriens au regard perplexe, de gros
caméléons à la robe indécise, de longues couleuvres noires
inquiétantes mais non venimeuses, et des oiseaux bariolés qui
piaillent tout autour de nous. Après quelques heures, nous
débouchons sur un massif calcaire spectaculaire. Sur des kilomètres,
l'action de pluies acides cisèlent de profonds gouffres très
étroits dans les strates de roche anthracite. Les arêtes sinueuses,
très rapprochées, sont particulièrement dures et tranchantes. Et
sous nos pieds, des rivières souterraines creusent d'immenses
galeries, qui servirent jadis de refuge au peuple Antakarana
persécuté. Les lieux sont sacrés depuis qu'ils sont devenus leurs
tombeaux.
J'interromps ensuite ma
route à Nosy Be, petite île du Nord-Ouest du pays. Son surnom, la
perle de Madagascar, n'est pas usurpée, et les visiteurs du monde
entier le savent bien. On est encore loin du tourisme de masse, mais
l'industrie du loisirs y est en plein essor. Entouré d'une équipe
de joyeux drilles, je suis vite séduit par ses nuits survoltées, si
bien que les réjouissances se prolongent pendant une semaine. Je me
tient d'abord à l'écart de l'agitation près d'une crique
paradisiaque, avant de rencontrer Paul, un franco-malgache d'origine
indienne. Une gueule comme on dit, mais aussi un personnage, ayant eu
une vie mouvementée. Comme nous sympathisons, il m'offre d'occuper
son bungalow douillet, car lui-même loge dans la maison voisine avec
ses amis français en vacances. Autour d'un verre, je fais donc la
connaissance de Cathy, orthophoniste installée à la Réunion et
mère de deux enfants, et de son frère Alex, pharmacien sans
activité pour l'instant, célibataire et qui en profite. Le
soir-même, dans la superbe 4L décapotable vert fluo de Paul, nous
allons nous amuser à Ambatoloaka, le village balnéaire où se
concentrent les bars, les restaurants et les boîtes de nuit dans le
plus pur style tropical. En saison creuse, Il y a peu d'étrangers,
mais beaucoup de très jolies filles aguichantes. Evidemment la
majorité sont là pour vendre leurs charmes, mais l'ambiance reste
bon enfant. Nous enchaînons les bars et les verres défilent dans la
bonne humeur. Comme Paul est une figure locale et qu'Alex est ici
depuis un mois déjà, ils connaissent tout le monde ; la troupe
s'est donc considérablement élargie lorsque nous finissons en
discothèque. La nuit s'éternise, la température devient carrément
torride. Et les soirées du même acabit se succèdent ainsi ; les matins
n'existent pas, et nous passons les après-midis à lézarder sous
les cocotiers ou les cheveux aux vents dans le drôle de cabriolé.
Le soir-même, afin de
nous remonter le moral, nous retournons guincher. Alex, toujours bien
entouré, me dégote la copine d'une de ses petites amies. Cette
fille est très séduisante, mais son petit jeu finit par m'agacer.
Je m'en détourne et préfère ricaner avec Cathy, en nous moquant
des jeunes blancs-becs qui ne savent plus où donner de la tête, ou
encore de ces garçons malgaches, fiers comme des coqs, qui
s'affrontent à coup de grandes claques. Le dernier jour, je n'oublie
pas d'aller saluer Paul à la prison, où je dois soudoyer le gardien
pour le voir. Plus tard, Alex est empêtré dans ses histoires
libertines, je passe donc la soirée seul avec sa seconde en colère
et son amie, celle que j'ai poliment éconduit la veille.
Aujourd'hui, mes cavalières n'ont pas le cœur à travailler, et
moi, sur le départ, je n'ai aucune arrière-pensées ; nous
nous amusons follement. Dans les bars, elles me payent à boire et
n'hésitent pas à se déhancher lascivement debout sur les tables.
Au milieu de la nuit, ivre sur la piste, barbu, en débardeur et
sandales, je danse avec elles, passant allègrement de l'une à
l'autre, tandis qu'elles affichent leur dextérité en se trémoussant
avec leur verre plein sur la tête. Autour, les touristes sur leur
trente-et-un sont dubitatifs.
Durant les trois jours suivants, je roule sur une nationale en excellent état vers la capitale, quelques neuf cent kilomètres plus au Sud. Comprimé entre les autochtones dans des véhicules bringuebalants, souvent des minibus japonais, je contemple le décor qui défilent pendant des heures. Au pied d'innombrables collines verdoyantes, les rizières vert pomme s'étendent à perte de vue et les troupeaux de zébus, la vache locale, paissent dans les prairies. Le relief s'accentue alors, la végétation s'adapte ; de chétifs conifères aux touffes d'épines remplacent les bananiers. Dans les villages, les maisons aussi changent, désormais enduites de terre craquelée couleur abricot et à l'épais toit de chaume. Nous sillonnons ensuite les paysages grandioses des Hautes Terres, contournant d'immenses vallées de grandes herbes parmi un océan de montagnes brunes, parfois entaillées de profondes balafres rouge sang. Dans les creux, les paysans du coin aménagent des jardins potagers en paliers. Aussi, je ne fais qu'entrevoir des villes anonymes, souvent plongées dans l'obscurité mais pourtant animées. Je dors dans des chambres médiocres, je me nourris de brochettes de zébu ou d'assiettes de nouilles chinoises. Et bien sûr, j'attends patiemment, longuement, dans des gares routières crasseuses, au milieu des baraques à frites et des vieilles camionnettes. Le dernier chauffeur est assurément le plus rapide qu'il m'ait été donné de voir : il pilote un van Mercedes moderne, un express comme dit le coaxer, et attaque les pentes et les courbes à toute allure, faisant ronfler le moteur, dépassant les traînards sans même ralentir.
Antananarivo,
tentaculaire, s'étale sur un vaste plateau gorgé d'eau, cerné de
chaînes de montagnes et de rizières. Habitée par près de deux
millions d'individus, elle subit les affres de ces métropoles qui
grandissent trop vite : une forte pollution, des embouteillages
monstres et une misère omniprésente. Je pose mon sac dans un hôtel
vieillot du quartier Ambatomitsangana, très populaire, très gris,
au fort parfum d'Afrique. L'urbanisation de la ville basse est
chaotique : sur une large avenue saturée, des bâtiments laids
se dressent, récents mais déjà vétustes ; les trottoirs esquintés
sont envahis d'une foule compacte, marchands ambulants, mendiants en
guenille ou passants habillés à l'occidentale. Un marché de
fortune, de piteuses cabanes en bois, s'est établi sur les rives
d'un bassin d'un noir opaque. Pourtant, en montant vers le
centre-ville, je suis agréablement surpris de voir que
l'architecture traditionnelle perdure. Le long des rues, des maisons
mitoyennes à arcades, un ou deux étages, en briques orangé, sont
agrémentées de balcons rustiques en bois et de véritables tuiles
en demi lune. La ville haute, au caractère plutôt européen,
possède un charme certain, un peu suranné. Au sommet d'une colline,
je suis impressionné par un large escalier en pierre interminable,
qui dévale la pente avant de remonter en face. Sur les marches, des
échoppes minuscules et des vendeurs à la sauvette pullulent. En
bas, je croise un grand boulevard et une immense place. Posé sur une
terrasse, j'analyse le ballet du grand marché, composé de dizaines
de boutiques jaune et rouge au toit pointu, avant de me faufiler dans
ses allées étriqués et grouillantes, à peine éclairées par un
mince filet de lumière. Les étals des maraîchers, puisque tous les
légumes poussent sur les hauts plateaux, et ceux des charcutiers,
héritage de la culture française, sont particulièrement bien
achalandés. C'est en escaladant un autre escalier, plus étroit et
bien raide, que j'accède aux ruelles pavées de Faravohitra, plus
haute colline et cœur historique de Tana. D'élégantes
demeures d'inspiration anglaise jouxtent d'imposants édifices ouvragés, toujours bâtis de ces briques rouges du plus bel effet. Au sommet, l'atypique Rova, le Palais de la Reine, monumentale forme cubique en pierres ivoire, surveille toute l'agglomération de ses quatre tours carrées. Alors que je souffle sur l'îlot du lac Anosy, au beau milieu du quartier d'affaires, le jour baisse, les ombres s'allongent et le coteau que je viens d'arpenter, intégralement recouvert des constructions empilées les unes contre les autres, s'embrase dans un fabuleux dégradé d'or.
demeures d'inspiration anglaise jouxtent d'imposants édifices ouvragés, toujours bâtis de ces briques rouges du plus bel effet. Au sommet, l'atypique Rova, le Palais de la Reine, monumentale forme cubique en pierres ivoire, surveille toute l'agglomération de ses quatre tours carrées. Alors que je souffle sur l'îlot du lac Anosy, au beau milieu du quartier d'affaires, le jour baisse, les ombres s'allongent et le coteau que je viens d'arpenter, intégralement recouvert des constructions empilées les unes contre les autres, s'embrase dans un fabuleux dégradé d'or.
Certes, Tana est
séduisante, mais la tension qui y règne est palpable. Devant les
gros titres affichés sur les kiosques, les badauds débattent
gravement. Les grèves se multiplient, des manifestations bruyantes
envahissent régulièrement la chaussée. Et une après-midi, une
déflagration interrompt le bourdonnement de la rue : une faible bombe
artisanale vient de briser la vitrine d'un grand
magasin à deux rues de là. Au propre comme au figuré, la situation
est explosive. Je ne m'attarde pas.
En taxi-brousse,
j'emprunte cette fois la route de l'Est : de l'autre côté des
montagnes, où les pluies sont très abondantes, la nature redevient
plus intense. Par la fenêtre, je comprends mieux pourquoi l'arbre du
voyageur, ce palmier en forme d'éventail, est l'emblème de la
nation. Partout, ces bouquets d'amples feuilles déchirées par les
vents ondulent à flanc de collines. Toamasina, ou Tamatave, premier
port du pays, s'étend face à l'océan. D'ici partent en cargos les
épices, le café ou la vanille, vers l'Europe, les Etats-Unis ou le
Japon. Grande cité cosmopolite, elle est peuplée de commerçants
de toutes les régions de Madagascar, mais aussi de chinois,
d'indiens et d'arabes. Passé le tumulte des banlieues surpeuplées,
je m'arrête dans le centre-ville curieusement paisible ; les
voitures y sont rares car tout le monde se déplace en pousse-pousse,
donnant à l'atmosphère une touche asiatique.
Ma course se termine ici, mais le bateau pour la Réunion ne lève l'ancre que dans dix jours. Isolé dans une chambre convenable, avec surtout un balcon donnant sur une rue tranquille, j'en profite pour me reposer, pour compléter mes écrits et m'imposer quelque examen concluant mes études du continent africain. Et comme le soleil se couche dès 17h30, les soirées sont longues et studieuses. Pour autant, mes petites balades digestives, qu'il pleuve ou non, m'occupent facilement plusieurs heures par jour. Régulièrement, le matin, je quitte ma rue et ses immeubles délavés, passe dans les allées du marché couvert qui a perdu son toit, avant de m’asseoir dans l'agréable jardin d'une vieille demeure coloniale presque en ruine mais néanmoins habitée. J'y prends mon café en compagnie de jovials chauffeurs de pousse-pousse, qui me racontent les derniers potins. Souvent, en fin de journée, je remonte cette très large avenue qui mène jusqu'à la plage, ombragée par de grands palétuviers et de majestueux cocotiers ; même le sable est tapi de plantes aquatiques. A gauche, les enfants rient sur des manèges habilement bricolés ; à droite, des dizaines de tables et de parasols invitent les citadins à faire une pause ; en face, de l'autre côté de la baie, le port et ses énormes quais de béton et de fer barrent l'horizon. J'explore aussi le vieux centre et ses allées boueuses ; des maisons coloniales défraîchies se cahent derrière des flamboyants écarlates et des jacarandas mauves. C'est par ici, au détour d'une ruelle, que j'aime venir flâner autour des joueurs de pétanque, sur la merveilleuse place Bien-Aimée. Très vaste, elle est abritée par une vingtaine de ficus religiosa gigantesques de plusieurs siècles. Des branches tombent une kyrielle de lianes entremêlées qui deviennent racines, sous lesquelles les énormes troncs disparaissent. L'endroit, magique, est propice à la contemplation.
Ainsi,
j'ai la chance d'avoir pu découvrir, en partie, un pays enchanteur
révélant une incroyable mosaïque de contrées aux couleurs
chatoyantes, ainsi qu'un peuple particulièrement attachant. La joie
de vivre et la chaleur des malgaches, malgré la précarité, est une
précieuse leçon de vie. Et puis cette pause imprévue, en fin de
parcours, me fût profitable : elle me permet de voguer à
nouveau sur l'océan Indien en pleine forme, et empli d'une profonde
sérénité.
3 commentaires:
Bonsoir Cousin,
que de rêves à travers tes récits, ta passion laisse rêveur ou rêveuse. Quelle force pour vivre cette épopée qui dure depuis 2 ans au moins.Quand reviens tu en France ?
A quand un film ou un livre ?
Entre parenthèse ton frère, n'est pas en reste non plu.
Superbe la photo de famille Mon Oncle, Ma Tante Cousins cousine ; ça rappelle les quelques réunions de famille à Mazerolles.
je t'embrasse Ta cousine Maryse
salut cousine,
Merci de me lire et tant mieux si j'arrive à partager un peu de mon rêve.
Le retour ? Pas pour tout de suite ! Si tout va bien, je ne suis qu'à la moitié du voyage...
Bises, à bientôt.
C'est pas mal !
Romain
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