Vila l'indolente




Lundi 27 janvier 2014 – 1199e jour



C’est encore à bord d’un tout petit zinc, cette fois en position de co-pilote, que je survole la presqu’île où est bâtie la capitale du Vanuatu, Port-Vila. Vue du ciel, il est évident qu’on n’a pas à faire à une métropole agitée, mais plutôt à une gentille bourgade coincée entre mer et forêt. J’y pose mes bagages pendant une dizaine de jours, luttant contre une chaleur accablante pour accomplir mon programme pourtant léger, autour d’Efaté.



Avant tout, à cette époque et sous cette latitude, le climat est incontournable. Chaque jour, le thermomètre dépasse allègrement les 30 degrés à l’ombre, à quoi s’ajoute une humidité étouffante ; le moindre effort devient vite pénible. Chaque jour aussi, il faut composer avec la pluie, tantôt un crachin, tantôt un véritable déluge. En tentant de passer entre les gouttes, je réduis donc la durée de mes sorties, pour me réfugier sous l’indispensable ventilateur de ma chambre étriquée.

Dans un premier temps, je me familiarise avec cette petite ville de 50 000 habitants, qui manque légèrement de caractère. C’est bien la première fois, dans ce pays,  que je vois des routes goudronnées et des trottoirs ; un réseau électrique aussi. Jadis capitale coloniale des empires français et britanniques, il est clair que les nouveaux colons sont chinois, la grande majorité des magasins leur appartenant ; comme mon hôtel d’ailleurs. Le centre-ville, qui ne comprend que quelques rues commerçantes, est un ensemble hétéroclite de bâtiments dépassant rarement les deux étages ; même si certains, assez modernes, sont visiblement récents, la plupart auraient bien besoin d’un ravalement. Tout de même, sur le front de mer qui fait face à un îlot ravissant, se succèdent une poignée de fringantes boutiques, bars ou restaurants, destinées semble-t-il aux touristes et autres expatriés. Mais l’endroit le plus pittoresque est certainement le grand marché, où les robes des marchandes rivalisent de couleurs avec les fruits et les légumes. Je m’y arrête d’ailleurs quotidiennement pour dévorer un excellent steak. Plus haut, entre les parcelles de jungle qui subsistent encore, on aperçoit quelques jolies maisons, mais la plupart sont de pauvres bâtisses en béton. Les gens restent adorables, quoique parfois plus intéressés qu’ailleurs. Je n’y fait pourtant pas de rencontre particulière ; avec John, avec qui j’ai partagé la chambre à Erromango, nous avions prévu de nous revoir, mais sa mission là-bas est prolongée. Je reste donc de longs moments  à rêvasser dans ma tanière, sans parvenir à me concentrer bien longtemps sur mes travaux.








Ainsi, après avoir tranquillement arpenté cette paisible bourgade qu’est la capitale, je m’aventure autour d’Efaté, sachant que quelques heures de voiture suffisent pour en faire le tour complet. Ayant toujours à subir la canicule et la pluie, je me contente le plus souvent de courtes expéditions ; à pied, en minibus, voire en stop.

Par exemple, je visite le village culturel d’Ekasup. C’est une grande et joyeuse famille qui fait tourner cette affaire, et deux ou trois d’entre eux me montrent d’abord la forêt qu’ils ont joliment aménagée pour dévoiler les traditions de leur île. A la nuit tombée, une dizaine de touristes débarquent : les gars troquent leurs shorts contre des pagnes de feuilles tressées et le show commence. Tout le monde met la main à la pâte, des enfants aux vieux, pour accomplir des scènes comiques ou des danses rituelles. On passe ensuite au buffet, aussi copieux que savoureux, uniquement composé de produits du jardin. Les gars égayent le diner en formant un orchestre cocasse : ils revisitent brillamment des classiques pop à l’aide de ukulélés, de bambous ou de bouteilles vides. Et après avoir trinqué avec un dernier kava,  on m’indique que puisque je suis venu en ami, la soirée m’est offerte, jusqu’au minibus qui me ramène en ville ; stupéfiant.


Quelques jours plus tard, je profite d’une belle éclaircie pour me rendre sur la côte Est jusqu’au village d’Eton, où parait-il se cache un magnifique trou bleu. C’est en fait la plus petite rivière que je n’ai jamais vue, puisque une source surgit de la roche à 200m à peine de l’océan. Ombragé par l’épaisse végétation, l’eau affiche une incroyable teinte bleu pastel ; une piscine qu’on n’oserait imaginer, même pas en rêve. Dans ce lieu idyllique, parmi quelques familles d’occidentaux, je savoure d’enchainer les longueurs dans l’eau fraîche.


Dégoter une activité intéressante n’est pas chose aisée dans le coin. Une demi-heure m’aura suffi pour examiner les collections du modeste musée national, alors je tiens à en apprendre plus sur  l’histoire du chef roi Mata, très représentative du système de chefferie du Pacifique, selon l’Unesco. De récentes recherches archéologiques ont confirmées certaines traditions orales transmises depuis quatre siècles : à l’époque, cet homme mit fin à une longue période de conflits et unifia les tribus d’Efaté. Trois sites, dont deux îlots, forment le domaine et un tour organisé est obligatoire pour être certain que les interdits soient respectés ; trop cher pour moi, alors je me débrouille. A l’arrière d’un camion, au milieu d’ouvriers, puis après une longue marche, je parviens au village de Magaliliu. On me conduit jusqu’au chef, qui répond gentiment à mes questions en me donnant moult détails, avant de m’envoyer, à travers une superbe jungle, vers l’emplacement de l’ancien village du roi. Bien entendu, aucun vestige ne subsiste et seuls ces trois énormes tamanous ont peut-être été témoins de ses discours. En écoutant le bruit des vagues, il  ne me reste plus qu’à faire marcher mon imagination.

Mon rythme est encore un peu mollasson à mon goût, mais je me le suis volontairement imposer afin de repartir en douceur. Ce matin-là, je suis quand même bien content de filer à l’aéroport pour m’envoler vers les Fidji, mais on m’informe que mon vol est reporté de trois jours. Encore une fois, Air Vanuatu démontre son amateurisme, mais pour atténuer la déception, il me paye un hôtel de luxe, à hauteur de 150 euros par jour, soit sept fois mon budget habituel. Sans transition, je passe donc de la gamme « motel » à « resort », une première. J’hérite d’un palace de 30m2 au moins, à la décoration léchée. J’ai droit à une vue sur le lagon, la climatisation, un écran large avec  un tas de chaînes, et surtout un lit extrêmement douillet. Habitué à dormir sur des planches ou sur le sol, j’avais oublié qu’un matelas pouvait être aussi confortable. Dehors, le vaste parc aux pelouses rases borde la plage, un bar trône devant la piscine olympique, et il y a même un parcours de golf sur un îlot privatif. Au premier diner, alors que j’avais l’habitude de me satisfaire de simples nouilles chinoises, je me gave de plats succulents, avant de comprendre qu’il est idiot d’essayer de dépenser toute la somme allouée. J’entretiens ma forme dans la piscine bien sûr, ainsi que sur les kayaks à disposition, mais je passe le plus clair de mon temps vautré sur mon lit, à la fraîche. Tout ce luxe n’est vraiment pas mon genre, mais pour une fois, je veux bien faire une exception.







J’aurais donc passé bien assez de temps à Vila, 11 jours en tout. Ce matin, c’est la bonne, puisque je vois la côte d’Efaté s’éloigner depuis le hublot de mon Boeing. Mais soudain, le capitaine annonce qu’il doit faire demi-tour pour réparer une avarie ; énième faux départ.

1 commentaire:

Cara a dit…

Même quand on n'est pas fan de luxe, quelques nuits offertes dans un grand hôtel doivent être plutot agréables :)

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