Jeudi 27 mars 2014 – 1258e jour
Ma glorieuse épopée autour de l’Ile du Sud s’étant terminée
dans l’adversité, je consens à calmer le jeu en attaquant l’Ile du Nord.
D’ailleurs, elle s’avère bien moins sauvage et nettement plus peuplée : la
traverser s’annonce donc plus aisé, même si je persiste à me déplacer en stop,
forcément aléatoire. Aussi, mon programme y est plus léger. Après une halte à
Wellington dans un contexte familier, je vais parcourir le Central Plateau des
cimes aux entrailles de la Terre ; ses grands volcans actifs et ses lacs
immenses, ses extraordinaires phénomènes géothermiques et ses grottes féériques.
Lorsque j’annonçai à Malika que je revenais la voir, je la
prévenais sans ambiguïté de mes intentions à son égard. Sa réponse fut très
favorable, alors quand j’atterris dans la capitale après le pénible épisode du
Mont Cook, je suis particulièrement impatient de trouver du réconfort auprès
d’elle. Cependant, son accueil est glacial, et elle ne daigne pas m’adresser la
parole. Cette fille est trop compliquée pour moi, et pas si jolie que ça en fin
de compte. La surprise et la déception passées, je la considère désormais simplement
en amie, comme les autres occupants, son cousin Chris, de passage, ou Jason, le
maori banquier, toujours aussi charmant. Ainsi, pendant deux jours, je me
repose tout en me consacrant à mes écrits, sans bouger du salon et au milieu des
allers et venues des uns et des autres. Et puis, sans que je m’y attende, vient
la soirée de la Saint-Patrick, épique. Malika continue de bouder, mais Jason et
ses cousins me prennent en charge. Ce soir, on dirait que toute la ville est de
sortie : les rues, décorées pour l’occasion, les rues sont bondées de
fêtards tout de vert vêtus, et les très nombreux pubs ont tous fait appel soit
à un groupe live soit à un DJ. Au fur et à mesure que notre équipe de choc enchaîne
les bars et les pintes, l’ambiance s’échauffe sérieusement. C’est dans cette
joyeuse pagaille que je rencontre Claire, une compatriote jeune et jolie, et
pas farouche. Seule et ne parlant pas anglais, elle ne me lâche pas d’une
semelle. Alors plus tard sur le trottoir, alors que chacun semble partir en
bonne compagnie, je ne me prive pas d’inviter la belle à partager mon canapé. Cette
courte nuit est douce, mais au matin, lorsque l’ivresse s’est évanouie, je me
rends bien compte qu’avoir ramené cette petite manquait de tact. D’ailleurs
Malika est en colère, alors je prie la belle de se rhabiller et de rentrer chez
sa tante, tandis que, penaud, je plie bagage dans un silence pesant pour aller
me réfugier dans un dortoir.
Même si je finis toujours à destination, voyager en stop est
plutôt laborieux. Ca me permet au moins de faire des tas de rencontres, des
touristes ou des locaux de tous âges et de toutes conditions ; et
d’appréhender petit à petit la culture maorie, noyée dans cette société
occidentale qui, à mon goût, manque singulièrement d’exotisme. Néanmoins, les
kiwis sont fort sympathiques et leur pays est superbe. Ce matin par exemple, je
tourne en rond pendant deux heures en attendant mon premier chauffeur, mais le suivant
est serviable au point de faire un détour pour me montrer les coulées de roche
volcanique qui couvrent les hauteurs du Rapehu, le plus grand volcan du coin
avec 2800 m, avant de me déposer au village d’altitude de Whakapapa, qui
devient une station de ski très fréquentée en hiver. De là, je retourne au plus
près de la nature en débutant une randonnée de deux jours à travers le
spectaculaire parc national du Tongariro, du nom d’un autre volcan à la silhouette
parfaitement conique. Après quelques heures au milieu d’un étrange bush alpin
composé de buissons aux feuillages jaune vif et de petites fleurs mauves,
j’atteins le gîte de montagne rempli d’autres randonneurs. Dans ma tente, à
1300 m d’altitude, la nuit est froide et le vent violent : je la termine
sous la table du gîte. En général, je suis plutôt chanceux avec la météo, mais
le lendemain, le temps s’est gâté. C’est dans la brume et sous des bourrasques
glaciales que je gravis des rochers biscornus, dans un environnement désolé. Comme
je franchis le col à 2000 m sans rien voir du panorama, je file d’une seule
traite jusqu’au prochain refuge, 6h plus loin, où je casse la croûte. Le ciel
est dégagé de ce côté, alors je prends le temps d’examiner la végétation, et
surtout le cratère du Ngauruhoe, qui crache une épaisse fumée blanche ;
cet impressionnant versant du Tongariro aussi, et les grands lacs au loin. C’est
d’ailleurs sur les rives de l’immense Taupo que je prends un repos bien mérité,
en observant à l’horizon les montagnes que je viens de franchir.
Non loin de là, je me dirige ensuite vers la cité touristique
de Rotorua, haut-lieu de la géothermie. En chemin, je m’arrête admirer le site de
Wai-O-Tapu : ça empeste le souffre dans le coin, mais ce désagrément est
amplement compensé par les scènes extravagantes proposées par Mère Nature.
Pendant la balade, ébahi, j’observe là des cratères effondrés, fumants et
flanqués de cristaux de souffre, ici des flaques de boue bouillonnante, ou
encore des fumerolles qui jaillissent d’un peu partout, une vaste terrasse de
silice blanchâtre, et le Bain du Diable, une mare d’une couleur improbable,
disons anis fluo. Mais le clou du spectacle, c’est sans conteste la vaste
Piscine de Champagne : l’eau frémissante et les dépôts des composés
chimiques prennent des teintes hallucinantes, du blanc au noir en passant par
le bleu, le vert, le jaune, ou l’orange.
Après ce fabuleux tableau impressionniste, la ville, avec
ces bonnes routes, ses larges trottoirs, toutes ses boutiques et ses
fast-foods, apparait bien fade. Néanmoins, la proportion de maoris y est plus
importante qu’ailleurs, et je suis impatient d’inspecter le centre culturel Te
Puia, qui s’efforce de perpétuer les traditions ancestrales. La visite guidée
débute dans la maison commune, Te Aronui, où on a droit à des chants d’accueil
conduits par les femmes, qui laissent place aux hommes pour une démonstration
du haka, la fameuse danse guerrière. Même manquant légèrement d’authenticité, le
show reste réjouissant, mais je ne vais quand même pas aller jusqu’à faire le
pitre sur scène. Dehors ensuite, on nous explique comment les premiers colons
sont venus de Polynésie en canot, il y a 8 siècles environ, puis on nous montre
un ancien village reconstitué, ainsi que les ateliers de tissage et de
sculpture. Dans un vivarium obscur, j’aperçois enfin un vrai kiwi, cette grosse
boule de plume de la taille d’un ballon de basket, affublé d’un long bec
pointu. Et pour finir, j’applaudis le geyser Pohutu dès qu’il crache eau et
vapeur à plus de 30 m de haut.
Je fais ensuite un détour, d’une courte distance, mais qui
me prend un temps fou puisque je m’enfonce dans la campagne en me languissant
sur des routes secondaires désertes. Je viens voir par ici le village des
Hobbits, qui a servi de décor aux films du Seigneur des Anneaux, au succès
planétaire. Fan comme tout le monde, j’ai pu reconnaître, depuis des semaines,
moult paysages utilisés par le réalisateur, Peter Jackson. Ce type est certes
talentueux, mais il n’est pas si génial que ça : il a juste su mettre en
valeur son merveilleux pays, une publicité inespérée pour l’industrie du
tourisme. Ainsi, lors de la visite bien encadrée, on circule dans les allées et
les jardins potagers, en passant devant les maisonnettes enfouies sous les
collines verdoyantes. On ne croise aucun nain à gros pieds, mais le souci du
détail est effarant, même si tout est faux, comme ce grand chêne en plastique
au-dessus de la maison de Bilbo. Et alors que, en compagnie d’une américaine,
je prends une bière du meilleur tonneau dans la taverne aux belles boiseries
rondes, nous nous attendons à voir surgir la barbe et le chapeau pointu de ce
cher Gandalf. C’est en fait le guide, en short et basket, qui nous invite à
regagner la sortie.
J’ai ensuite une chance improbable puisque 4 conducteurs se
succèdent sans temps mort pour me déposer à proximité des grottes de Waitomo,
juste avant la fin du jour pour que j’aie le temps de planter la tente. Le
lendemain, je me laisse volontiers diriger par une organisation sans faille
pour explorer les trois grottes ouvertes au public, sur les 300 qui criblent le
sous-sol de la région ; un vrai gruyère. La première est aussi la plus
célèbre : à bord d’une barque contenant une trentaine de touristes, on
glisse dans le noir complet et dans un silence de cathédrale, tandis que des
nuées de vers luisants tapissent ses parois. L’instant est vraiment
féerique : glisser ainsi sans aucun repère, alors que le plafond est
constellé de millions de ces petites bébêtes scintillantes offre une sensation
très spéciale. Après une balade dans la forêt environnante, on me conduit
jusqu’à la caverne suivante. Celle-ci est plus classique : on chemine dans
des couloirs étroits et des salles immenses, fasciné par toutes sortes de
formations calcaires, en dentelle ou en grumeaux, et bien sûr des stalactites
et stalagmites de toutes tailles. Dans la dernière, moins impressionnante et un
peu redondante, je prends néanmoins plaisir à évoluer dans les entrailles de la
Terre, dans l’obscurité, le long d’une passerelle suspendue au-dessus d’une
rivière qui gronde sans qu’on puisse l’apercevoir.
En bénéficiant d’une météo plus clémente, sachant que je poursuis
la fin de l’été en filant toujours plus au Nord, j’ai apprécié d’évoluer sur un
tempo plus raisonnable, en me gardant de sortir des chemins balisés, dans le
confort des circuits touristiques. Après avoir apprécié toutes ces merveilles
naturelles, je m’en vais changer radicalement de décor : mon programme
néo-zélandais, qui touche à sa fin, m’envoie maintenant vers Auckland, la
capitale économique du pays, un phare de modernité pour tout le Pacifique.
2 commentaires:
Ah, le jardin des hobbits, qu'est-ce que j'adorerais voir ça !
Eblouie par la beauté de Wai-O-Tapu. Merci pour ce partage ! Bisous, ade
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