De bonne heure, je fais mes exercices sur le marbre de ma grande chambre avant de déjeuner dans l’agréable jardin, bien content d’être enfin à la campagne, loin de la furie des villes. En fin de matinée, l’un des gars de la vieille m’embarque gentiment sur sa moto jusqu’aux temples de Khajuraho. Ce complexe de la dynastie des chandella, qui régna sur la région voilà 1000 ans, dont 22 temples subsistent sur les 88 initialement construits, fut oublié pendant des siècles, n’étant redécouvert qu’au 19e siècle par un explorateur anglais. C’est une création artistique unique, tant pour son architecture hautement originale que pour l’étonnante finesse de ses innombrables sculptures. J’en visite une petite dizaine, disséminée au milieu d’un joli parc très paisible. Là encore, l’administration a effectué un admirable travail de restauration ; bouddhistes ou jaïns, les édifices en grès jaune, disposés sur des soubassements élevés et coiffés de hautes tours aux arêtes courbes, sont très richement décorés de centaines de petites statuettes. Elles évoquent évidement les divinités, mais aussi diverses scènes de la vie quotidienne. Parmi elles, initiative surprenante sur des bâtiments religieux, les plaisirs de la chair occupent une place importante. J’observe des nymphes à la sensualité troublante, ainsi que des scènes pour le moins explicites : les chandella étaient quand même de sacrés acrobates. Dehors, je retrouve le type de ce matin flanqué de son jeune acolyte, toujours prêts à rendre service, même si je leur ai bien fait comprendre qu’il n’obtiendrait pas grand-chose de ma part. Le jeune Aryum m’accompagne dans l’ancien village, composé de pauvres bicoques de briques couvertes de tuiles grossières. En buvant le thé dans sa minuscule maison, une pièce unique partagée par six personnes, il me révèle, ému, son amour impossible avec une coréenne. Nous prenons rendez-vous pour ce soir, et je retourne me reposer à l’hôtel en rickshaw. Puisque le conducteur, la cinquantaine, est un petit bonhomme fort sympathique, je lui demande de repasser me prendre plus tard. Bien m’en a pris, car lorsqu’il revient, il me propose de partager son shilom de la débauche, au bord de la rivière. En repartant, il me demande si j’en veux en deuxième : nous fumons celui-ci et un troisième encore, au temple, avec un sâdhu à la longue barbe et au regard bienveillant, plus deux ou trois pèlerins, en écoutant paisiblement le sermon du jour. Assis avec nous, un vieux moine réagit parfois en riant à pleine dent ; au singulier, dent. Ca, c’est de la fumette. Pour leur générosité désintéressée, le sâdhu reçoit une belle donation et mon chauffeur un gros pourboire. Les yeux brillants, j’arrive un peu en retard au spectacle de danse folklorique. La grâce des danseuses vaut bien l’agilité des danseurs, et les musiciens, deux joueurs de cymbales et deux percussionnistes, jouent un genre de transe progressive ultra-rapide, presque hardcore : je n’en crois pas mes oreilles. En suivant, je retrouve mon équipe au complet ; des filous peut-être, mais des filous honnêtes. Ils me parlent de leurs petits trafics et de leurs déboires. Il y a l’élégant Sinjay, le chef charismatique ; son bras droit Lucky, un peu plus jeune, beau gosse et beau parleur ; le petit Aryum donc, vingt ans à peine, intarissable ; le quatrième larron, front dégarni et petite moustache, quant à lui, ne dit jamais rien. La bande est attachante et je suis d’humeur généreuse : cette fois, c’est ma tournée.
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