De
bon matin, je me mets en quête de mon bus : celui qui va directement
pour Brasilia coûte une fortune et il ne part qu'à 10h. Je me
laisse donc convaincre pour un autre à destination de Goiania, à
200 km de mon objectif, pour un prix plus raisonnable. Après deux
bonnes heures d'attente, je m'installe dans le fauteuil confortable
d'un grand bus à étage assez récent ; je vais y rester 23 h. Avec
près de 2000 km d'un coup repartis sur quatre jours, mon dernier
grand trajet sera donc le plus long de tous, et l'un des plus pénible
; mais j'encaisse sans sourciller, sachant que chaque kilomètre
parcouru me rapproche un peu plus de la maison. Boucler la boucle,
enfin. D'ailleurs, depuis quatre ans, j'ai toujours voulu ne penser
qu'au présent mais dorénavant, le passé me revient de plus en plus
souvent en tête, des flashs désirés ou non de cette fabuleuse
épopée. Et aussi, de plus en plus fréquemment, des questions sur
le futur résonnent dans ma caboche ; le futur proche surtout,
sachant que je vais devoir démarrer une nouvelle vie en partant de
zéro. Pas d'inquiétude néanmoins, je suis serein, j'ai bientôt
accompli mon rêve insensé et ca, ca n'a pas de prix. C'est un peu
comme si j'allais renaître, mais avec une expérience prodigieuse,
doublée de l'immense satisfaction de connaître le Monde.
Pendant
que je me perds dans mes pensées, le Monde, il continue de défiler
sous mes yeux, encore et toujours. Quand les pâturages ne s'étendent
pas à perte de vue, la forêt change, s'éclaircit à mesure que
nous montons sur le grand plateau brésilien, pour devenir une savane
arborée fournie. Quant à la route, elle s'améliore d'heure en
heure tandis que nous effectuons des arrêts réguliers dans des
villes anonymes. Pour le déjeuner, comme mon corps tourne au
ralenti, je me contente d'avaler des biscuits. C'est tout l'état du
Tocantins que nous traversons aujourd'hui, et nous finissons dans
l'immense salle de restaurant d'une non moins immense
station-service. Je finis par m'endormir tant bien que mal en
cherchant en vain la bonne position sur mes deux sièges, emmitouflé
dans mon sweat et mon hamac pour contrer la température frigorifique
de rigueur.
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