Ca
y est presque, j'arrive au bout de mon rêve. Mais je sais que je ne
dois pas encore me relâcher, ou juste un peu, en profitant de la
douce vague de l'Amazone. Et en routard drôlement aguerri, je
continue d'enchaîner les kilomètres et de débarquer dans les
stations de bus. Forcément j'ai mal dormi à bord mais j'ai le
plaisir de voir le lever du soleil sur une région montagneuse
boisée. C'est l'état du Minas Gerais qui, au 18e siècle,
produisait presque tout l'or du monde. Il en résulte quelques
superbes petites cités coloniales comme celle où je me rends.
Aujourd'hui, la région reste lourdement industrialisée, puisqu'on
extrait toujours d'énormes quantités de métaux (fer) ; comme en
témoignent plusieurs grosses usines qui ont grignoté toute une
colline. Je ne m'arrête pas dans la capitale Belo Horizonte, 5
millions d'habitants et une forêt dense de buildings ; je ne fais
que la traverser entièrement d'une station de métro à une vaste
gare routière. J'aime beaucoup le paysage qui défile pendant les
trois heures suivantes, quand les montagnes n'ont pas été pelées.
Encore une gare routière, petite celle-là : j'y trouve une carte et
un téléphone, et appelle Fabio, mon nouvel hôte, peut-être le
dernier d'une liste incroyable, qui en suivant arrive en vélo. Nous
allons ensemble jusqu'à chez lui, dans un quartier très tranquille
proche des limites de la ville. Derrière un garage, nous entrons
dans une toute petite maison en duplex. C'est simple mais c'est
grand, et surtout très relax ; bref, c'est parfait. Fabio est un peu
intimidé mais moi j'ai l'habitude : je suis d'emblée très à
l'aise. Ce jeune homme jovial et paisible de 24 ans est donc étudiant
en ingénierie civile, et il ne peut m'accueillir mieux puisqu'il
paye sa weed d'entrée. Ses parents ne sont pas bien riches me
dit-il, mais ils lui payent son logement et ses études qu'il termine
très bientôt. Visiblement très ouvert, il m'avoue être un peu
solitaire, et finis par me glisser, l'air de rien, qu'il est gay. Ca
a le don de bien nous faire rire, puisque je viens juste de débattre
du sujet avec Ciro de Brasilia, homo lui aussi. Mais qu'importe, ce
garçon est charmant, et en plus il m'amuse. Il est aussi très
curieux et admiratif de mon grand voyage, que je lui raconte avec
plaisir.
Puis
il doit écrire un papier alors je le laisse travailler et je
rechausse mes vieilles baskets. En suivant ma méthode éprouvée, je
passe de longues minutes devant la porte et dans les rues adjacentes
pour bien repérer les lieux. En levant les yeux, je fixe cette
colline abrupte au-dessus du quartier : vendu, je grimpe là-haut
pour évaluer les environs à plus grande échelle. Je monte d'abord
jusqu'aux quartiers les plus hauts perchés, bien content de me
dérouiller les cannes dans des ruelles escarpées ou d'étroits
escaliers. Je demande l'autorisation à ce type pour traverser son
jardin et j'atterris dans une broussaille assez épaisse. J'attaque
la pente en me faufilant dans de minuscules sentiers, voire hors
piste, et au sommet, la vue embrasse toute la vallée encaissée
d'Ouro Preto. La jolie bourgade s'étale en contrebas, coiffée de
moult clochers baroques, avec tous ces toits de tuiles qui ondulent
en épousant le relief. Guilleret, je redescends vers le centre à
quelques kilomètres. J'y vais juste pour humer l'atmosphère, car je
compte bien explorer cette cité historique dans les règles de
l'art. En effet le centre est ravissant, avec ces venelles pavées et
toutes ces demeures coloniales parfaitement restaurées, aux murs
blancs et menuiseries colorées. C'est aussi très touristique, comme
le prouvent toutes ces boutiques d'artisanat ou de vêtements, dont
certaines très chics et même quelques luxueux hôtels. C'est une
petite ville mais elle abrite une université réputée et donc une
grande proportion d'étudiants, ce qui lui vaut d'être très vivante
et animée. Autour de la Grand Place, là où l'ancien fort fait face
au Palais de la Monnaie, je croise plusieurs petites fêtes avec des
groupes live, tandis que les touristes se tirent le portrait devant
une superbe église.
J'en
ai vu assez pour aujourd'hui, je retourne chez Fabio par un chemin
différent. Je reviens avec lui un peu plus tard pour aller dans une
petite fête organisée par l'une des nombreuses communautés
étudiantes, mais le prix d'entrée nous rebute alors nous nous
contentons de siroter une bière dans un bar, sur le trottoir comme
c'est l'usage. Puis il faut encore grimper jusqu'à la maison, où je
me propose, pour une fois, de faire à manger. Je ne prépare
pourtant qu'une simple omelette aux patates, mais vus l'équipement
minimal et mon incompétence, c'est une catastrophe. Malgré tout, ça
reste comestible et nous discutons longuement, du Monde surtout ;
entre autres, il me raconte son séjour à Dubaï dans le cadre d'un
échange scolaire, ce petit monde étrange, ultra-riche et
ultra-moderne bâti en plein désert. Nous passons une excellente
soirée tous les deux, sachant qu'outre notre connivence, j'ai aussi
acheté une bouteille de vin et que lui roule plusieurs joints.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire