Je
me souviendrai longtemps de cette interminable journée, probablement
ma dernière escapade en terre sauvage, qui fut autant épique que
catastrophique. Tout avait pourtant bien commencé : après 10 km en
bus, je descends dans un petit village, que je traverse pour attaquer
la pente de l'autre côté. J'évolue d'abord dans une jolie forêt
assez dense en suivant un sentier pas évident, ce qui m'amuse. Je
gravis ensuite une première grande colline ; j'admire le paysage et
étudie le terrain. Je redescends dans une vallée encaissée et
remonte pour longer une impressionnante falaise à pic. De là, le
relief s'accentue encore et mon regard est aimanté par une étroite
cassure dans une énorme barre rocheuse. Le temps de descendre
encore, de franchir un ruisseaux en sautillant sur les cailloux et
d'escalader la pente, je m'infiltre effectivement dans la faille. Je
découvre alors une zone très sauvage et très accidentée, émaillée
de rochers gigantesques aux arêtes acérées. C'est vraiment superbe
et comme le soleil, qui est aussi ma montre, est caché derrière les
nuages, j'en oublie le temps qui passe.
Au détour d'une énième hauteur je me trouve en face de ces deux monolithes monstrueux qu'on observe à l'horizon depuis Ouro Preto. D'ailleurs la ville est bien là où je l'imaginais, tout là bas en contrebas, mais pour la rejoindre c'est une autre paire de manches. Je commence par descendre une ravine, ce qui s'avère vite impossible ; idem de l'autre côté, ce massif est bien trop radical. Arrivé tout au bout du plateau, je déplore l'immense détour nécessaire, sans garantie qu'il ne soit pas trop difficile. Non vraiment, c'est trop loin, le mieux que je puisse faire est de retourner sur mes pas, m'aime si je n'aime pas l'idée. Pendant ce temps, le ciel s'est fait menaçant et ce qui devait arriver arrive : un orage terrible éclate tout près, juste au dessus de ma tête, doublé d'une averse extrêmement violente. Je suis déjà bien mouillé quand je trouve refuge sous une roche pointue. La violence de l'orage monte encore d'un cran, le tonnerre est les éclairs sont tout proches et la pluie redouble ; c'est l'apocalypse. Le vent s'en mêle, soufflant la pluie sous mon caillou et l'eau jaillit entre mes pieds. Alors je cours sous ce déluge dantesque afin trouver un meilleur abri sous un gros rocher couché. L'endroit est au sec mais moi, je suis complètement détrempé de la tête au pied. Evidemment je me gèle et en serrant les dents, je compense en faisant longuement des exercices de gainage. L'orage n'en finit pas et pendant tout ce temps, tantôt je rigole, tantôt je hurle toutes les insanités que je connais.
Beaucoup
plus tard, comme en l'air le ciel est un peu moins noir que les
arbres, je retrouve le sentier emprunté ce matin. C'est donc ce fil
d'Ariane gris foncé que je suis en tâtonnant devant moi. Plusieurs
fois, je pose le pied en dehors et je glisse d'un mètre ou deux,
freiné dans ma chute par toutes les plantes. Je sais que la fin est
proche quand je longe ce tuyau blanc, mais soudain il file au dessus
d'un creux. Je reviens en arrière, tente de deviner un passage dans
les bois sombres, avant de décider de descendre d'un étage en
escaladant deux ou trois mètres. Sur une étroite plate-forme,
cramponné à un arbre, mon pied ne trouve pas le sol. Je jette une
branche dans le vide : le bruit m'indique dix mètres au moins, il
faut remonter. Je perds un temps fou pour découvrir finalement
qu'une planche invisible, un pont de fortune, longe le tuyau. A
partir de là, je ne perds plus le chemin et finit par me sortir de
ce calvaire. Je jure par ma Terre-Mère que ce genre de conneries
n'arrivera plus : terminé, c'était la dernière fois, il va falloir
grandir maintenant.
Au
village, j'apprends qu'il est 22h30, voilà donc treize heures que je
marche, dont presque la moitié en mode commando. Exténué, lessivé,
trempé, tout sale et griffé de partout, j'entre dans un bar où
trois gars regardent un match de foot. J'achète un coca, qui pique
ma gorge sèche, et taxe une cigarette puisque les miennes sont en
bouillie. Puis je remonte jusqu'à l'arrêt de bus où j'arrive pile
à l'heure, à la seconde près. Quand je rentre enfin chez Fabio, il
se précipite vers moi. Il a vu un gros orage sur les montagnes au
loin, et il s'est beaucoup inquiété, au point d'appeler les
pompiers. Penaud, je m'excuse avant d'entrer tout habillé sous la
douche chaude ; un grand bonheur. Puis mon hôte a la bonté de payer
son dernier joint tandis qu'il n'en revient pas de mon histoire
invraisemblable. Malgré l'heure tardive, il nous prépare ensuite un
bon dîner, que je dévore, arrosé d'un verre de caïpirinha, le
fameux cocktail brésilien. Nous nous couchons finalement vers 2h,
sachant qu'il va falloir se lever à 6h puisque nous partons tous les
deux de bonne heure. Je vais me rappeler longtemps de cette journée
; une sacrée leçon, une de plus.
3 commentaires:
Quelle histoire ! Qui aurait pu mal finir...
Hey Joanna ! Je suis content de voir que tu es toujours là...
T'inquiètes pas, je me souviendrai de ce jour, encore une bonne leçon.
C'était assez dur, mais finalement pas si dangereux.
Et toi, t'as déjà essayé de marcher en forêt les yeux bandés ?
Eh oui, ton blog était toujours dans ma liste de lecture. J'ai zappé pas mal des très longs articles, mais je suis de retour ;)
Ah non, la forêt yeux bandés, je crois que je préfère éviter :p
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