réunion de famille sous l'Equateur



Sur la route qui me voit traverser toute l'Afrique d'Ouest en Est, après trois mois d'un voyage extraordinaire depuis Dakar, je viens trouver au Gabon, a mi-chemin, un répit merité auprès des miens, dans le monde feutré des expatriés.



Nation d'Afrique Centrale bordé par l'océan Atlantique et situé sur le passage de l'Equateur, le Gabon est géographiquement caracterisé par sa forêt, qui recouvre plus des trois quarts de son territoire. Les revenus substantiels tirés de ses abondantes ressources naturelles en font une exception sur le continent. On y exploite le bois bien sûr, ainsi que le manganèse, le fer, mais surtout le pétrole, qui assure près des deux tiers des revenus de l'Etat. Mais tous les gabonais ne bénéficient pas de ces atouts de la même manière. il existe bien une classe moyenne importante et plutôt aisée, qui tend à vivre à l'occidentale. Mais puisque le pays, ne produisant presque rien, importe tous les biens de consommation, produits agricoles compris, les prix sont souvent exhorbitants. Ainsi, ceux qui ne trouvent pas de place dans l'avantageux système, à mon avis la grande majorité, vivent dans des conditions précaires. Composée d'une cinquantaine d'ethnies, parmi lesquelles les Fangs, les Punu, les Nzébis ou les Miénè, la faible population d'un million et demi d'habitants, très largement chrétienne, se concentre pour moitié dans la capitale. Après la colonisation française, la patrie fut dirigé d'une main de fer par Omar Bongo pendant quarante-deux ans. Et là aussi, la démocratie est une notion toute relative puisque c'est son fils Ali qui est maintenant président.




Quant à moi, après une courte halte à Libreville, c'est un bord d'un vieux bateau de marchandises que je franchis l'Equateur en me rendant à Port-Gentil. Le navire n'étant pas vraiment équipé pour le transport de passagers, c'est allongé sur une natte, au milieu des autochtones, que je passe la nuit. Quand, à la première heure, j'arrive finalement chez Brice, mon frère ainé, il m'embrasse longuement, ainsi que Céline, ma belle-soeur. Ma nièce Clarisse me saute au cou, mais sa petite soeur Elise ne me reconnait pas. Pour finir, je serre dans mes bras mon père et ma mère, spécialement venus de France à l'occasion de mon passage ici. Apres une année d'aventures épiques, retrouver ainsi mes proches, si loin de chez nous, est une sensation un peu étrange. C'est surtout un immense réconfort.

La maison, assez grande et bien équipée, n'a rien d'exceptionnelle par rapport aux standards français, mais pour moi, c'est un palace. J'y retrouve les plaisirs de la table lors de repas gargantuesques, après quoi j'expose, photos a l'appui, les détails de mon épopée à une assistance conquise. Le week-end, tous ensemble, nous profitons des belles plages de sable blanc bordées de cocotiers pour lézarder au soleil ou nous baigner dans l'eau tiède. La semaine, mon grand frère, également mon meilleur ami, est peu disponible. Titulaire d'un poste à hautes responsabilités et soumis à une forte pression, il travaille durement. Et il évoque des millions d'euros comme moi des milliers de francs CFA. Bien entendu, nous nous chamaillons dès que l'occasion se présente. Céline, en attendant de trouver un emploi, dispense des cours d'anglais de temps à autre. C'est surtout une maman dévouée qui élève ses filles du mieux possible. Mes nièces chéries justement, sont toutes deux aussi mignonnes qu'éveillées. Clarisse, déjà cinq ans, est plutôt sage, très maline et curieuse de tout. Elise,
pas encore trois ans, est aussi têtue que téméraire. Il paraît qu'elle me ressemble... Avec elles, je goûte à nouveau le bonheur de jouer l'un de mes rôles préférés, celui de tonton. Quant à mes chers parents, après une vie de labeur, ils coulent une retraite paisible, mais sont contraints de parcourir des milliers de kilomètres pour voir leurs deux fils globe-trotters. J'éprouve aussi un grand plaisir à les emmener avec moi découvrir un petit bout d'Afrique, ici un quartier populaire, là un marché typique aux allées exiguës.

Et puis après quinze jours où j'apprécie chaque instant avec eux, vient le moment pour mes parents de repartir. Après de vibrants adieux, mon frère et moi les voyons disparaître dans la cohue de de l'aéroport de Port-Gentil. J'exploite d'ailleurs les semaines qui me restent pour sillonner la cité. Coincée entre l'océan et l'estuaire du fleuve Ogooué, elle est dediée à l'explotation du pétrole. Les étrangers fortunés et les gabonais employés dans le secteur bénéficient d'un centre-ville agréable, de boutiques et de supermarchés parfaitement achalandés. Mais les lointaines banlieues, souvent inondées en cette saison des pluies, ne sont qu'un enchevêtrement de cabanes en bois des plus sommaires. J'y retrouve Jean, sympathique garçon rencontré sur le navire nous transportant depuis Libreville. Chez lui, nous faisons plus ample connaissance puis, soucieux de mon bien-être, il tient à me présenter des copines. Parmi elles, la jolie Sydelvie, jeune mère célibataire et serveuse, émet en riant le désir de m'accompagner jusqu'à ma prochaine étape. Je la prends au mot et lui promet de l'emmener. En attendant, entouré d'êtres chers et bien à mon aise dans la maison douillette, je ne vois pas le temps passer. Pourtant, alors que je prépare minutieusement les quatre prochains mois durant lesquels je vais crapahuter de l'autre côté du continent, le moment du départ approche à grands pas. Mais je ne veux pas manquer une ballade dans la jungle et je décide d'un petit détour à l'intérieur des terres avant de quitter le pays.



Après une dernière soirée arrosée au champagne auprès de Brice, Céline et des filles, à l'aube, mon frère me souhaite bon vent devant la vedette sur laquelle je m'apprête à embarquer. Et alors que je ne l'attends plus, Sydelvie se pointe, toute pimpante. J'ai l'habitude de voyager seul, mais passer quelques jours en si charmante compagnie me ravit. Ainsi, pendant sept heures, nous remontons le cours du fleuve Ogooué, au débit inimaginable, parfois un kilomètre de
large, qui serpente au milieu d'une ahurissante explosion végétale. Le mur vert, inextricable, mesure bien cinquante mètres de hauteur, et malgré la fatigue, je ne rate pas une miette du spectacle. Nous séjournons deux jours à Lambaréné, ville moyenne situé au coeur de la forêt sur une grande île, qui déborde désormais largement sur les rives alentours. Comme ma belle rechigne à marcher de longues heures, je découvre seul ses ruelles escarpées, ainsi que le vaste hôpital du célébre docteur Schweitzer, Prix Nobel de la paix en 1952, qui consacra une partie de sa vie à soigner les indigènes. De bon matin, j'étreins une dernière fois Sydelvie, attristée mais compréhensive ; c'est là que nos chemins se séparent.











Il me faut deux jours pour me rendre au parc national de la Lopé. Le site est superbe : une savane herbeuse ponctuée de bois est bordée par l'Ogooué d'un côté et un massif montagneux de faible altitude de l'autre. C'est lors d'un safari avec d'autres touristes et un guide, en pick-up ammenagé, que j'observe, médusé, plusieurs troupeaux de buffles et quelques éléphants dans leur milieu naturel. Constatant que les animaux ne paraissent pas dérangés par notre présence et rassuré par le guide quant à leur dangerosité, je décide, le lendemain, que je n'ai besoin de personne pour partir à leur rencontre. A l'orée d'un bois, un vieux pêcheur m'indique que deux éléphants s'y trouvent. Entre excitation et appréhension, je m'engouffre dans l'épaisse végétation. Je sursaute lorsque des dizaines de petits singes, voltigeant d'arbres en arbres et hurlant au dessus de ma tête, semblent se moquer de moi. Plus loin, j'entends les pachydermes casser des branches pour se nourrir. Je me rapproche et parviens à les distinguer, à bonne distance. Satisfait, et surtout soucieux de ne pas me retrouver nez à trompe avec l'un de ces géants, je m'éloigne doucement et m'extirpe de la forêt. En fin de journée, alors que, exténué, je regagne le village à travers la savane, c'est tout un groupe qui vient vers moi. Sans qu'ils ne me voient, je m'éloigne de leur chemin et me cache dans les hautes herbes. En les regardant lentement passer, j'imagine que le papa ouvre la marche, suivi de ses deux fils adolescents, tandis que derrière, la maman pousse ses deux petites filles à la traîne.



Enfin, je regagne Libreville en train de nuit, à bord du Transgabonais. J'y rejoins mon ami Christophe, que je connais depuis quinze ans. Expatrié en Afrique depuis déjà une décennie, il a su rester, malgré sa réussite, un garçon simple et toujours aussi drôle. Pour quelques jours encore, je profite du confort de son bel appartement avec vue sur la mer. Le jour, je sillone le centre moderne de la capitale, dont certaines avenues ressemblent à l'Europe, ainsi que ses faubourgs défavorisés, ce qui me vaut quelques belles rencontres. Le soir, mon vieux copain et moi écumons restaurants haut de gamme et clubs huppés en nous remémorant, lors de franches rigolades, nos bêtises de lycéens insouciants.

Après cet intermède des plus reposants, pendant lequel j'ai retrouvé un peu de ma Sologne, me voilà toujours aussi déterminé, et prêt à m'envoler pour des contrées encore inconnues, mais plus pour très longtemps...

Sur les pentes (humides) du Mont Cameroun




Vu du ciel, le spectacle du delta du Niger est ahurissant : sur près de trois cent kilomètres, le fleuve majestueux se divise en d'innombrables cours d'eau qui serpentent dans la jungle avant de se jeter dans l'océan. En l'observant, Je comprends que je change d'atmosphère. En effet, en sortant de l'aéroport de Douala, plus importante ville du Cameroun, ce n'est pas tant la température que le taux d'humidité qui m'accable. Jusque-là plutôt chanceux quant à la météo, je tombe cette fois en pleine saison des pluies. Et l'ambiance est également déconcertante : les burkinabè, togolais ou béninois sont particulièrement aimables et enjoués, alors que les camerounais m'apparaissent souvent plus secs, voire fermés. Dès le premier soir, je subis d'ailleurs la première agression de mon épopée. Un jeune homme éméché qui me demande la pièce s'énerve de mon refus et menace de sortir un couteau. J'écrase alors sa main, qui n'a rien à faire dans ma poche, et il finit par déguerpir quand je lui hurle à la figure. Un peu refroidi par cette mésaventure, je m'interdis pourtant de faire des généralités ; à juste titre, puisque je suis accueilli chez différentes personnes tout au long de mon séjour au Cameroun.


Le territoire, d'une superficie comparable à la France, est très étendu en latitude, des paysages du Sahel du Nord à la forêt équatorial au Sud. Il présente également un relief très varié. D'abord colonisé par l'Allemagne, puis par la France et le Royaume-Uni après la Première Guerre Mondiale, L'Etat est, de ce fait, l'un des rares officiellement bilingue. Les deux cent quatre-vingts ethnies qui le composent lui procurent une culture très diversifiée, dont les traditions et les coutumes restent très présentes. Il est aujourd'hui peuplé par plus de vingt millions de personnes et dispose d'importantes ressources agricoles, forestières, minières et pétrolières. Il est encore le moteur de la sous-région, mais l'économie florissante des années 70 subit une récession catastrophique à partir de 1985. Dirigé d'une main de fer par Paul Biya depuis 1965, il est aussi tristement renommé pour une corruption démesurée et un chômage endémique. Au fil de ma route, je comprend qu'il est plus difficile d'accepter la misère quand on a connu l'opulence.


Je ne m'attarde pas à Douala, immense métropole portuaire d'environ deux millions et demi d'habitants. J''y observe des signes de prospérité récente mais le manque d'entretien, dû autant aux difficultés économiques qu'à des calculs politiques, entraîne une détérioration rapide. Et l'humidité accélère encore le phénomène : elle ronge tout, le bois, la tôle, et même le béton. J'ai tout de même le temps d'être hébergé par Valence, ingénue gérante d'un restaurant désert et qui habite un bien modeste deux pièces situé dans un bas-fond avec sept de ses frères et soeurs ainsi que son fils sans papa.


Dans un minibus bondé, je file d'abord à Limbé, station balnéaire
de la côte atlantique établie au pied du Mont Cameroun. Le colossal volcan, 4100 mètres d'altitude, est toujours actif, la dernière éruption datant de l'an 2000. Après avoir observé une large variété de grands singes dans un centre dédié à leur sauvegarde, je déambule un moment au bord de la mer. Sous mes pieds, le sable mêlé de cendres est noir. Puis entre deux nuages, tel un îlot dans le ciel gris, j'aperçois un instant le sommet de la montagne cracheuse de feu ; elle m'appelle.










Dans la soirée, j'atteins Buea, ville moyenne posée sur les flancs du volcan. J'y suis accueilli par Marcel et son large sourire ainsi que par l'espiègle Larry, dont je partage le lit de sa chambre d'étudiant. Ici, les gens parlent anglais ; le mien est un peu rouillé depuis l'Egypte et il me faut composer avec le pidgin english, l'argot local. Heureusement, mes compagnons font l'effort de ralentir le débit. D'autre part, le coin est connu pour être l'un des plus pluvieux de tout le continent. Avec la fraîcheur de l'altitude, j'attrape instantanément un rhume carabiné. Mais malgré mon état et les conditions climatiques, j'ai toujours la ferme intention de gravir la montagne. Miracle, ce matin-là, le ciel est bas mais nous épargne. Nous montons lentement au milieu d'une fantastique forêt tropicale, où il nous faut parfois ramper. Cinq heures plus tard, la tête dans les nuages, nous aboutissons à un étonnant décor de savane. C'est ici que mes amis me persuadent de stopper l'ascension, qui pourrait devenir dangereuse. Dans la descente, quand la piste le permet, nous galopons comme des gamins. Une minute après notre retour, l'orage éclate : nous sommes exténués, mais sec.


A bord d'un bus dont le confort est une notion abstraite, je continue ma
route vers les hauts plateaux de l'Ouest. Je m'arrête à Bafoussam, vaste agglomération au relief escarpé et aux allures de village. Toujours malade, je reste deux jours enfermé dans ma chambre d'hôtel. Alors que la santé va mieux, je fais un aller-retour jusqu'à Bandjoun, dont la chefferie est la plus éminente du pays Bamilékés. C'est le domaine du "Fon", le roi local, qui conserve toujours des fonctions officielles. J'y visite une immense case aux piliers finement sculptés et à l'impressionnant toit de chaume ; les conseils des notables s'y tiennent et on y rend la justice traditionnelle. A proximité d'un musée très instructif, j'examine l'imposante villa ultra-moderne du souverain, ainsi que les dizaines de petites cases en bambou de ses cinquante femmes.



Non loin de là, je m'arrête à Foumban, capitale du fameux Royaume Bamoun, vieux de sept siècles. C'est une agréable petite ville qui s'étend au milieu de la nature sur les pentes de quelques collines. Les gens d'ici sont surtout musulmans et réputés pour la qualité de leur artisanat. Dès mon arrivée, deux jeunes hommes m'abordent. Habitué aux sollicitations en tous genres, je les repousse poliment. Ils s'avèrent en fait très amicaux et désintéressés, je suis donc ravi de les suivre toute la journée. Nous visitons d'abord l'impressionnant palais du Sultan, construit en briques rouges voilà plus d'un siècle. Mes deux compères m'emmènent alors jusqu'à chez eux, dans les quartiers populaires, et me présentent à la famille. Un peu plus loin, la vingtaine de boutiques qui forment le centre artisanal proposent une invraisemblable collection d'objets divers : masques, bijoux, mobilier ou instruments de musique sont exposés du sol au plafond. Plus tard encore, la nuit s'éternise dans un bar sombre et bruyant, autour de bières et de brochettes ; les éclats de rire fusent.





Et je m'enfonce encore plus loin, encore plus haut dans les splendides
contrées montagneuses de l'Ouest. A Jakiri, minuscule bourgade qui se résume à un carrefour, je profite d'une éclaircie pour aller vagabonder dans la nature. Plein d'entrain, je traverse des champs, des forêts, des prairies. En haut d'une colline dominant trois vallées, j'aperçois un filet d'eau qui sort de terre : je décide de le suivre. Entre deux pentes, il devient vite ruisseau, puis torrent. Alors que je me faufile dans la mince mais épaisse haie végétale qui borde le cours d'eau, je surprends deux paysans. Ils m'offrent un grand verre d'un délicieux vin de palme. Dans un décor superbe, je poursuis ma ballade sur une piste étroite quand une pluie diluvienne s'abat sur moi, sans faiblir pendant les deux heures de marche qui me séparent de mon auberge.


Sur une piste détruite, un taxi-brousse me conduit ensuite à Bamenda, chef-lieu de la région du Nord-Ouest ; le joyeux Hygenus, à peu près mon âge, me rejoint à la gare routière. Je partage sa vie pendant plusieurs jours, le temps de faire sa connaissance et découvrir la localité et ses environs. Mon hôte habite avec un colocataire une grande maison au confort relatif, et effectue, de chez lui, de petits travaux d'édition. Le fait de devoir reparler anglais complique un peu nos échanges, mais je commence à m'habituer au pidgin. Avec ses copains, nous allons souvent pratiquer l'activité favorite des camerounais : boire de la bière. Je trouve aussi le temps de me rendre à la charmante bourgade de Bali. Devant le palais, des dizaines de personnes attendent de rencontrer le Fon. A l'intérieur, alors que le guide détaille la lignée royale, j'aperçois, dans une salle voisine, un tribunal en train de juger une affaire selon le droit coutumier. Le lendemain, toujours pas au top de ma forme, je m'administre une longue randonnée en guise de soin. Dans la campagne, au loin, je vise une grande colline toute ronde. D'en haut, le spectacle est d'une beauté irréelle. De hautes montagnes grises surplombent le lac
Bamendjing et sa vallée parsemée de collines verdoyantes. de puissantes cascades surgissent de partout. Assis sur une pierre, comme seul au monde, je ris bêtement. mon séjour à Bamenda s'achève sur un air de fête. Ce soir, c'est l'anniversaire d'Hygenus, attachant personnage. Je l'invite donc dans un de ces cabarets, très répandus au Cameroun. Le public s'y amuse, attablé ou sur la piste de danse, devant un orchestre complet qui joue à la demande des tubes africains. En rentrant, le chemin me parait étrangement plus sinueux qu'à l'aller.











Je reprends alors le bus en direction du Sud-Ouest. Après six heures de bus sans histoire en direction du Sud-Ouest, j'arrive à Yaoundé, capitale politique peuplée de près de deux millions d'âmes. Il me faut encore une heure à l'arrière d'une moto taxi à travers la circulation pour rejoindre Patience, qui a gentiment accepté de m'accueillir via internet. Son prénom est d'ailleurs une curieuse ironie du sort, puisque mon escale chez elle s'éternise. Jusque-là, j'ai assez bien suivi mon programme chargé, mais mon frère Brice éprouve des difficultés à m'obtenir le visa du Gabon où je dois le retrouver lui et sa famille, ainsi que nos parents. Là-bas, La politique d'émigration déjà rigide s'est encore durcie ces jours-ci. Patience, ravissante jeune femme de vingt-cinq ans, vit dans un appartement soigné au fin fond d'un faubourg résidentiel, lui-même au fin fond de la ville. Grâce à son père, elle peut se permettre de ne pas travailler. Elle héberge, pendant les vacances, son frère Samy, étudiant en droit de vingt-deux ans. Ces deux-là sont particulièrement oisifs, et passent le plus clair de leur temps à regarder la télévision ou à tchater sur le web. Fatigué par plus de deux mois de voyage depuis Dakar, je succombe rapidement à ce rythme léthargique. Lors de notre première rencontre, Patience m'avoue avoir un caractère difficile ; et même si les premiers jours, notre relation est des plus agréables, j'ai effectivement de plus en plus de mal à la saisir par la suite. Son frère, plus sociable, est ravi de parcourir avec moi les rues de Yaoundé. Bénéficiant de la présence du président, elle est nettement plus propre et mieux agencé que Douala. Nous sillonnons les rues commerçantes remplies de colporteurs en tous genres, ainsi que le marché principal, construction de béton massive et circulaire. Nous sillonnons la zone des ministères, avec ces hauts immeubles typiquement africains, apprécions de rares monuments, continuons à travers les quartiers chics de l'hôtel de ville et ceux du palais présidentiel avant de filer boire une bière chez sa maman, "au village". Nous rentrons à l'heure de pointe en nous entassant successivement dans plusieurs taxis collectifs. L'heure passée dans les embouteillages freinent quelques peu mes envies de retourner au centre-ville. Les journées, répétitives, s'écoulent lentement. De temps à autre, j'accompagne Patience au marché, l'emmène au musée ou au restaurant. Pourtant, notre relation est de plus en plus épineuse, et après deux semaines et une dernière embrouille inextricable, je finis par plier bagage avec perte et fracas. Il est minuit.
Dès le premier jour dans mon hôtel, à la périphérie du centre, je suis assommé par une étrange fatigue. Incapable de sortir, je reste au lit sans boire ni manger. Je parviens pourtant à faire quelques courses vers dix-neuf heures. Peu après, Samy, venu me rendre visite, constate mon état déplorable et réussit à me convaincre d'aller à l'hôpital. Le constat est sans appel : crise de paludisme carabiné. De retour dans ma chambre, la nuit est éprouvante ; groggy, j'écoute le bruit lancinant du lit tapant contre le mur sous mes tremblements fiévreux. Après trois jours alité, la santé revient peu à peu grâce aux comprimés de quinine. Ils ont néanmoins un curieux effet secondaire : ils rendent sourd, ou plutôt fortement malentendant. Convalescent et toujours dans l'expectative quant à mon visa, je fouille un peu plus chaque jour mon nouveau quartier qui s'étend sur une large colline. J'y rencontre une sympathique bande de copains, "les enfants du ghetto", selon leur propre expression. Ici, l'échelle sociale est une réalité physique : de haut en bas succèdent d'élégantes résidences, puis la rue et ses commerces défraîchis, et enfin les bas-fonds où vivent les plus démunis. C'est en suivant mes complices que je peux me faufiler dans cet effarant dédale de taudis bricolés. Finalement, grâce à un "arrangement", mon frère parvient à m'envoyer un fonctionnaire de l'ambassade du Gabon qui fait tamponner mon passeport. Malgré l'interdiction de passer par voie terrestre et, de fait, l'obligation de prendre encore un avion, le soulagement est grand.


De retour à Douala, d'où je dois m'envoler dans trois jours, je suis reçu par Armand. La trentaine, c'est un garçon ouvert et cultivé qui jouit d'une situation avantageuse dans une entreprise de services informatiques. Il loge dans une maison spacieuse mais vétuste et prépare avec impatience la visite de sa femme française et de sa petite fille métisse qui résident non loin de Bordeaux. Enfin libéré par le stress latent dû à l'issue incertaine de mon attente à Yaoundé, je profite avec allégresse de mes derniers moments au Cameroun. Seul et en silence, je laisse sereinement défiler les journées en bouquinant. Le soir, mon nouveau camarade m'entraîne, avec la même aisance, dans de somptueux établissements surtout peuplés de Blancs, ou dans des gargotes modiques où l'on déguste les spécialités locales. En peu de temps, Armand et moi développons une belle complicité. Le jour de mon départ, comme je ne décolle que dans la soirée, je m'accorde une longue promenade. En flânant au hasard, je ressens une impression bizarre de déjà-vu : Je reconnais en fait les endroits déjà traversés voilà un moi et demi. Cette fois c'est sûr, la boucle est bouclée.

Cotonou entre filles


Contrairement à mes habitudes, je sillonne le Bénin en restant basé à Cotonou, sur les rives du Golfe de Guinée. Les régions du Nord étant assez semblables à la partie septentrionale du Togo précédemment parcourue, je me concentre sur le Sud du territoire. De la résidence de mes aimables copines, je pars régulièrement pour de courtes expéditions vers les différents sites retenant mon attention.


En effet, le Bénin est doté d'une riche histoire : berceau du culte vaudou et plaque tournante de la traite des Noirs, il vit également prospérer le fameux Royaume du Dahomey pendant près de trois siècles. Aujourd'hui peuplé de neuf millions d'habitants, il jouit d'une belle réputation : la scolarisation atteint un niveau considérable et sa démocratie est souvent citée en modèle. D'ailleurs, le président Yayi Boni est médecin, ce qui me semble toujours plus opportun qu'un militaire...


A Cotonou, la bouillonnante capitale économique, j'entre immédiatement dans le vif du sujet : j'y arrive par la place de l'Etoile Rouge, souvenir de la période communiste. C'est un large rond-point au trafic démentiel ; l'air est irrespirable et le bruit assourdissant. Au milieu de centaines de motos, une petite voiture de sport occupée par deux jolies jeunes femmes s'arrête à ma hauteur. Olga, contactée sur internet, et son amie Arine viennent me sortir de ce chaos. Comme l'expansive Olga, ancienne comptable, attend de rejoindre en Europe son mari suisse, elle préfère éviter les ragots des voisins. Elle demande donc à Arine, qui habite le même palier, de m'héberger dans son appartement, assez petit mais très confortable. Plutôt timide, mon hôte a grandi à Abidjan et vit aujourd'hui avec sa sœur Mathilda, qui est handicapée depuis son plus jeune âge et se déplace avec des béquilles ; elle n'en reste pas moins très coquette. Ensemble, elles tiennent une boutique d'objets d'art colorée et variée.











J'ai besoin de trois jours pour appréhender l'impressionnante agglomération. Sa population est estimée à un million et demi d'habitants, mais j'ai l'impression qu'elle est nettement sous-évaluée. Située entre le Lac Nokoué et l'océan, elle est coupée en deux par un canal creusé par les colons français. Comme toujours en Afrique, les banlieues s'étalent à n'en plus finir. Puisque mes amies habitent un de ces quartiers excentrés, j'utilise comme tout le monde les motos-taxis, les zems, pour me déplacer. Le centre est un surprenant assemblage d'aménagements et d'édifices en tout genre. Une autoroute, avec ses autoponts, parvient jusqu'au cœur de la cité, tandis que des chemins de terre cabossés quadrillent les faubourgs, où abondent bars et restaurants. Le port, qui fonctionne à plein, implique un incessant ballet de camions qui empestent une atmosphère déjà lourde. A deux pas, la vieille gare désaffectée laisse une longue zone à l'abandon. De multiples immeubles dominent l'horizon : certains très modernes, d'autres plutôt décrépis. Et les buildings en construction se multiplient. A l'Ouest, sur la plage, caché derrière des commerces chics et des banques designs, je découvre un misérable bidonville, où les gamins jouent dans le sable gris. Tandis qu'à l'opposé, à l'Ouest, des lotissements de luxueuses villas sont encadrés de murs de quatre mètres de haut et barbelés. L'aéroport international, toujours au milieu de la métropole, se trouve non loin de là. Mais le plus saisissant est sans conteste le marché du Dantokpa, le plus grand de toute l'Afrique de l'Ouest, une ville dans la ville. Sur plus de vingt hectares, des milliers de commerçants proposent tous les produits imaginables, produits vivriers, artisanaux, ou manufacturés. Au milieu des galeries couvertes et des boutiques de tôle, un grand bâtiment sur trois niveaux est uniquement garni de pagnes ; probablement de quoi habiller tout le pays...





Ma première excursion hors de Cotonou m'emmène jusqu'à Ouidah, paisible bourgade de la côte. Elle est censée être le berceau de la religion vaudou, qui rassemble aujourd'hui plus de cinquante millions de pratiquants à travers le monde. Son culte est l'affirmation de puissantes forces invisibles, ainsi qu'un ensemble de rituels permettant de communiquer avec ces forces. Ces mystérieuses cérémonies ne sont accessibles qu'aux initiés, ce qui m'empêche d'y assister. J'ai néanmoins accès à la Forêt Sacrée, petit bois aux immenses arbres centenaires. Cela me permet d'imaginer à quoi pouvait ressembler la forêt jadis, puisqu'aujourd'hui, la déforestation a fait des ravages dans tout le pays. On y contemple également plusieurs statues menaçantes, représentant quelques divinités. Mais Ouidah, au XVIIIe siècle, était aussi l'un des centre de déportation d'esclaves les plus important de tout le continent. Dans l'ancien fort portugais transformé en musée, j'apprends que les redoutables rois du
Dahomey faisaient monter les enchères : on trouvait ici des forts portugais donc, mais aussi français, anglais, danois et hollandais. Dans l'après-midi, sous un soleil de plomb, j'arpente la Route des Esclaves qu'empruntaient les malheureux jusqu’aux bateaux négriers. Des statues commémoratives marquent le chemin jusqu'à la plage, où a été érigé la porte du non-retour ; difficile, dans ces conditions, de buller innocemment sur le sable...




Dès le lendemain, je me rends à Porto-Novo, capitale administrative paisible en comparaison de l'effervescence de Cotonou. Son centre possède un charme désuet, en raison de ses vieilles bâtisses de style colonial, teintées de rose ou d'orange. Mais surtout, Porto-Novo possède un fort héritage afro-brésilien, dû au retour sur la terre de leurs aïeuls des premiers esclaves affranchis, au XVIIIe siècle. Ils installèrent ici des comptoirs et certains firent fortune. C'est le cas de la famille Da Silva, dont le dernier représentant a fait de la maison familiale un extravagant musée qui expose la destinée de la diaspora. En flânant dans les rues, j'admire plusieurs maisons colorées, à étages et balcons, ainsi qu'une église devenue mosquée, assez délabrée mais extrêmement bariolée.




Quelques jours plus tard, par une après-midi ensoleillé, je décide de visiter Ganvié, fameux village lacustre. Encore une fois, les premiers habitants se sont installés ici pour se protéger des razzias esclavagistes. En pirogue, mon guide m'emmène pendant plusieurs kilomètres sur les eaux calmes et peu profondes du vaste lac Nokoué. Je découvre alors, stupéfait, une ville de plus de 30 000 âmes, qui habitent d'humbles maisons de bambous bâties sur des pilotis d'ébène. Ces gens vivent quasi exclusivement de pêche et de pisciculture. Quelques îlots artificiels supportent des bâtiments en béton :
église, mosquée ou école. Mais la place du marché est une vaste étendue d'eau où les clients naviguent au milieu des pirogues des marchands. Quant aux enfants, en guise de bicyclette, ils rament sur quelques bidons fixés entre eux.




La cité d'Abomey étant situé un peu plus loin, je prends cette fois deux jours pour l'explorer. Je viens voir ici les vestiges des Palais des Rois, puisqu'elle fut la capitale du Royaume du Dahomey, qui prospéra depuis le XVIIe siècle jusqu'à l'arrivée des colons français au début du XXe siècle. Mon aubergiste, original et érudit, se propose de me guider ; j'accepte après négociations. Les douves et le mur fortifié, qui protégeaient jadis la citadelle, ne sont plus qu'un vague fossé et un tas de pierre. Quant aux palais, construits en terre, ils ont aujourd'hui disparus pour la plupart. Heureusement les légendes contées par Dah, théâtral, atténuent un peu la déception. L'un deux a pourtant été rénové ; c'est une addition de petites maisons de terre et toit de tôle, vides. Elles pourraient très bien n'avoir que dix ans. Le lendemain, je visite le captivant musée historique, situé dans l'enceinte
de deux palais réhabilités eux aussi. Là encore, rien d'extravagant : les bâtiments sont plus grands et plus nombreux mais toujours assez simplistes. Toutefois, l'un d'eux arbore, sur ces piliers, d'admirables bas-reliefs. Dans des tableaux évocateurs, ils racontent l'histoire sanglante du Royaume. A l'intérieur, on peut admirer de nombreuses pièces fascinantes ; armes, outils, costumes. Les trônes des douze rois sont tous exposés. L'un d'eux est élégamment supporté par quatre crânes ennemis.




A Cotonou, la vie suit paisiblement son cours. Olga est captivée par la télévision française, et Arine et Mathilda travaillent tard : quand je ne suis pas en vadrouille, je passe donc mes journées seul à l'appartement. Le soir, quand nous ne sommes pas de sortie, mes copines et moi apprenons à mieux nous connaître. Cependant, dans l'attente de mon visa camerounais, le temps est parfois un peu long. Il n'y a pas d'ambassade du Cameroun au Bénin, mais heureusement Olga connait une camerounaise qui fait régulièrement l'aller-retour jusqu'à Lagos, au Nigéria voisin, afin de faire tamponner les passeports. Cela me permet au moins de préparer soigneusement mes prochaines aventures. Enfin, après une semaine d'indolence, je reçois le précieux sésame ; il est enfin temps pour moi de m'envoler vers d’autres cieux.

Bienvenue à lomé

Du fait d’infrastructures convergentes, j’entame le plus souvent la visite d’un nouvel état par sa capitale. Concernant le Togo, je débute cette fois par l’arrière-pays ; ses spectaculaires paysages de montagnes, de collines et de vallées verdoyantes, ses bourgades gentiment animées et ses villages reculés, avant de finir par la trépidante Lomé, érigée sur les rives du Golfe de Guinée.

Ce petit pays, coincé entre le Ghana et le Bénin, est un couloir large de moins d’une centaine de kilomètres pour sept-cent du Nord au Sud, très vallonné et bien arrosé, comme j’ai pu m’en rendre compte. Une quarantaine d’ethnies aux coutumes plus ou moins vivaces composent les 5 millions d’habitants. Déjà, le Burkina Faso affichait une belle mosaïque de religions, mais les togolais sont le premier peuple que je rencontre depuis longtemps à ne pas être majoritairement musulman. En l’occurrence, si on occulte les bissau-guinéens peu concernés, les derniers étaient les grecques. Ici, les chrétiens sont plus nombreux, mais les anciennes croyances animistes, même si elles s’oublient rapidement dans les pages de la Bible et du Coran, prédominent encore. L’immense majorité des actifs travaille la terre et n’a que des revenus de subsistance. En effet, la situation économique est précaire, ce que n’arrange pas la présidence autoritaire du jeune président autoproclamé Gnassimbé. Il fut à bonne école, puisque son militaire de père prit le pouvoir et le garda par la force durant trente-huit années.


Après quatorze heures de routes depuis Ouagadougou, durant lesquelles j’use un bus ancestral, un taxi-brousse rouillé, deux vans fatigués, une vieille moto-taxi, et mes baskets trouées, j’atteints finalement Kanté, petite localité du Nord. De là, je traverse, à l’arrière d’une moto, la magnifique et sauvage vallée de Tamberma. Bordée d’une chaîne de montagnes affichant toute la gamme des verts, qui contraste avec le gris du ciel, elle abrite les Batammariba, communauté installée ici depuis le XVIIe siècle afin de fuir les marchands d’esclaves. Pour la plupart d’entre eux, les usages ont peu évolué. Les croyances, les méthodes agricoles et les coutumes sont singulières, mais c’est surtout leur habitat qui étonne. Comme un hameau au milieu des champs, ils habitent les Tata Somba, fascinants château-forts miniatures construits en glaise. Devant l’entrée, des fétiches protègent la maison des étrangers malveillants. Des tourelles couvertes de chaume, un mur d’enceinte, un toit terrasse : le plan est très fonctionnel. Au rez-de-chaussée, on trouve une pièce noire permettant de voir dehors sans être vu grâce à deux yeux percés dans le mur, ainsi que la bergerie et la niche des chiens. Le palier est utilisé comme cuisine, et à l’étage, les tourelles font office de chambres, tandis que la terrasse sert de salle à manger et de lieu de détente. Ce matin, le chef du village est grognon ; il peste que les guides ne lui donnent pas l’argent prévu. Je le calme un peu en lui tendant un petit billet. Puis Aimé, mon amical chauffeur, me ballade à travers toute la vallée, au milieu d’un panorama éblouissant. Plus loin, on roule sur une ficelle : la frontière béninoise. Ici ou là-bas, pour les Batammariba, c’est le même pays…













Non loin de là, je m’arrête ensuite à Kara, plus de cent mille habitants et principale agglomération du pays Kabyé. Nichée sur un vaste plateau, la ville est agréable, mais pas autant que la compagnie de la pétillante Célestine, jeune serveuse rencontrée derrière son bar. Elle m’emmène notamment jusqu’au pittoresque marché de Pya, installé en pleine nature. Le village, d’ailleurs, est à peine visible, tant les maisons sont dissimulées par les arbres et les hautes herbes. Je fais aussi une longue randonnée dans les rues escarpées d’Atakpamé, plus au Sud, magnifique bourgade accrochée sur les flancs de luxuriantes collines. Mais les pluies fréquentes et la densité de la végétation m’empêchent de m’aventurer plus profondément dans la nature ; cela me permet au moins de me mêler d’avantage à l’accueillant peuple togolais.













Justement, à Lomé, la ravissante Bienvenue, qui porte si bien son nom, me réserve un accueil inconditionnel. Dans un petit immeuble collectif, elle occupe un deux-pièces sobre, sans meuble et sans eau, qu’il faut aller chercher au puits. Simple, gentille et fervente catholique, elle est étudiante en anglais et travaille également « à mi-temps » dans un cyber-café, huit heures par jour, sept jours sur sept, pour la modique somme de 20 000 francs CFA mensuels (trente euros). Je profite de ses absences pour arpenter les rues de la cité. Deux jours entiers me suffisent pour faire le tour de Lomé, énième capitale africaine. Evidemment en pleine expansion, la ville, moins d’un million d’habitants, supporte des travaux de voirie de grande envergure. Mais il y règne pourtant une atmosphère assez nonchalante. Elle aussi très hétérogène, dans le sens où les quartiers sont mixtes ; de grands résidences récentes ou en construction se mêlent à des bâtiments en piteux état, de belles maisons à étages sont voisines d’humbles logements bricolés. Le centre-ville est assez réduit, mais concentre une activité impressionnante : Autour du grand marché, qui n’est qu’une galerie marchande parmi d’autre, les rues fourmillent de commerçants qui s’affairent dans leur magasin ou derrière leur étal. Mais ils sont aussi très nombreux à porter leur boutique sur la tête. Je m’échappe de ce tapage sur la plage bordé de palmiers où je me délasse devant l’océan Atlantique quitté à
Dakar. Puis mon hôte me présente son frère Gédéon, la trentaine. Je suis vite stupéfait de rencontrer un garçon qui me ressemble autant. De bar sombre en maquis minuscule, nos discussions sont soutenues. Curieux, énergique et très attaché à son indépendance, c’est un électricien, qui, comme je l’ai fait moi-même, essaie progressivement de travailler pour son compte. Je rencontre rarement des gens qui comprennent vraiment les motivations de ma quête. Lui en saisit instantanément toutes les nuances, et ses mots élogieux à mon égard me donnent beaucoup de courage.


D’ailleurs, il est déjà temps de repartir.En seulement quelques jours, j’ai développé, avec le frère et la sœur, pour des raisons très différentes, une grande complicité. Dans le taxi-brousse qui m’éloigne du Togo, écrasé par mon imposante voisine, je me dis que je laisse encore deux amis précieux derrière moi.