Un noël dans la joyeuse pagaille cairote


La première chose qui frappe en découvrant le Caire, c'est l'extrême agitation qui règne dans ses rues crasseuses. Une foule dense grouille au mileu d'une circulation anarchique. Le bruit des moteurs hors d'âge et un concert ininterrompu de klaxons ne parvient pas à couvrir le brouhaha de rires et de cris des joyeux cairotes. Un épais brouillard noircit les murs de tous les bâtiments, au pied desquels, sur les trottoirs défoncés, les détritus se mélangent au sable du désert. Le premier test d'adaptation est la traversée d'une avenue : ni les voitures, fonçant sur quatre ou cinq files, ni les piétons, qui s'élancent de n'importe où, ne s'arrêtent. Le tout est de bien anticiper sa trajectoire... et de se jeter.










Après un temps d'adaptation certain, sous la saleté, je découvre une ville d'une richesse déconcertante. Après une journée durant laquelle je dors deux nuits, j'explore, pendant deux jours entiers et environ soixante kilomètres, la plupart des quartiers de la ville, qui sont autant de voyages dans le temps.
Le Caire subit une expansion constante et incontrôlée depuis la révolution dirigée par Nasser, en 1952. Aujourd'hui, l'agglomération compte environ 22 millions d'habitants (selon les sources) ; la ville même, 7 millions. Les immenses banlieues résidentielles ne présentent guère d'intérêt : vétustes ou plus récentes, elles ne sont qu'une accumulation de tours de béton brut et de briques. Par contre, la cité est un incroyable patchwork d'architectures et d'atmosphères différentes. Le centre-ville, construit à la fin du 19e siècle sur le modèle de Paris, comporte de larges avenues encadrées par d'élégants bâtiments de style Empire. Il émane de ses rues bondées un charme désuet, puisque la plupart des immeubles sont gris et délabrés ; le terme rénovation ne semble pas faire partie du vocabulaire égyptien...
Plus au Nord, sur la place Ramsès, l'automobile règne en maître ; une autoroute aérienne et ses multiples échangeurs survolent  des carrefours aux embouteillages ininterrompus. Au Sud, protégé par l'enceinte de l'antique Babylone d'Egypte, on visite le quartier copte comme un musée. Bastion de la chrétienté depuis le premier siècle de notre ère, il renferme quelques très belles églises. Et comme seul les piétons arpentent ses étroites ruelles pavées, la sérénité ambiante permet de se détendre un moment, avant de s'engouffrer dans l'extrême agitation du quartier islamique. Dominé par quelques magnifiques mosquées et de très belles maisons ottomanes, Il n'a guère changé depuis l'époque médiévale ; l'endroit est fascinant. Les habitants, qui portent les costumes traditionnels, se faufilent entre les charettes tirées par des ânes ou des chevaux, les troupeaux de moutons, les poules... Plus loin, le Khan al-Khalili, immense souk fondé au 14e siècle pendant la domination des Mamelouks, propose tous les produits imaginables, au mileu d'une foule compacte et bruyante.














Ma halte dans la capitale égyptienne, "la mère du Monde", est plus longue que prévu : j'ai bêtement perdu mon carte visa quelque part au bord de la Mer Rouge, il me faut donc attendre d'en recevoir une nouvelle avant de m'envoler vers la Tunisie. Ca n'est pas (encore) un problème, puisque j'utilise mes Traveler chèques. Surtout, cela me permet de me fondre dans la vie agitée du Caire, dans des circonstances exceptionnelles. Je loge d'abord trois jours chez Julie, une gentille journaliste française qui habite un bateau sur le Nil : la classe. Depuis, je partage l'appartement voisin avec un jeune artiste allemand, Malte, et Lewis, étudiant américain de vingt-trois ans. Je rencontre ce dernier par hasard, dans des circonstances improbables. Puisque il m'invite chez lui aussi longtemps que nécessaire, je retourne vivre sur le même bateau que j'ai quitté la veille ! L'endroit est un peu excentré, mais il suffit de traverser la rue pour se retrouver dans l'un des quartiers les plus populaires de la ville : Imbaba. Débordantes de vie, ses ruelles, où circulent scooters et tuk-tuks, abondent de minuscules échoppes en tout genre. On m'avait averti de l'insécurité qui règnait au Caire, pourtant, au milieu de la misère et de la saleté, tout le monde est très aimable et ravi de nous aider à la moindre occasion. Nous déambulons souvent, tout les trois, dans cet endroit captivant, où ne s'aventure aucun autre étranger, pour boire un thé, jouer au tavla, ou avaler quelques délicieux falafels.
Mes deux compères sont très attachants. Malte, en tant qu'artiste, est forcément décalé. Comme il mange ses mots, je ne comprend que la moitié de ses phrases. Il crée notamment une curieuse statue drapée du drapeau égyptien, qu'il accroche ensuite sur un pont, au dessus du fleuve. L'épisode lui vaut de passer l'après-midi dans les bureaux de la police secrète. Ses agents, incrédules, ont bien du mal a appréhender la signification de l'oeuvre... Quant à Lewis, apres avoir vécu deux ans à Paris, il prépare maintenant un master en anthropologie du Moyen-Orient. Il parle (un peu) français, espagnol (sa mère est cubaine), se débrouille en arabe, et fait beaucoup d'efforts pour que je comprenne son anglais. Intelligent, drôle et modeste, il est également excellent musicien : il écrit, compose, et enregistre sa propre musique. Il s'est aussi rendu à Gaza via les tunnels qu'empruntent les palestiniens pour sortir de leur territoire... Il est probablement le garçon le plus cool de la ville.

Comme Lewis est en vacances, nos nuits sont plus longues que nos jours. Nous festoyons sur le bateau avec quelques amis ; ou dans des clubs privés américains où se perd la jeunesse bourgeoise du Caire ; ou encore chez quelque égyptien, avec qui nous refaisons le monde dans une atmosphère enfumée.
Nous passons la soirée de noël chez un américain et une suédoise. Cette année, mon réveillon est international : une trentaine d'invités pour un quinzaine de nationalités de tous les continents. Le buffet est énorme et l'alcool importé coule à flots. Mais le summum de mon séjour cairote restera l'escalade de la pyramide de Khéops, sous la lumière diffuse de la pleine lune. Lors d'une soirée sur un toit de la banlieue de Gizeh, autour d'un feu, nous observons, perplexes, les immenses ombres triangulaires. En partant, au milieu de la nuit, nos intentions sont évidentes. Nous franchissons d'abord le haut mur d'enceinte, puis, au pied de la plus haute pyramide, la tentation est trop grande ; nous grimpons... L'ascension est délicate ; les énormes blocs sont très abîmés, friables, et couverts de sable. Et la pente est raide. A mi-chemin, je renonce à aller plus haut, et je convaincs mes amis d'en faire autant. Nous restons là un long moment, à contempler les lumières de la mégapole, assis sur une pierre posée là voici plus de 4500 ans.

Des eaux de la Mer Rouge au ciel de Louxor

Sharm el sheikh, c'est Las Vegas en Egypte. A la pointe sud du Sinaï, sur plus de 40 km le long du littoral, s'étend un plan d'urbanisme des plus simples : de la mer vers le désert, on trouve des hôtels gigantesques, puis de longues rues commerçantes perpendiculaires à la plage, une interminable voie rapide ponctuée de rond-points, et enfin les immeubles d'habitations des locaux. La ville, pourtant d'un bon standing, sonne faux : bâtiments rococos au couleurs criardes, statues dorées en plâtre, souvenirs en plastique. En arrivant dans la soirée, j'appelle mon hôte du jour avec le portable d'un aimable commerçant. Je me trouve au Sud de la cité, tandis que Viny habite au Nord. Le téléphone, que je suis dans tout le quartier, passe de main en main, jusqu'à celle du patron d'un magasin de bières. Mon ami en commande un stock impressionnant, et me voilà parti, à cent à l'heure, assi derrière le livreur sur une moto d'un autre âge. Je tiens d'une main mon sac qui déborde du coffre, et de l'autre mon chapeau. Bien sûr, la moto rend l'âme a mi-chemin, elle sera remplacée une demi-heure plus tard ; l'aventure... Viny, égyptien de 32 ans au gabarit imposant, m'accueille en grande pompe : sandwichs, bieres, haschisch. Le gaillard, charismatique et perspicace, à vécu douze ans aux Etats-Unis, avant de revenir au pays. Il est aujourd'hui manager qualité dans un grand hôtel, et sa fonction résume assez bien le personnage. Il vit dans une luxueuse résidence avec piscine et gardiens, et partage un vaste appartement parfaitement équipé avec ses deux ravissantes femmes, une égyptienne et une russe, qui lui obéissent au doigt et à l'oeil. Et comme tout le monde ici, c'est un fêtard aguerri. L'accès aux plages étant interdit pour cause d'attaques de requins blancs (trois morts en quelques jours), et ces dames s'occupant parfaitement de nous, je n'éprouve pas le besoin de mettre le nez dehors. Pendant deux longues nuits, nous partageons nos expériences dans l'ivresse et la bonne humeur. Le sens de l'hospitalité de mon ami est tel qu'il me faut même refuser sa dernière proposition...

Puisque, étrangement, il ne semble pas y avoir de ferry en partance pour la ville d'Hurghada, je la rejoins en bus, via le Caire ; quinze heures de bus à la place d'une heure de bateau... Sur "la route de la mort", vers la capitale, je constate en effet que les camionneurs inconscients conduisent des monstres à deux remorques comme des gamins jouent aux petites voitures. Un accident et un cadavre plus tard, le bus plonge dans le tunnel du Canal de Suez : lorsqu'il ressort sur l'autre rive, je suis en Afrique. Je ne reste que cinq longues et éprouvantes minutes au Caire, le temps nécessaire pour traverser une large route, trois fois trois voies, au trafic dense, et d'attraper in extremis un autre bus en direction du Sud.

Hurghada, comme Sharm, est entièrement dédiée au tourisme, l'atmosphère africaine en plus. Les rues sont sales et poussièreuses, la construction des bâtiments n'est terminée que dans les niveaux inférieurs. Au dernier étage, les murs ne sont pas encore maçonnés et les tiges de fers dépassent des poteaux en béton. L'ambiance est bon enfant, et même les vendeurs, qui harponnent le touriste toutes les dix secondes, sont sympathiques. Comme j'apprend l'art du commerce arabe depuis deux semaines, je négocie mon hôtel à un prix dérisoire, tandis que ma journée d'exploration sous-marine sur un bateau est bon marché. Palmes aux pieds et tuba au bec, je passe de longues heures à traquer les poissons multicolores qui se cachent dans les coraux. Du fait de l'intense exploitation touristique, la faune et la flore, près des côtes, sont amoindries. Pourtant, la richesse de la nature est encore telle que je nage, au sens propre, en plein bonheur, dans les eaux turquoises de la Mer Rouge.
Après les sciences naturelles, place à l'histoire. Mon cours se situe cette fois à l'antédiluvienne Louxor. Encore grâce au réseau mondial, je trouve un hôte, qui, par chance, est tour-opérateur. Je loge avec lui, dans sa chambre, pendant trois jours. Ahmed, 31 ans, habite avec sa mère et son petit frère un appartement modeste, dans un quartier très populaire à l'écart de la ville. Celui-ci étant un fervent musulman doublé d'un caractère obstiné, je dois faire preuve d'une grande diplomatie pour ne pas être converti dans l'heure qui suit notre rencontre. Ahmed est croyant, soit, mais il n'en est pas moins homme, donc faible. Après nos échanges métaphysiques, nous nous affrontons au cours de parties de football virtuelles, accompagnées de bières et d'herbe locales ; étrangement, les soirées me semblent familières...
Concernant mes visites, mon ami ne me laisse pas trop le choix, il me prend simplement, chaque matin, une épaisse liasse de billets, et se charge de tout, me tenant soigneusement à l'écart de toute négociation. La manière me laisse un petit goût amer, mais les prestations sont néanmoins exceptionnelles : voiture, chauffeur et guide particuliers ! Soit, à Louxor, j'explose mon budget, mais au dixième des prix facturés au touriste lambda. Et puis les trésors de l'Ancienne Egypte valent bien ça.

Le premier jour est consacré à la Cité des Morts. La Vallée des Rois, antique cimetière des pharaons, est située au coeur d'un vaste massif montagneux couleur sable. Aujourd'hui, soixante tombes ont été exhumées, et on découvre encore... Nous en explorons d'abord trois : de longs tunnels descendent profondément dans le roc. Chaque centimètre carré de pierre est couvert de minuscules hiéroglyphes et de grands personnages peints, racontant la vie du souverain. Puis on atteint une ou plusieurs salles, parfois occupées de colonnes, puis, enfin, la chambre mortuaire, où est retracé le passage du pharaon de la vie vers la mort. Là encore, les murs sont recouvert de gravures somptueuses aux couleurs éclatantes, malgré leur âge canonique... La dernière, celle du fameux Toutankhamon, est étroite, mais extraordinaire : en bas de l'escalier abrupte, l'enfant-roi est toujours là, 3400 ans après sa mort : troublante rencontre. La momie, sous verre et le cuir intact, semble regarder vers les étoiles. A l'opposé, le cercueil est cette fois en quartz rose finement sculté ; tandis qu'à l'intérieur, le sarcophage est coiffé de l'authentique et éblouissant masque funéraire, onze kilos d'or massif à l'effigie du souverain... Nous visitons ensuite le superbe temple d'Hatchepsout, bâti au XVe siècle avant J.C., dans un style qui pourrait être contemporain. La Reine, qui se fit passer pour Roi, fut le premier travesti connu de l'Histoire. Enfin, je contemple longuement les colosses de Memnon, près de vingt mètres de hauteur, qui furent les gardiens d'un énorme temple aujourd'hui disparu.

Le second jour est consacré à la cité des vivants, sur la rive Est du Nil. Le temple de Karnac, qui s'étend sur la surface hallucinante de deux kilomètres carrés, est à coupé le souffle. C'est en fait une succession de trois temples principaux, élaborés et complétés sur une période de treize siècles. Tous les fantasmes de l'égyptologue amateur sont là : interminable allée de sphinxs, statues monumentales, portes gigantesques, obélisques vertigineux... Et, au centre de l'ensemble, le visiteur, deja stupéfait, decouvre l'enceinte d'Amon-Ré : cent trente-quatre immenses colonnes en forme de papyrus, entièrement gravées d'idéogrammes et encore partiellement colorées, pointent vers le dieu-soleil, plus de trois millénaires apres leur édification ; incroyable. En fin d'après-midi, mon guide m'abandonne tandis que je parcours le Temple de Louxor. A moitié enseveli par la ville nouvelle, il s'avère moins impressionnant que celui de Karnak. Pourtant, la lumière du jour déclinant, ma promenade, parmi ses hiéroglyphes, ses colonnes et ses imposantes statues, s'imprègne d'une magie intense : le ciel est rouge, le temps s'arrête...




Le dernier jour, avant l'aube, je me dirige encore vers la cité des morts, cette fois à bord d'un petit bateau. Je ne vais pas descendre sous terre, mais m'élever au dessus des montagnes. Un petit tour en montgolfière au dessus de la Vallée du Nil et des temples, je suis bien obligé d'admettre qu'Ahmed connait son boulot... Lorsque que le ballon est enfin gonflé, le soleil apparait. Moi et une vingtaine d'autres compagnons embarquons dans le grand panier, tandis que le capitaine fait cracher le feu. En silence, le ballon monte, la montagne sacrée des Rois s'embrase, puis c'est toute la luxuriante vallée qui retrouve sa teinte vert vif. Et comme je n'ai dormi que deux heures, j'admire, entre songes et contemplation, le même majestueux paysage que les pharaons, voici quatre ou cinq millénaires ; mais eux, aussi puissants furent-ils, ne l'ont jamais vu du ciel.

Petra, vermeille merveille

Après avoir quitté mes amis de Gaziantep, je retrouve, à Ankara, la gentille Gaya et son accueillante famille. Comme je constate que les billets d'avion pour la Jordanie sont nettement plus cher au départ de la Capitale que d'Istanbul, je repars, deux jours plus tard, vers l'énorme métropole. L'idée de revenir sur mes pas me déplaît quelque peu, surtout que je traverse une nouvelle fois la Turquie, cette fois dans les airs, en seulement une heure, juste le temps de contempler le coucher de soleil au dessus des nuages. Il m'aura fallu dix-huit heures de bus pour faire le chemin inverse...

Je réside deux nuits a Amman la Blanche, capitale de la Jordanie, qui, en l'occurence, est plutôt grise. Pendant une journée entière, j'explore les rues sales et agitées du vieux centre. les quartiers populaires, principalement habités par des refugiés palestiniens, sont en piteux état. Je visite l'antique citadelle, successivement occupée par plusieurs civilisations mais qui n'est plus qu'un champ de ruine, ainsi que l'impressionnant théâtre romain. Plus loin, j'admire la somptueuse mosquée du Roi Abdallah 1er, l'une des plus remarquable du Moyen-Orient. La majorité des femmes sont voilées ; les autres, comme que la plupart des hommes sont habillées à l'occidental. Dans ce pays allié des Etats-Unis, le mode de vie américain a envahi les rues. En périphérie, la ville supporte un développement exponentiel : les faubourgs résidentiels sont impeccables et cossus, tandis que dans les quartiers d'affaires s'élèvent d'audacieux buildings.


Puis je rallie l'un des points d'orgue de mon périple, la mythique Petra. Nichée dans une large vallée, au coeur d'un vaste massif montagneux, l'antique cité développée par les nabatéens dès le VIe siècle avant J.C., atteint son apogée au debut de notre ère. Puis elle continue de prospérer grâce à sa position stratégique, au carrefour de plusieurs routes commerciales, sous la domination romaine, puis byzantine. Sa splendeur s'achève au milieu du IVe siècle après J.C., suite à un violent séisme qui détruira la ville.
Pour atteindre la cité, le visiteur doit emprunter le même chemin que les caravanes d'antan. Le Siq, un étroit canyon de près de deux kilomètres, fait monter le suspens. Il serpente entre deux falaises hautes de deux cents mètres, parfois espacées de seulement deux mètres. Déjà, les formes et les couleurs de la roche sont stupéfiantes. Et soudain, la lumière jaillit : en quelques pas, je suis au pied de l'éblouissante et monumentale Khazneh. Je reste une éternité devant ce trésor rouge, ébahi, dont je rêve depuis mon enfance, lorsque j'aprenais à lire avec Tintin, cet imposteur (confer l'album Coke en Stock !). La façade, trente mètres de large et quarante de hauteur, est resplendissante, malgré ses deux mille ans.

L'allée débouche ensuite sur la vallée où vivaient 25 000 personnes, cent générations plus tôt. Evidemment, on ne peut qu'imaginer l'effervescence qui y régnait, puisqu'il ne subsiste plus, immobiles et silencieux, que les vestiges taillés dans la roche. Richement décorés, on admire des temples monumentaux, des tombes colossales, un théâtre romain vertigineux. Les habitations troglodytes encore visibles sont bien plus sommaires.

L'héritage du passé n'est pas le seul attrait du lieu, puisque là encore, la nature a fait preuve d'une grande créativité. L'érosion a sculté de mystérieuses formes dans la roche, tandis que de magnifiques arabesques sont dessinées par une improbable palette de couleurs, surtout rouge et rose, mais aussi blanc, jaune, orange, violet, parfois, bleu ou encore noir...

L'experience est egalement sportive, puisque, au pas de course, j'escalade puis dévale, via d'interminables escaliers, les montagnes environnantes. Au sommet, on y observe divers sanctuaires, des citernes, et surtout le majestueux Deir. Au-dessus de celui-ci, je gravis encore un pic rocheux, le point culminant du massif, d'où la vue est époustouflante. A l'ouest, les montagnes noires tombent à pic dans le désert blanc. Plus loin, on aperçoit le Jourdain et, au-delà, les terres d'Israël ; si près, si loin...


Je termine mon séjour jordanien par une halte à Aqaba, unique ville portuaire et cité balnéaire du Royaume. Je suis accueilli par Amer, étudiant en cinéma et excellent guitariste. D'origine palestinienne, comme les deux tiers des habitants du pays, il m'explique que ses parents ont dû fuir leur terre lors de l'exode de 1967. Son opinion, forcément partisane mais néanmoins réaliste, sur les enjeux et l'histoire du Moyen-Orient est pour moi un éclairage précieux. Plus tard, nous oublierons ces considérations politiques en passant une belle soirée avec quelques uns de ses amis. Enfin, avant de ralier l'Egypte, Je profite de la chaleur pour goûter les eaux tiédes et cristallines de la Mer Rouge, tandis qu'au même moment, mon pays a revêtu un épais manteau blanc...