Interludes

Durant mon voyage, je rencontre quelquefois des routards puristes qui dédaignent les lieux touristiques, pas assez authentiques à leur goût. Je croise aussi de nombreux vacanciers qui n'osent pas s'aventurer hors des sentiers balisés. Quant à moi, sans a priori, je mange à tous les râteliers, partageant la vie quotidienne des peuples autochtones ou visitant les sites les plus fameux avec le même bonheur.



Avec mon ami Raoul, bel exemple de métissage puisque sénégalo-franco-vietnamien, nous explorons l'emblématique Ile de Gorée, bastion du colonialisme français lorsque Dakar n'était encore composée que de quelques cases. Conclusion de mes études sur la Traite des Noirs, nous visitons la Maison des Esclaves, ancien lieu de transit des captifs avant leur départ pour le Nouveau Monde ou les ports européens. Les conséquences de cet abominable commerce qui se perpétua pendant quatre siècles se mesurent encore aujourd'hui dans le sous-développement du continent. Mais Gorée est aussi un paisible village préservé, sans moteur, a l'abri de l'agitation de la capitale. Les maisons colorées ressemblent à celles des campagnes françaises, les ruelles sont fleuries et un grand baobab trône au milieu de la grand place. Après avoir sillonner l'île, nous passons la soirée sur la plage abandonnée par les touristes, en compagnie de quelques rastas locaux, qui nous invitent gentiment à diner.



Quelques jours plus tard, contre l'avis général, je souhaite assister au match de football Sénégal - Cameroun. J'invite ce bon Eddy qui, d'abord réticent, accepte finalement ma proposition. La partie, à fort enjeu, est ennuyeuse pendant quatre-vingt-dix minutes, mais l'ambiance est joyeuse et bon enfant. Dans les arrêts de jeu, les 60 000 spectateurs retiennent leur souffle ; au bout du suspens, les joueurs sénégalais marque le but de la victoire, le stade explose. Les supporters sautent des gradins et envahissent le terrain. Ce soir, la ville est en fête.



Puis encore avec Eddy, nous quittons le bruit et la saleté de Dakar pour aller respirer l'air pur du Lac Rose, qui tient sa couleur de sa forte concentration en sel. S'y rendre en transport en commun se révèle être une sacrée expédition, la sortie de l'agglomération étant très embouteillée. Mais une fois sur place, le paysage, sublime, et la quiétude nous emplissent d'une grande sérénité. Et comme en faire le tour s'impose à moi comme une évidence, nous marchons silencieusement pendant plus de quatre heures, observant la végétation, les oiseaux, ainsi que les ouvriers qui travaillent à extraire le sel.



Les Mamelles sont deux collines d'origine volcanique, qui dominent la presqu'île du Cap-Vert. Accompagné de Raoul et d'Eddy, je gravis les deux édifices bâtis à leurs sommets. Le Monument de la Renaissance Africaine, récemment achevé, est la plus haute statue du monde, représentant une famille pointant vers le ciel. Décriée pour son coût énorme, elle est pourtant, de mon point de vue, très impressionnante. Après avoir subi le discours de propagande du guide, nous montons, via un ascenseur, dans le couvre-chef de l'homme. La décéption est grande lorsque nous constatons que les vitres sales ne permettent pas de contempler la vue. Les concepteurs n'ont pas prévu l'ouverture des fenêtres afin de les nettoyer. Mes remarques acerbes à l'officiel font bien rire mes camarades. Sur l'autre colline, face à l'océan, nous grimpons sur le Phare des Mamelles. Bâti en 1860 par les colons, c'est la toute première construction de la ville. Cette fois, la vue est imprenable.


Pendant mon séjour à Dakar, je sympathise aussi avec Biba. Elevé en région parisienne, c'est un parfait banlieusard. Pourtant, son père, immigré haïtien, est un acteur important de la culture sénégalaise. Artiste complet, le vieil homme a aussi bâti, au fil des ans, un magnifique et original complexe hôtelier consacré à la création artistique, à Toubab Dialaw, sur la Petite Côte au Sud de la capitale (espacesobobade.com). Lorsque notre ami se propose de nous y emmener, Raoul, Eddy et moi-même ne nous faisons pas prier. Nous passons quelques jours là-bas, entre l'hôtel posé sur une falaise ocre au bord de l'océan, et la résidence privée du Papa.
Au milieu de la brousse sèche, une superbe maison, entièrement autonome, est nichée au sommet d'une colline verdoyante. Sur la propriété arrosée par une petite rivière, on trouve également un potager, un jardin botanique, et en contrebas de la terrasse couverte par des dômes de briques, un incroyable théâtre à ciel ouvert. Conduits par Raoul, nous naviguons donc entre la plage, la terrasse qui la domine, le village, la brousse. Et pendant les festivités nocturnes, nous grillons sur le feu poulets et poissons, tandis qu'Eddy prépare avec soin les niama-niama, les accompagnements. Et le week-end suivant, comme Biba réitère son invitation, je réserve la surprise à Yo, rentré de France la veille, de découvrir les lieux. Je retrouve mon vieil ami, les rigolades n'en sont que plus bruyantes.


Et alors que mon épisode dakarois touche à sa fin, puisque Yo et moi bouclons les préparatifs d'un petit tour dans le Sud du Sénégal, en Guinée-Bissau et en Guinée Conakry, je tombe par hasard sur la très charmante Hawa, au Maquis, le restaurant en bas de la maison. Petite peul de vingt-cinq ans, étudiante et danseuse émérite, j'avais passé trois mois plus tôt une après-midi avec elle, parmi d'autres, sur la plage de l'Ile de Ngor, sans jamais la revoir par la suite. Mais cette fois, nous sommes bien décidés à ne pas laisser passer l'occasion. Pendant que nous déjeunons côte à côte, malgré la présence de ses copines et de Yo, nous sommes seuls au monde. Et après une belle et chaude soirée dans une boîte de nuit huppée, immanquablement, nous finissons la nuit ensemble. J'avais abandonné l'idée de trouver, à Dakar, une fille simple, gentille et sincère, mais Hawa est un oiseau rare. Je passe les jours suivants à éplucher mon carnet d'adresses afin de dénicher une chambre, ici ou là, pour quelques heures. Enfin, à quelques jours du départ, un ami de Yo qui s'absente à l'étranger me propose de me prêter son appartement. Là, dans l'intimité tant attendue, nous rapprochons nos grandes différences ; l'échange culturel est total.