réunion de famille sous l'Equateur



Sur la route qui me voit traverser toute l'Afrique d'Ouest en Est, après trois mois d'un voyage extraordinaire depuis Dakar, je viens trouver au Gabon, a mi-chemin, un répit merité auprès des miens, dans le monde feutré des expatriés.



Nation d'Afrique Centrale bordé par l'océan Atlantique et situé sur le passage de l'Equateur, le Gabon est géographiquement caracterisé par sa forêt, qui recouvre plus des trois quarts de son territoire. Les revenus substantiels tirés de ses abondantes ressources naturelles en font une exception sur le continent. On y exploite le bois bien sûr, ainsi que le manganèse, le fer, mais surtout le pétrole, qui assure près des deux tiers des revenus de l'Etat. Mais tous les gabonais ne bénéficient pas de ces atouts de la même manière. il existe bien une classe moyenne importante et plutôt aisée, qui tend à vivre à l'occidentale. Mais puisque le pays, ne produisant presque rien, importe tous les biens de consommation, produits agricoles compris, les prix sont souvent exhorbitants. Ainsi, ceux qui ne trouvent pas de place dans l'avantageux système, à mon avis la grande majorité, vivent dans des conditions précaires. Composée d'une cinquantaine d'ethnies, parmi lesquelles les Fangs, les Punu, les Nzébis ou les Miénè, la faible population d'un million et demi d'habitants, très largement chrétienne, se concentre pour moitié dans la capitale. Après la colonisation française, la patrie fut dirigé d'une main de fer par Omar Bongo pendant quarante-deux ans. Et là aussi, la démocratie est une notion toute relative puisque c'est son fils Ali qui est maintenant président.




Quant à moi, après une courte halte à Libreville, c'est un bord d'un vieux bateau de marchandises que je franchis l'Equateur en me rendant à Port-Gentil. Le navire n'étant pas vraiment équipé pour le transport de passagers, c'est allongé sur une natte, au milieu des autochtones, que je passe la nuit. Quand, à la première heure, j'arrive finalement chez Brice, mon frère ainé, il m'embrasse longuement, ainsi que Céline, ma belle-soeur. Ma nièce Clarisse me saute au cou, mais sa petite soeur Elise ne me reconnait pas. Pour finir, je serre dans mes bras mon père et ma mère, spécialement venus de France à l'occasion de mon passage ici. Apres une année d'aventures épiques, retrouver ainsi mes proches, si loin de chez nous, est une sensation un peu étrange. C'est surtout un immense réconfort.

La maison, assez grande et bien équipée, n'a rien d'exceptionnelle par rapport aux standards français, mais pour moi, c'est un palace. J'y retrouve les plaisirs de la table lors de repas gargantuesques, après quoi j'expose, photos a l'appui, les détails de mon épopée à une assistance conquise. Le week-end, tous ensemble, nous profitons des belles plages de sable blanc bordées de cocotiers pour lézarder au soleil ou nous baigner dans l'eau tiède. La semaine, mon grand frère, également mon meilleur ami, est peu disponible. Titulaire d'un poste à hautes responsabilités et soumis à une forte pression, il travaille durement. Et il évoque des millions d'euros comme moi des milliers de francs CFA. Bien entendu, nous nous chamaillons dès que l'occasion se présente. Céline, en attendant de trouver un emploi, dispense des cours d'anglais de temps à autre. C'est surtout une maman dévouée qui élève ses filles du mieux possible. Mes nièces chéries justement, sont toutes deux aussi mignonnes qu'éveillées. Clarisse, déjà cinq ans, est plutôt sage, très maline et curieuse de tout. Elise,
pas encore trois ans, est aussi têtue que téméraire. Il paraît qu'elle me ressemble... Avec elles, je goûte à nouveau le bonheur de jouer l'un de mes rôles préférés, celui de tonton. Quant à mes chers parents, après une vie de labeur, ils coulent une retraite paisible, mais sont contraints de parcourir des milliers de kilomètres pour voir leurs deux fils globe-trotters. J'éprouve aussi un grand plaisir à les emmener avec moi découvrir un petit bout d'Afrique, ici un quartier populaire, là un marché typique aux allées exiguës.

Et puis après quinze jours où j'apprécie chaque instant avec eux, vient le moment pour mes parents de repartir. Après de vibrants adieux, mon frère et moi les voyons disparaître dans la cohue de de l'aéroport de Port-Gentil. J'exploite d'ailleurs les semaines qui me restent pour sillonner la cité. Coincée entre l'océan et l'estuaire du fleuve Ogooué, elle est dediée à l'explotation du pétrole. Les étrangers fortunés et les gabonais employés dans le secteur bénéficient d'un centre-ville agréable, de boutiques et de supermarchés parfaitement achalandés. Mais les lointaines banlieues, souvent inondées en cette saison des pluies, ne sont qu'un enchevêtrement de cabanes en bois des plus sommaires. J'y retrouve Jean, sympathique garçon rencontré sur le navire nous transportant depuis Libreville. Chez lui, nous faisons plus ample connaissance puis, soucieux de mon bien-être, il tient à me présenter des copines. Parmi elles, la jolie Sydelvie, jeune mère célibataire et serveuse, émet en riant le désir de m'accompagner jusqu'à ma prochaine étape. Je la prends au mot et lui promet de l'emmener. En attendant, entouré d'êtres chers et bien à mon aise dans la maison douillette, je ne vois pas le temps passer. Pourtant, alors que je prépare minutieusement les quatre prochains mois durant lesquels je vais crapahuter de l'autre côté du continent, le moment du départ approche à grands pas. Mais je ne veux pas manquer une ballade dans la jungle et je décide d'un petit détour à l'intérieur des terres avant de quitter le pays.



Après une dernière soirée arrosée au champagne auprès de Brice, Céline et des filles, à l'aube, mon frère me souhaite bon vent devant la vedette sur laquelle je m'apprête à embarquer. Et alors que je ne l'attends plus, Sydelvie se pointe, toute pimpante. J'ai l'habitude de voyager seul, mais passer quelques jours en si charmante compagnie me ravit. Ainsi, pendant sept heures, nous remontons le cours du fleuve Ogooué, au débit inimaginable, parfois un kilomètre de
large, qui serpente au milieu d'une ahurissante explosion végétale. Le mur vert, inextricable, mesure bien cinquante mètres de hauteur, et malgré la fatigue, je ne rate pas une miette du spectacle. Nous séjournons deux jours à Lambaréné, ville moyenne situé au coeur de la forêt sur une grande île, qui déborde désormais largement sur les rives alentours. Comme ma belle rechigne à marcher de longues heures, je découvre seul ses ruelles escarpées, ainsi que le vaste hôpital du célébre docteur Schweitzer, Prix Nobel de la paix en 1952, qui consacra une partie de sa vie à soigner les indigènes. De bon matin, j'étreins une dernière fois Sydelvie, attristée mais compréhensive ; c'est là que nos chemins se séparent.











Il me faut deux jours pour me rendre au parc national de la Lopé. Le site est superbe : une savane herbeuse ponctuée de bois est bordée par l'Ogooué d'un côté et un massif montagneux de faible altitude de l'autre. C'est lors d'un safari avec d'autres touristes et un guide, en pick-up ammenagé, que j'observe, médusé, plusieurs troupeaux de buffles et quelques éléphants dans leur milieu naturel. Constatant que les animaux ne paraissent pas dérangés par notre présence et rassuré par le guide quant à leur dangerosité, je décide, le lendemain, que je n'ai besoin de personne pour partir à leur rencontre. A l'orée d'un bois, un vieux pêcheur m'indique que deux éléphants s'y trouvent. Entre excitation et appréhension, je m'engouffre dans l'épaisse végétation. Je sursaute lorsque des dizaines de petits singes, voltigeant d'arbres en arbres et hurlant au dessus de ma tête, semblent se moquer de moi. Plus loin, j'entends les pachydermes casser des branches pour se nourrir. Je me rapproche et parviens à les distinguer, à bonne distance. Satisfait, et surtout soucieux de ne pas me retrouver nez à trompe avec l'un de ces géants, je m'éloigne doucement et m'extirpe de la forêt. En fin de journée, alors que, exténué, je regagne le village à travers la savane, c'est tout un groupe qui vient vers moi. Sans qu'ils ne me voient, je m'éloigne de leur chemin et me cache dans les hautes herbes. En les regardant lentement passer, j'imagine que le papa ouvre la marche, suivi de ses deux fils adolescents, tandis que derrière, la maman pousse ses deux petites filles à la traîne.



Enfin, je regagne Libreville en train de nuit, à bord du Transgabonais. J'y rejoins mon ami Christophe, que je connais depuis quinze ans. Expatrié en Afrique depuis déjà une décennie, il a su rester, malgré sa réussite, un garçon simple et toujours aussi drôle. Pour quelques jours encore, je profite du confort de son bel appartement avec vue sur la mer. Le jour, je sillone le centre moderne de la capitale, dont certaines avenues ressemblent à l'Europe, ainsi que ses faubourgs défavorisés, ce qui me vaut quelques belles rencontres. Le soir, mon vieux copain et moi écumons restaurants haut de gamme et clubs huppés en nous remémorant, lors de franches rigolades, nos bêtises de lycéens insouciants.

Après cet intermède des plus reposants, pendant lequel j'ai retrouvé un peu de ma Sologne, me voilà toujours aussi déterminé, et prêt à m'envoler pour des contrées encore inconnues, mais plus pour très longtemps...