toi, le Monde / you, the World

















Hello (english),

bonjour (francais),

merhaba (turkish),

salam aleykum (arabic),

demat (breton),

mboté (lingala),

nangadef (wolof),

safoul (diola),

i ni sogoma (bambara),

alapiale (dogon),

ne-y yibeoogo (mooré),

ndi (ewe),

pele o (yoruba),

mbembe kiri (ewondo)

mbolo (fang),

tena yistilign (amharic),

jambo (swahili),

manao ahoana (malagasy)

namaste (hindi)

xin chao (vietnamese),

sabaidee (lao),

chum reap suor (khmer),

sawatdii khrap (thai),

selamat pagi (bahasa Indonesia)

bozu (kanak),

halo (bislama),

bula (fijian),

kia ora (maori),

buenos dias (espanol),

mari mari (mapuche)

rimaykullayki (quechua)

bom dia (portuguese)




(go down for english)
 

Mes très chers amis de tous les continents, finalement je l'ai fait. Après plus de 4 ans à parcourir notre merveilleuse planète, pas à pas, j'ai réalisé mon rêve fou, mon grand tour du monde d'un seul coup. Après avoir voyagé pendant 1508 jours dans 53 pays, je peux dire que la réalité était plus grande que le rêve, beaucoup plus grande !

De nombreuses raisons l'ont rendu possible : mon enthousiasme et ma curiosité, ma détermination et mon endurance, et bien sur ma bonne étoile, à moins que ce ne soit la destinée...
 


Mais avant tout, vous, mes amis de toutes les couleurs, avaient rendu possible mon impossible épopée. Chaque fois que je vous ai rencontré, j'ai pu trouvé un précieux soutien. Chaque fois que je vous ai quitté, c'était avec plus d'inspiration. Même sur la fin, j'étais encore épaté par votre incroyable générosité. Avec ce petit gars un peu dingue, vous avez partagé votre maison, votre culture, votre joie de vivre, vos croyances, vos doutes. Peu importe que je sois resté avec vous 3 jours ou 3 semaines, car le temps ne compte pas autant que l'intensité. Je me souviendrai de notre amitié pour toujours.

En la sillonnant pendant si longtemps, je suis définitivement tombé amoureux de notre Terre-Mère, si vaste, si riche, si belle ! J'en ai tant vu que j'en ai le vertige...

Et à propos de l'humanité, j'ai pu trouvé un peu de sagesse en chacun de vous. Ca m'a redonné l'espoir. Je le sais maintenant, toi, le Monde, tu es plein de bonté. Un immense merci.


Le temps passe vite. Il y a 9 mois, j'ai regagné la maison de mon enfance, par le chemin opposé à celui par lequel j'étais parti 4 ans plus tôt. 9 mois déjà ! A moins que ce ne soit hier ? Bien sûr, mon retour chez mes parents m'a apporté beaucoup d'amour et de confort (et la cuisine de Maman!), mais pas totalement la paix. J'ai la sensation étrange d'avoir rêvé pendant 4 ans (ou bien était-ce vraiment un rêve ?). Après une si longue nuit, le matin est rempli de brouillard. Je ne connais pas encore mon futur, mais j'y travaille. Je n'ai plus un sou mais je suis conscient de la chance d'avoir toutes ces possibilités.


Tu te rappelles que je t'ai dit que tu serais le bienvenu chez moi ? Parfois je rêve de tous vous inviter à une grande fête. Ce serait la plus belle jamais vue mais je sais bien que c'est impossible. D'accord, je n'ai pas encore de chez moi, mais un jour ma maison sera la tienne.

Enfin, j'ai besoin de nouvelles de vous tous, et évidemment je vais tous vous écrire. Mais ca va prendre du temps alors tu peux attendre mon message, ou être le premier à m'écrire.


Je te souhaite le meilleur et j'espère vraiment te revoir, n'importe où, n'importe quand. Prend soin de toi mon ami.



(english)

my very dear friends from every continent, finally I did it. After more than 4 years running our wonderful planet, step by step, I fullfilled my crazy dream, my great « one shot complete world tour ». After travelling 1508 days in 53 countries, I can say the reality was bigger than the dream, much bigger !

Many reasons made it possible : my enthusiasm and curiosity, my determination and stamina, and of course my lucky star, or maybe destiny.


But first of all, you, my friends of every color, made my impossible journey possible. Each time I met one of you, I could find precious support. Each time I left you, it was with more inspiration. Even on the last days, I was still surprised by your incredible generosity. With that little crazy guy, you shared your home, your culture, your hapiness, your beliefs, your doubts. Whatever if I stayed with you 3 days or 3 weeks, time is not so important as intensity. I will remember our friendship for ever.


Walking on her for so long, I definetly felt in love with our Mother-Earth, so wide, so rich, so beautiful ! I've seen so much I have vertigo...

Also, about humanity, I could find a bit of wisdom in all of you and it brought me back new hope. I know it now, you, the World, are full of goodness. Thank you so much.


Time is running fast. I reached the house of my childhood 6 months ago, from the opposite way I left it 4 years before. Already 6 months ! Or was it yesterday ? Yes, my return to my parents brought me a lot of love and confort (and mum's food!), but not really total peace, not yet. I feel quite weird, like I was dreaming for 4 years (was I ?). After such a long night, the morning is very misty. I'm not sure about future, but I'm working on it. I don't have any money anymore, but I'm aware I'm lucky to have so many options. 



Do you remember I told you you'll be most welcome to my home ? Sometimes I dream I could invit you all together to a big party. That would be the best one ever, but I know it's impossible. That's true, I don't have any home yet, but one day my house will be yours.

Finally, I need fresh news from all of you and of course I'm gonna write to everyone. But it will take time, so you can wait my message or be the first to send one.


I wish you all the best, and I really hope to see you again, anytime, anywhere. Take care my friend.





Thank you, tesekkur ederim, shukran, trugarez, botondi, jerejef, i ni cé, bira po, barka, akpé, e se, akiba, ahmesugenalew, asante, misaotra, dhanyavad, cam on, khop chai, orkun, kop khun krap, terima kasih, oleti, tankyu, vinaka, tena koutou, gracias, chaltumay, yusulpayki, obrigado...

MERCI !!!
 

Jérome, globe-trotter.

jeudi 3 décembre 2014 - 1510e et dernier jour

Ca y est, c'est la fin. J'entame en ce jour gris mon tout dernier trajet, épilogue de cet invraisemblable tourbillon de quatre années tout autour de la Terre. Olivia et moi prenons le petit-déjeuner ensemble, puis je la remercie chaudement de m'avoir reçu comme un prince dans son petit palais. Nous nous embrassons sur le trottoir, dans le froid piquant de l'hiver naissant. Je la vois disparaître dans la station Porte des Lilas, en pensant que cette fille aurait pu être ma femme dans une autre vie. D'ailleurs elle le fut pendant une parenthèse de deux ans, dans une autre vie. Je prends le temps de fumer l'une de mes dernières cigarettes, puisque comme promis j'arrête ce soir, en regardant autour de moi le ballet des gens pressés, vêtus de gris et de noir, puis je m'engouffre sous terre à mon tour. J'en ressors à Chatelet, en plein coeur de Paris, avec mon sac sur le dos, mon ombre qui n'a jamais cessé de me suivre. Avec lui, je traverse la partie la plus ancienne de la métropole, l'Ile de la Cité, sans cesse bâtie et rebâtie depuis plus de deux millénaires. Depuis le Pont Neuf, j'observe la Seine, ce tout petit fleuve que je croyais jadis si grand, et j'avance jusqu'au parvis de la superbe cathédrale Notre-Dame, qui trône là depuis huit siècles. Parmi mes futures études, je compte continuer d'apprendre l'espagnol, et il me faudra aussi entièrement revoir la très riche histoire de France. A deux pas, je descends vers la gare souterraine de Saint-Michel. Sur le quai, une bonne dizaine de RER se succèdent toutes les trois minutes puis je monte dans mon wagon en direction de l'arrêt le plus éloigné au Sud. Ainsi, je vois défiler les banlieues, les zone industrielles, jusqu'à la campagne apprivoisée et les villages modernisés d'où s'élèvent encore d'antiques clochers.



Sur le quai de la gare d'Etampes, je regarde tout autour pour repérer mon chemin : j'aperçois là-bas la Nationale 20. J'arpente la petite commune jusqu'à me poster à la sortie d'un bretelle, et je lève le pouce. En patientant dans le froid, je me souviens avoir fait du stop pour monter jusqu'au cône blanc du volcan Villarrica, au Sud Chili ; et plus près du côté d'Iquitos, Pérou. Le temps de me rappeler de ces épisodes formidables et je suis ramassé par une gentille dame, la soixantaine, qui me dépose à la prochaine sortie seulement 15 km plus loin. L'attente est un peu plus longue ici, ce qui ne m'empêche pas de fredonner et de sourire à tous les conducteurs qui me dépassent à toute vitesse. Une vieille bagnole s'arrête alors, avec au volant un arabe assez âgé et dans l'autoradio, une belle musique du bled qui réveille d'autres souvenirs. Comme il m'apprend être tunisien, je réplique que j'ai assisté à la révolution de son peuple trois ans plus tôt. Tandis qu'il nous emmène vers Orléans, il me fait un topo très complet de la situation de son pays, entre les deux tours de l'élection présidentielle et toujours aussi incertaine.



Le brave homme s'arrête à la gare de Fleury-les-Aubrais. J'attrape un jambon-beurre à 4 euros avant de me glisser dans le tramway qui, pendant une heure, parcours toute l'agglomération orléanaise. J'ai laissé ici une partie de ma vie puisque j'y ai fait mes études de 1996 à 1999, mais je n'ai pas mis les pieds dans ces rues depuis des lustres et mes souvenirs sont profondément enfouis. Je les dépoussière plus facilement au milieu des barres d'immeuble de La Source, en banlieue Sud, où j'avais jadis mon appartement. Mon regard se dirige instantanément vers ses fenêtres, tout là-bas au 11e étage. L'endroit m'est familier mais je fais pourtant l'erreur de descendre au dernier arrêt, devant l'hôpital, ce qui me vaut quelques kilomètres de marche pour revenir sur mes pas. Et pour aller me poster à ce rond-point que j'ai dû prendre cent fois, je coupe en prenant un raccourci qui finalement n'en était pas un. Je m'allonge encore via une route déserte au milieu de ma forêt Solognote. Je crois que j'ai marché plus de 1h30, mais j'ai à peine le temps de poser mon sac qu'un homme joufflu et grisonnant m'embarque dans sa petite voiture. En apprenant d'où je viens, c'est à dire de Romorantin, à seulement 60 km de là mais en ayant fait le plus grand détour qu'on puisse imaginer, il a l'amabilité de me laisser de l'autre côté de la Ferté-Saint-Aubin. Il est déjà près de 15 h à mon avis et me voilà sur la Départementale 922 qui mène directement à ma destination finale. Mais il n'y a pas grand monde sur cette petite route et ceux qui passent me regardent d'un drôle d'air sans s'arrêter, ce à quoi je réponds par un grand sourire. En attendant, j'observe tous ces arbres que je connais bien, la jungle de mon enfance.



Plus tard, c'est un couple de vieux bourgeois qui a la gentillesse de faire un détour pour me laisser à la sortie de Chaumont-sur-Tharonne. Là-aussi j'attends un bon moment jusqu'à ce que s'arrête une femme élégante, la cinquantaine, dans une Alfa Romeo rutilante. Comme elle se rend à Romorantin, je lui explique que son petit bolide est le tout dernier d'une longue, très longue série de véhicules en tout genre, et qu'elle est la toute dernière d'une longue, très longue liste, les centaines de chauffeurs de toutes les couleurs qui m'ont trimballé sur les cinq continents. Evidemment, elle n'en croit pas ses oreilles et je crois bien que madame est plus émue que moi quand elle me dépose sur cette place que j'ai arpentée 1000 fois mais dont j'ai oublié le nom. Ah oui, la place de Gaulle, avec la Belle Epoque au coin : cette fois, je suis bien de retour au bercail. J'aime bien dire que je suis partout chez moi puisqu'en effet je suis allé à peu près partout, mais ici ça l'est plus qu'ailleurs : j'ai quand même habité ce patelin les dix-huit premières années de ma vie, et encore quelques mois avant de partir courir le Monde voilà quatre ans. J'ai l'étrange impression que c'était hier, comme si tout ça n'avait été qu'un rêve. Non, c'était bien plus que ça, la réalité a été tellement plus grande que le rêve.



Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer quand j'avance sur la rue du Rantin, et voilà la rue de la Gaucherie : comme je me l'étais promis, je ne passe pas par l'impasse qui mène à la maison, celle qui m'a vu m'éloigner vers l'Est. Non, je coupe par le potager du voisin pour revenir par l'Ouest : voilà la maison, la Terre est bel et bien ronde. Je surprends mon père en train de jardiner, comme moi un peu plus vieux. Je l'embrasse puis il rentre chercher l'appareil photo ; il ressort avec ma mère, qui avait quitté la maison en larmes avant que j'entame ma fabuleuse épopée. Aujourd'hui elle arbore un large sourire. Je la serre dans mes bras puis je roule ma dernière cigarette puisque j'arrête de fumer. Ca aussi je me l'étais promis, une autre étape vers la sagesse que je suis allé chercher tellement loin. Il n'ont pas changé tous les deux depuis la Réunion, il y a deux ans et demi. Et moi non plus d'ailleurs : je reste le même petit gars, avec quand même une expérience incommensurable derrière moi. J'ai vécu tant de choses incroyables, rencontré tant de gens extraordinaires, ça me fiche le vertige. C'était donc possible, je termine là mes fantastiques aventures autour de ma Terre-Mère, la Pachamama. Alors que je m'apprête à enfin rentrer chez moi, je demande à mon père d'immortaliser le pas qui me permet de rejoindre la première foulée accomplie il y a 1510 jours. C'est le dernier pas.




mercredi 2 décembre 2014 - 1509e jour


Après quatre jours à Paris, j'ai déjà pris des habitudes mollassonnes. Il va pourtant falloir conclure, boucler la boucle et rentrer à Romorantin. Je partirai demain matin et je tiens à retourner à mon point de départ de la même façon que je l'ai quitté il y a quatre ans : en stop. En attendant, comme nombre de mes compatriotes, je me complais dans le confort, au chaud, seul. Comme le matin n'existe pas, la journée passe vite ; même si je parviens à rédiger quelques pages dans ce cahier, j'ai grand peine à me concentrer. Le soir venu, je me motive pour descendre faire quelques courses. Je n'aurai donc rien vu ou presque de la capitale, à part les sous-terrains du métro, alors je fais plusieurs fois le tour de ce grand carrefour minutieusement aménagé. Tout est parfaitement net, bâtiments, rues et trottoirs, et admirablement équipé, éclairage, mobilier urbain design, bus et tramway qui se croisent. Cet environnement m'aurait paru normal il y a cinq ans, mais aujourd'hui j'ai bien conscience du privilège d'être français. Pour les parisiens, la contrepartie d'habiter dans l'une des plus belles villes du Monde, outre les prix exorbitants, c'est de vivre une vie de fou si loin de la nature, filer à un rythme syncopé dans un système oppressant. Dans la supérette du quartier, j'ai de sérieux doutes quant à ma capacité à me réintégrer dans cette société de surconsommation. Je remonte quand même avec du vin rouge et une bonne baguette ; bonjour les clichés. Et puis ma vieille copine rentre de son travail et me raconte sa journée, qui m'apparaît d'une grande banalité. Néanmoins, Olivia conserve encore un peu de sa candeur, celle qui m'avait tant séduite quand elle avait 22 ou 23 ans. J'ai donc plaisir à dîner une dernière fois avec ma belle ingénue, que j'interroge sur nos amis communs ; ça ne va pas fort du côté de Nantes, il va falloir que j'aille là-bas pour voir si je ne peux pas arranger les choses. Mademoiselle va se coucher et je range déjà mes affaires. En mettant chaque chose à sa place, par automatisme, j'ai du mal à croire que c'est la dernière fois que je boucle mon vieux sac.


mardi 2 décembre 2014 - 1508e jour


Depuis que je suis descendu de la Cordillère Blanche, au Pérou, j'ai mis un grand coup de frein à mon odyssée ; coincé par mes difficultés à écrire à Trujillo, obligé d'avancer très lentement sur l'Amazone, décidé à savourer les charmes de Rio. Je me prépare depuis ce temps-là à m'arrêter définitivement. Ce moment est tout proche désormais, et je commence à ressentir un grand vide. J'aurais éventuellement pu aller visiter quelque musée parisien aujourd'hui, mais non, j'ai juste envie de ne rien faire. D'ailleurs, encore couché très tard, je ne me lève qu'à 14 h ; un scandale. Ne rien avoir à faire, ce n'est pas dans mes habitudes et, l'esprit confus, je me contente de me vautrer dans le luxe de cet appartement. Aussi, j'avais oublié comme le temps défile lorsqu'on zappe sur des dizaines de chaînes ou qu'on s'égare d'un site internet à un autre. Olivia rentre tard ce soir, après 21 h, et après une aussi longue journée, je comprends qu'on ne soit plus intéressé par rien. Ainsi, ma copine et moi dînons simplement et regardons un film, après quoi elle ne tarde pas à aller se coucher. Quant à moi, ayant perdu toute notion du temps, je prolonge la nuit tel un simple spectateur noctambule.


lundi 1er décembre 2014 - 1507e jour


Encore couché tard, ce lit est si douillet que je m'y prélasse jusqu'à midi. C'est nouveau pour moi : je n'est plus à courir le Monde. C'est fini, je l'ai fait. Seul dans l'appartement tout confort, je prolonge le petit-déjeuner devant la télé ou le web. Dans ses conditions, l'après-midi passe vite et je ne mets pas le nez dehors avant 18h30, pour aller rejoindre Olivia qui a dégoté via son travail des invitations pour un concert. Comme convenu, je la retrouve devant le Cirque d'Hiver où se déroule l'événement Solidarité Sida. Comme ses invitations comprennent également le cocktail, nous allons nous mêler à la grande bourgeoisie parisienne. Me voilà donc avec mes vieilles guenilles de globe-trotter parmi tous ces people tirés à quatre épingles, vedettes de la télé ou anciens ministres ; on aura tout vu. Pour la peine, j'attrape au vol une coupe de champagne, et je ne me gène pas non plus pour me régaler de petits fours exquis.


Nous passons ensuite dans la superbe salle de spectacle, circulaire, au gradins très verticaux, et le concert commence. Plusieurs fameux artistes se succèdent pour jouer d'excellentes reprises : Oxmo Puccino, Tiken Jah, Angélique Kidjo, MC Solar, China, Zebda, et même la star mondiale Marion Cotillard. Pour le moins inattendue, cette soirée burlesque au milieu de la haute société est un très bon divertissement, qui sonne joyeusement le glas de mes aventures. Comme c'est la coutume, ma copine et moi allons ensuite boire un coup dans un petit bistrot typique ; les touristes dirait pittoresque. Enfin, sur le trottoir, nous avalons une crêpe jambon fromage avant de sauter dans le bus. Paris est unique.


dimanche 30 novembre 2014 - 1506e jour


Couché tard, la nuit a été un peu courte mais tout de même excellente, quoique sage, dans le lit extrêmement douillet d'Olivia. Nous prenons le petit-déjeuner ensemble puis j'appelle mon cousin Romain : impossible de passer à Paris sans aller voir le Couz', fidèle compagnon de mes folles années bordelaises, lui qui fut l'un des colocataires du mythique 173 rue de Bègles. Comme prévu, il m'attend à la sortie du métro dans le 13e arrondissement et d'emblée, je constate qu'il a pris beaucoup de masse ; du ventre mais surtout du muscle. Ses 85 kg en font désormais un poids lourd et je suis heureux de le voir en forme. Dans son bel appartement, je suis ravi d'enfin rencontrer Virginie et le tout petit Léo, adorable bébé de six mois. Etrange clin d'oeil du destin, il est la relève de la famille puisqu'il est né juste après le décès de ma tante. Nous trinquons à nos retrouvailles avant de passer à table. J'apprends que Virginie est une chilienne abandonnée à la naissance qui fût adoptée par des français aisés : ce sont ses parents qui lui ont payé l'appart', mon cousin à tiré le bon numéro. Cette fille semble avoir un lourd passé ainsi qu'un sacré caractère, et tous deux m'ont l'air épanouis et heureux, même si Romain travaille dur. C'est aussi un papa très attentif et je n'en crois pas mes yeux de le voir changer la couche de son fils. Après toutes ces années à avoir essayé de l'orienter de mon mieux, c'est un grand bonheur de le voir enfin responsabilisé. Plus tard, c'est son frère Steven qui se pointe : lui m'a l'air en petite forme et Romain me confirme que son équilibre est précaire ; il a encore du mal à accepter le décès de sa mère et reste immature malgré ses 27 ans. Plus tard, je m'occupe de Léo, légèrement mais clairement métissé puisque ce petit bonhomme doit avoir du sang Mapuche. Ainsi, je passe une excellente après-midi en famille ; ma famille pour une fois, qui s'est agrandie en mon absence. Mais comme les verres se succèdent et que je n'ai plus trop l'habitude, je commence à fatiguer. Un gros joint de shit m'achève, je vais donc faire une sieste en compagnie de mon nouveau neveu. Ensuite, je papote encore un peu avec ma nouvelle cousine rigolote pendant que le Couz' dort un peu, puis mon vieux complice me raccompagne dans la rue animée de ce beau quartier parisien. Il me bouleverse en évoquant le dernier soupir de sa mère, puis après une longue embrassade, je m'engouffre sous-terre les yeux mouillés.

A l'autre bout de la mégapole, je retrouve ma chère Olivia, bien calée devant la télé. Elle me sert un dîner léger que je conclue en montrant quelques photos de la Bolivie, que j'adore, jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Quant à moi, je me vautre dans le confort de ce palace jusqu'au milieu de la nuit.


samedi 29 novembre 2014 - 1505e jour


J'ai bien dormi cette nuit et d'ailleurs je me lève trop tard pour avoir le temps d'aller quelque part, sachant que je dois partir à 13 h pour m'envoler à 16 h. Seul dans la cuisine, je mange une orange et une grenade tandis que les occupants de l'appartement émergent. Maria passe le plus clair de sa matinée dans sa chambre avec son copain pendant que je prépare mon sac en musique. Finalement je salue tout le monde et traverse tout le centre-ville à pied, jusqu'à la Plaza de Cibeles où m'a déposé le bus avant-hier. Mais il ne circule pas aujourd'hui, alors deux femmes me proposent de partager leur taxi. Je retrouve facilement mon chemin dans l'aéroport jusqu'au guichet de Ryanair, mais je dois d'abord valider ma carte d'embarquement sur une borne internet à l'autre bout. Je parviens à négocier sa gratuité mais je dois quand même payer 30 euros pour enregistrer mon sac. Avec une taxe supplémentaire d'autant pour mon paiement sur internet, mon vol low-cost ne l'est plus du tout, et ça m'agace. Bon, au point ou j'en suis de mes dépenses depuis quatre ans, je ne suis plus à ça près.

Le vol se déroule sans histoire et j'atterris deux heures plus tard à l'aéroport de Beauvais. Ca y est, je suis de retour en France. Il fait nuit, il fait froid, et j'ai encore 1h30 de bus jusqu'à Paris. Je passe ce temps à côté d'un jeune homme au fort accent parisien qui ne lâche pas son portable en enchaînant appels et textos ; à la fin, j'ai l'impression de connaître toute sa vie, à mille lieux de la mienne. Moi, je crois que je vais continuer à me passer de téléphone. Après les embouteillages de rigueur sur le périphérique, le chauffeur mal embouché s'énerve contre des passagers trop pressés : bienvenu en France. Au pied de l'immense Palais des Congrès, je descends sous terre. J'ai circulé dans tous les métros du Monde mais devant le plan, je me rappelle que le réseau parisien est le plus dense de tous ; hallucinant. J'ai un changement à Châtelet, le plus grand carrefour sous-terrain de la capitale : la foule s'engouffre dans un véritable labyrinthe de tunnels et dans une vieille rame de la ligne 11, je me souviens combien les parisiens sont fermés, chacun dans sa bulle, ne s'adressant aux autres que si c'est nécessaire en usant d'une politesse glaciale.

Je ressors à l'opposée, à l'Est, Porte des Lilas. Et à 200 m à peine, je sonne comme prévu à l'interphone d'Olivia. Ca fait plaisir de retrouver un visage familier : je n'ai pas vu celui-là, toujours aussi joli, depuis Bali où nous avions passé ensemble trois merveilleuses semaines. Prise dans le tourbillon de la vie pressée, ma chère amie me raconte sa vie ; solitaire malgré elle, un mal des sociétés modernes. C'est grâce à son travail qu'elle a pu obtenir cet appartement à petit prix, grand et confortable, parfaitement équipé et à la décoration élaborée. Je sais bien qu'ici c'est la norme, mais pour moi c'est un palace. Plus tard, les pieds sous la table, elle me sert un fabuleux dîner : des rillettes de canard, un succulent steak du boucher et de délicieux fromages, le tout arrosé d'une bouteille de Châteauneuf-du-Pape. Mademoiselle me gâte, vive la France.


vendredi 28 novembre 2014 - 1504e jour


Réveillé au beau milieu de la nuit sur mon canapé étriqué, j'ai eu grand peine à me rendormir à cause de pensées qui n'en finissaient pas de fuser dans mon esprit. Je me réveille finalement tard, vers 10 h, tandis qu'un gars est attablé dans le salon. Le colocataire mexicain de Maria m'offre gentiment un café, nous bavardons poliment puis Hermès retourne à ses travaux. En silence, j'écris un peu derrière lui avant de me motiver à sortir. Il fait toujours aussi froid dehors, surtout en short, et j'ai rapidement les pieds mouillés à cause de la pluie fine qui traverse facilement mes vieilles godasses.

Rompu à l'exercice, je commence par me rendre Plaza Mayor, entrevue hier. Rénovée en 1690, elle reste l'un des symboles historiques de Madrid. Majestueuse, elle est entourée de bâtiments semblables, trois étages de teinte ocre surmontés de plusieurs tours gothiques. Je tourne un moment sous ses grandes arcades de pierre, à l'abri, afin de choisir par laquelle des six portes je vais sortir. Je continue en me perdant au hasard des vieilles ruelles ponctuées de nombreuses petites places typiquement espagnoles, vraiment charmantes avec toutes ces vénérables demeures et ces arbres aux couleurs de l'automne ; tiens, il y avait longtemps que je n'avais pas vu de platanes. Plus loin, j'atteins les jardins très soignés de la Plaza de Oriente, qui fait face à l'immense cathédrale néoclassique , du 20e siècle, et au colossal et somptueux Palacio Real, qui fut bâtit au 18e pour concurrencer Versailles. Je poursuis jusqu'aux fontaines de la très vaste Plaza de Espana, qui ouvre sur la grandiose Gran Via, l'artère principale du centre-ville. Très large, elle est encadrée d'édifices monumentaux du début du 20e, impressionnant mélange d'architecture Renaissance, Haussmannienne et surtout Art déco. C'est sûr, Madrid est une ville superbe, très bourgeoise aussi, même si la crise touche durement le pays. Pourtant, j'y déambule comme un automate, porté par l'habitude et mes jambes de feu, mais en fait je n'y suis pas vraiment ; j'ai déjà la tête ailleurs. Au fond, je m'en fiche de Madrid, je suis sur la réserve depuis un moment et je dois terminer le voyage.








Je déjeune dans une grande brasserie où pendent des dizaines de beaux jambons, puis j'entre dans une boutique élégante pour enfin acheter un pantalon. Je zigzague encore dans de longue rues piétonnes en me serrant sous les porches des grands magasins, puis je rentre au chaud dans l'un des plus fameux musée du Monde, le Prado. Cet immense édifice du début du 19e abrite les collections pléthoriques des rois, amassés depuis des siècles. Il est si grand et si riche que j'y reste trois bonnes heures à admirer des toiles des plus grands maîtres d'Europe, dont Botticelli, Raphaël, Caravage, Bosch, Brueghel, Rembrandt, el Greco et j'en passe, ainsi que de nombreux chefs d'oeuvre des espagnols Velasquez et Goya. J'y prends donc une monumentale leçon d'art classique, à tel point que j'en ressors sonné. Epuisé aussi puisqu'à 19 h, j'ai marché pendant près de huit heures. Alors je retourne vers le quartier de Maria, que je finis par retrouver dans la rue. Je l'attend dehors pendant qu'elle va nager à la piscine puis nous allons au supermarché, où j'insiste, comme toujours, pour payer l'addition. A la maison, je l'aide à tartiner quelques tapas et à ouvrir les bouteilles, puis son petit ami se pointe. Lui aussi travaille dans le cinéma et m'a l'air d'être un bon garçon. Tout deux forment un couple charmant et font l'effort de parler anglais. Puisque j'ai acheté un billet d'avion pour Paris, décollage demain, je fête avec eux mon dernier jour hors de mes frontières. La soirée s'écoule paisiblement, très agréable, alors qu'ils me questionnent sur mon interminable route : pas de problème, j'ai suffisamment d'anecdotes pour ne pas me répéter pendant des jours et des jours.


jeudi 27 novembre 2014 -1503e jour



Evidemment j'ai mal dormi, plus ou moins allongé sur deux sièges et demi, à 10 000 km au dessus de l'Atlantique. Avec deux décalages horaires d'affilée, quatre heures de différence entre Rio et Madrid, l'heure qu'il est m'apparaît comme une notion floue. Pendant le temps de vol restant, j'avale le plateau-repas en feuilletant un magazine pour réviser mon espagnol un peu poussiéreux. Et puis nous atterrissons après douze heures de vol, aux alentours de 16 h, heure locale. En franchissant la douane, j'entre dans le 53e pays de mon voyage, mais je n'en ai plus rien à faire et je ne fais même pas mon petit saut traditionnel. Voilà l'Espagne, et donc l'Europe que j'avais quittée entre Athènes et Istanbul. Dehors, c'est l'automne, il pleut et la température me glace. Alors je ressors mes vêtements d'hiver, sweat et blouson, écharpe et bonnet, mais comme je n'ai plus de pantalon je reste en short, ce qui me donne une drôle d'allure. Tiens, au distributeur, je constate qu'il y a de nouveaux billets de cinq euros ; et au kiosque voisin, je renonce à acheter des cigarettes, si chères que je me rabats sur un paquet de tabac. Bon, qu'importe, comme promis j'arrête de fumer en rentrant à la maison. Le bus qui m'emmène en ville n'est pas donné non plus, cinq euros ; un tarif normal en Europe, il va falloir s'y faire.



J'atterris sur une très grande place où trône un immense bâtiment classique tout blanc, magnifique. L'impression se confirme quand je remonte un très large boulevard bordé de nobles édifices anciens : je suis bien de retour sur le vieux continent. Plus loin, malgré mon plan, j'ai bien du mal à me repérer dans le dédale de ruelles datant du Moyen-Age. Je parviens néanmoins à trouver l'adresse de la jeune femme qui a accepté de m'héberger , mais personne ne répond à l'interphone. Alors je lui téléphone depuis un cybercafé voisin, où je patiente en attendant qu'elle débauche. Un peu plus tard, Maria m'ouvre finalement la porte de son appartement, vaste et confortable, qu'elle partage avec deux colocataires absents ce soir. C'est une jolie petite brune calme et souriante, qui m'explique travailler dans le cinéma, chez Sony, où elle s'occupe notamment de la traduction. J'installe ensuite mes petites affaires dans un coin du salon à côté de mon nouveau canapé, et je me réchauffe sous une bonne douche. Puis nous dînons à l'heure espagnole, après 10 h, un genre de gros empanada à la tomate que mon hôte a préparé, arrosé d'une bouteille de vin rouge que j'ai ramené. Alors que j'en siffle les trois quarts, Maria, elle-même voyageuse puisqu'elle se permet une escapade en Europe dès qu'elle le peut, est friande de mes histoires. Je lui en raconte quelques unes avec plaisir puis à la fin du repas, je lui détaille mon invraisemblable parcours sur la mappemonde affichée dans sa chambre. La ligne que je trace est vertigineuse : elle n'en revient pas, et moi non plus d'ailleurs, sachant pertinemment que je suis le seul à vraiment pouvoir me rendre compte de tout ce que ça représente.




mercredi 26 novembre 2014 - 1502e jour



Ca fait un moment que je le dis, mais cette fois c'est sûr : ça sent la fin. Comme d'habitude, la nuit dans ma chambrée de dix a été ponctuée des allers et venues des uns et des autres. Et comme d'habitude, Sophie et moi prenons le petit-déjeuner ensemble, en silence. Je passe ensuite un bon moment dans la salle de bains avant de plier mes affaires, une fois de plus. Vers midi, je sors déjeuner et traverse une dernière fois mon quartier très agréable, largo de Machado, rua de Catete, pour un bon bain de foule. Puis je viens récupérer mon sac et saluer tout le monde avant d'aller prendre le bus qui me conduit à l'aéroport. Le centre, que je connais bien, défile sous mes yeux, puis les quais, et enfin les immense banlieues Nord par où je suis arrivé il y a deux semaines. J'en ai vu des métropoles, sur tous les continents, mais j'ai été vraiment fasciné par Rio, que j'ai arpentée en long et en large, et qui restera définitivement l'une de mes favorites. Et après deux bonnes heures d'attente dans les halls de l'aéroport, je m'envole finalement vers le Sud et quitte le Brésil où je serai resté quarante excellents jours. Comme un signe du destin, j'atterris trois heures plus tard à, Buenos Aires, là où j'ai commencé mes aventures sud-américaines il y a huit mois environ. Il s'en est passé des choses, depuis tout ce temps.

















D'ailleurs, j'apprends que mon avion suivant décolle depuis l'autre aéroport. Un bus fait la liaison directement et je traverse donc la ville du Nord au Sud. En longeant le Rio de la Plata, je reconnais les rues que j'ai arpentées à l'époque ; c'est rare que je revienne ainsi sur mes pas, l'impression est étrange. Aussi, je reviens à l'aéroport Ezeiza : un mauvais souvenir celui-là, puisque je débarquai ici après deux jours pénibles dans les airs, sans le moindre sou en poche puisque j'avais perdu argent et carte Visa à Melbourne. J'ai trois heures d'attente ici, alors je traîne dehors ou dedans, entre les terminaux. Il fait déjà plus frais ici qu'à Rio, un avant-goût de ce qui m'attend en Espagne. L'été est fini, je retourne en hiver.




mardi 25 novembre 2014 - 1501e jour



Ca y est, voilà mon dernier jour plein à Rio de Janeiro, la cité merveilleuse. Pour conclure en beauté, je souhaite m'évader de l'agitation de la ville et trouver une plage tranquille avant de retourner en Europe, dans l'hiver. Comme d'habitude désormais, je commence la journée paisiblement en traînant à l'hôtel toute la matinée. Je me renseigne notamment sur une île que m'a conseillé Fabio en pleine ville, dans une lagune forcément polluée, alors je préfère me rendre jusqu'à une plage réputée sauvage, loin à l'Ouest. Le réceptionniste m'explique comment y aller, via trois bus, mais à l'arrêt indiqué, je poirote plus d'une demi-heure sans voir mon bus arriver. Je reviens donc vers lui pour demander une alternative et je repars dans l'autre sens vers la station de métro. Je ressors de sous terre sur une grande place d'Ipanema, où je monte dans un bus. Comme celui-ci traverse toute l'agglomération en s'arrêtant très souvent, on avance très lentement. La route, qui longe le littoral accidenté, est magnifique, mais il est déjà tard alors je change mes plans.



Je débarque dans une immense gare routière de la nouvelle Rio. Cette banlieue lointaine, Barra de Tijuca, s'allonge entre l'océan et plusieurs lagunes, avec toujours d'énormes montagnes qui barrent l'horizon. Ce quartier moderne et luxueux est en pleine expansion, suivant un urbanisme à l'américaine. Autour de très larges avenues s'élèvent des grappes de hautes tours, jusqu'à trente étages, et les plus grands centres commerciaux de la métropole. Les piétons ne sont pas à leur avantage ici, même s'il y a de nombreux espaces verts barricadés au pied des immeubles. Au delà de la route du littoral s'étend une plage d'une vingtaine de kilomètres, où je vais poser ma serviette. Mais avant ça , vu l'heure, j'entre dans un petit fast-food : le sandwich, accompagné de chips et d'un soda, est probablement le plus cher que je n'ai jamais acheté : 8 euros. Je m'installe ensuite sur cette bande infinie de sable blanc, sans avoir aucun mal à trouver un coin isolé. La mer est trop fraîche pour que je m'y baigne, alors je m'allonge sous le soleil voilé : ne rien faire pendant deux heures n'est pas si facile pour moi. Les yeux fixés sur le grand bleu parsemé de quelques îlots, je médite sur mon prochain retour au pays. Et puis je m'en retourne en car, en regardant défiler l'avenir de Rio jusqu'à revenir dans le centre. Je descends un peu avant la station de métro pour marcher un moment sur la plage d'Ipanema à la fin du jour, où flâne la bourgeoisie carioca. Plus tard à l'hôtel, je passe un moment sur internet pour régler quelques détails, notamment répondre à une fille de Madrid qui accepte de me recevoir. Puis je rejoins sur le toit l'équipe que je connais bien désormais, dont Sophie, la belge, ou Philippe, l'autrichien. En sirotant une bière, je passe un bon moment avec eux, dans la moiteur de la nuit.






lundi 24 novembre 2014 - 1500e jour



Après avoir vu les plus grands bidonvilles d'Afrique à Nairobi, et d'Asie à Bombay, je tiens à traverser le plus vaste d'Amérique, Rocinha, qui s'étend à l'Ouest du quartier huppé de Leblon. Je descends du bus juste à l'entrée et je m'y infiltre. De longue date, c'était une zone de non-droit où les gangsters régnaient en maître, mais il a été « pacifié » par les unités du BOPE, le GIGN local. Néanmoins, la tension reste palpable, comme en témoigne ce jeune gars qui déambule avec un revolver à la main ; alors je fais profil bas, la casquette bien vissée sur la tête. La zone, occupée par des dizaines de milliers de gens, est très entendue et il me faut deux longues heures pour en ressortir à l'opposée. C'est une ville dans la ville, le tiers-monde au coeur d'une cité opulente. Bien sûr le plat n'existe pas dans le coin, quelques petites rues donnant accès à des milliers de ruelles extrêmement étroites, qui ne voient jamais le soleil. Il y a bien de petites boutiques et des bars, mais l'ensemble est clairement insalubre avec des déchets partout et des égouts ignobles qui dégoulinent entre les habitations. Il y a tant de monde que je passe inaperçu, même si j'aboutis maintes fois dans des culs-de-sac. Je trouve finalement une issue qui débouche sur le quartier de Sao Conrado, où une large autoroute sépare des immeubles de standing moyen d'une longue et belle plage, conclue par des hôtels de luxe. Rio est vraiment la ville de tous le contrastes.












Je grignote sur la plage puis j'entreprends de traverser le parc national de Tijuca, la plus grande forêt urbaine au monde et dernier vestige de la forêt atlantique. Une petite route abrupte grimpe en lacet au milieu d'énormes montagnes, comme les gigantesques Pedra da Gavea et Pedra Bonita. C'est clairement la jungle, et je monte à un rythme soutenu dans cette végétation dense. Comme j'ai un long chemin à faire, je reste sur cette route au bord de laquelle des gens fortunés possèdent de belles villas protégées par de hauts murs et des gardiens. En effet, la forêt est immense et il me faut plusieurs heures pour atteindre le sommet. Plus loin au Nord, un petit quartier chic aux allures de village s'étend dans une vallée encaissée que l'altitude rend plus fraîche. Je continue à descendre tandis que l'urbanisation reprend peu à peu ses droits en suivant la même logique qu'ailleurs : des favelas sur les pentes les plus escarpées, puis plus bas de vilains immeubles, puis des zones commerciales et des buildings plus hauts et plus élégants. Les alentours sont très verdoyants et je continue à avancer malgré la fatigue. Ce n'est qu'après sept heures de marche, pour une trentaine de kilomètres, que j'entre dans un station de métro qui me ramène chez moi. Epuisé, j'y passe une soirée paisible parmi l'équipe que je connais bien désormais, et les autres qui ne font que passer comme les milliers d'autres visages que j'ai déjà croisés dans les mêmes conditions.





dimanche 23 novembre 2014 - 1499e jour



Mon séjour à Rio touche à sa fin et je suis allé à peu près partout dans le centre-ville et alentours. En ce dimanche pluvieux, je me dirige vers l'un des derniers vieux quartiers résidentiels, qui domine la zone du haut de sa colline. Je suis rentré fin saoul hier soir et ce matin encore, je suis en petite forme : une bonne marche devrait me remettre d'aplomb. Je débute la journée en attendant la fin d'une averse à l'endroit exact où j'ai terminé la soirée avec Sophie, au pied de l'escalier qui grimpe à Santa Teresa. Il n'y a pas d'immeubles ici, mais des maisons colorées du 19e siècle ; certaines sont de superbes villas bourgeoises, d'autres sont plus modestes et moins entretenues. Cet endroit attire de longue date les artistes, ce qui lui vaut sa réputation bohème même si l'inflation le transforme en quartier pour les classes aisées. L'ensemble s'aligne le long de ruelles sinueuses et pentues, ce qui lui confère un charme certain. J'apprécie de m'y perdre jusqu'à tomber sur une vénérable demeure en ruine, en partie rénovée avec du verre et du métal et noyée dans un beau jardin tropical. Tout en haut sur la terrasse, on domine toute la cité et au delà, la baie, pour un nouveau point de vue fabuleux. A proximité, la maison moderne d'un puissant homme d'affaires du 20e siècle est convertie en musée : ce n'est pas très grand mais les collections sont admirables.







Je continue ensuite à monter et descendre au hasard des rues pavées, en passant devant des ateliers de peinture ou de petits bistrots. Plus haut encore, j'aperçois un étroit passage qui sinue vers une favela. Sachant que mon quartier se trouve quelque part de l'autre côté, je m'engage. Je zigzague donc dans cet empilement précaire de briques et de béton, et dévalant des couloirs minuscules. Il n'y a pas de blancs ici ; des noirs et des métis sont assis ici ou là sur les marches, et quelques jeunes en train de fumer de l'herbe me regardent passer avec un oeil noir. Je ne m'attarde donc pas, circulant comme si de rien n'était en sifflotant un air de samba. En bas, je rejoins la ville via une rue très arborée, bordée d'immeubles luxueux surprotégés, qui, débouche directement sur mon boulevard. Je n'ai marché que quatre heures et vu mon état, c'est assez pour aujourd'hui ; je passe au supermarché faire quelques courses avant de rentrer. Je reste un moment sur internet puis je passe la soirée avec la jeunesse du Monde entier : le groupe de Sophie, qui vient étudier l'enseignement alternatif, dont un rasta autrichien et des filles de Hollande, Allemagne, Espagne, ainsi qu'avec mon copain chilien Ulyses, toujours le mot pour rire.







samedi 22 novembre 2014 - 1498e jour


Sans savoir l'heure qu'il est quand je me réveille, je monte au 3e où le petit-déjeuner est servi ; je suis le premier, il est à peine 7h. Au rez-de-chaussée ensuite, j'accapare l'ordinateur pour envoyer une bonne douzaine de demandes d'hébergement pour Madrid. En fin de matinée, je retourne dans le centre pour le troisième jour ; il est quand même vaste et très dense. Je reprends logiquement là où je m'étais arrêté hier, au niveau de la place du 15 Novembre où se déroule une brocante. J'observe la magnifique église Notre-Dame des Candelaria. Je prolonge jusqu'à l'extrémité Nord-Est de la ville, sur une petite colline qui s'élève au dessus de la baie. C'est là que fut bâtie la toute première église, Sao Bento. Celle-ci est ouverte mais en rénovation, remplie d'échafaudages du sol au plafond. On devine néanmoins un intérieur regorgeant de sculptures et de dorures. J'attaque ensuite le front de mer Nord, bouché par les installations portuaires : j'escalade un vieux quartier pentu avant de longer les docks, qui subissent aussi une rénovation de grande ampleur. Cela me conduit jusqu'à des faubourgs très populaires, au milieu de constructions dans un sale état. Je reviens vers le Sud en traversant les environs de la gare, énorme bâtiment Art déco. Jusque là les rues étaient quasi désertes mais ici il y a foule ; ces gens font clairement partie de la majorité pauvre. Tandis qu'il fait une chaleur écrasante aujourd'hui, ce thermomètre affichant 37 degrés, je traverse un grand parc suivi d'un quartier commerçant, les boutiques se logeant dans des maisons coloniales colorées. Me voilà à nouveau dans le centre, où de vieilles demeures subsistent au milieu de tours modernes. Je sillonne les allées du marché populaire Saara avant de bifurquer vers la cathédrale Sao Sebastiao. Cet impressionnant cône contemporain est plutôt vilain de dehors, mais à l'intérieur, immense, il règne une grande ferveur puisqu'on célèbre une messe et que les milliers de fidèles entonnent des cantiques.







C'en est assez, surtout par cette canicule, je rentre à l'hôtel. J'écris un moment puis je discute longuement avec Sophie ; d'avenir notamment. Cette fille de mon âge se cherche encore : elle vient à Rio pour enquêter sur les méthodes d'enseignement alternatives et projette de rester plus longtemps pour rédiger un doctorat sur le sujet. Et puisque nous somme samedi, nous sortons vers 22h30. Comme il y a quelques jours, nous allons vers le quartier de Lapa, mais ce soir il est extrêmement animé. Les jeunes cariocas remplissent les bars, où jouent presque partout des groupes live, ou bien ils s'amassent sur les trottoirs et les places dans la joie et la bonne humeur. Ainsi, nous circulons dans cette atmosphère très festive en enchaînant quelques bières suivies de caïpirinhas. Ce cocktail à base de rhum est très fort : deux verres pris sur le trottoir suffisent à me faire monter l'ivresse et j'en profite largement, baigné d'une atmosphère torride. Cette ville est incroyable.