bulletin calédonien #2

dimanche 30 juin 2013 - 989e jour



2 mois déjà que j’ai stoppé ma course folle ; à l’arrêt aussi, le temps défile. Depuis mon atterrissage, au sens propre comme au figuré, ma situation n’a pas beaucoup évolué. De temps à autre, je me demande si je ne devrai pas lui donner une autre direction, mais la vie de sédentaire, même en sursis, même en camping, apporte une tranquillité d’esprit appréciable. Et puis je m’attache aux gens placés sur ma route par la destinée, ou la chance, en ayant le temps d’apprendre à les connaitre plus longuement que d’habitude. En outre, je ne n’oublie pas mon objectif global de repartir bientôt pour boucler la boucle, clairement en bonne voie.



Au coin du feu et le nez en l’air, j’ai tout le temps de contempler les lunes qui se succèdent dans le ciel de la vallée de Koé. L’hiver s’installe et le thermomètre, au milieu des nuits les plus fraîches, frôle les 10 degrés. Mais le vrai problème, c’est la pluie, qui tombe parfois trois jours sans interruption, voire 10  fois dans la même journée. Cependant, les rayons du soleil finissent toujours par percer les nuages.
En plus de son vélo, qui élargit nettement mon rayon d’action, mon copain Phil m’a prêté une tente 2 fois plus grande que la mienne, minuscule, et j’ai même récupéré un gros matelas gonflable ; le confort est monté d’un cran. C’est peu mais déjà fort appréciable, étant donné l’aspect physique de mon travail de déjungleur. Impossible d’ailleurs de l’exercer à temps plein, tant à cause de la fatigue que
de la pluie. 6 heures, durant 3 ou 4 jours par semaine en moyenne, sont amplement suffisantes pour retrouver une forme olympique tout en ménageant mon dos. Après plusieurs semaines d’escrime, je constate que débroussailler une forêt tropicale de 7000 m2 est une tâche titanesque. Régulièrement seul, lentement mais surement, je transforme la jungle en jardin, en mettant en pièces puis en extirpant du terrain des montagnes d’herbes, de lianes et de buissons, voire des arbres entiers. J’en viendrai à bout.


Au camp, la vie suit son cours. Nous avons parfois la compagnie de touristes en famille ou de voyageurs solitaires pendant quelques jours, ou encore d’un groupe de fêtards pour un week-end. Parmi les résidents, on a également compté quelque âme perdue, comme ce type de mon âge, au discours aussi embrouillé que ses idées sont vaporeuses. Son départ n’est pas regretté, contrairement à ceux de deux membres éminents de l’équipe initiale.
Au début du mois, Zoran nous a quittés. Après une dernière belle soirée et une énième partie de poker arrosée de rhum, il est rentré en métropole des projets plein la tête, tout en proposant aux 3 autres d’en faire partie. Lui et moi envisageons de nous retrouver dans quelques mois, de l’autre côté du Pacifique.

 
Christophe lui, outre sa nonchalance, continue de nous faire profiter de ses talents de cuisinier. Dans ses plats à prix modique, pourtant savoureux et sans cesse renouvelés, sans oublier le vin rouge qui les accompagne, je retrouve avec délice l’un des piliers de la culture française : la gastronomie. Aussi, j’occupe une partie de mon temps disponible en l’aidant à aménager son fourgon en camping-car. Mais au terme de ce mois de juin, lui aussi s’en va, puisqu’on lui prête pour un temps un chalet douillet. Le confort va redescendre de deux crans.
A propos du troisième larron et doyen, Philippe, lui et moi continuons de former un tandem zélé, et avec le temps, notre complicité se renforce. Ce n’est pas un hasard si nos projets se ressemblent, puisqu’il souhaite passer le reste de sa vie en voyage, avec un simple sac sur le dos. Malgré la différence d’âge, il s’avère que nous avons beaucoup de point communs : contestataire, libertaire, instable, ou encore doté d’une énergie débordante. En attendant de toucher le pactole que représente la prochaine vente du terrain que nous défrichons et qui permettra sa retraite nomade, il est en train de s’affranchir des biens matériels. La mission étant déjà accomplie à 90%, il lui reste encore son vieux 4x4, et à l’intérieur son atelier complet, toutes sortes d’outils méticuleusement rangés jusqu’au plafond. Sans jamais rien promettre, tandis que je ne réclame jamais rien, il m’appelle parfois à la rescousse sur ses petits chantiers et tente désormais de décrocher des travaux de menuiserie plus importants, afin de généreusement continuer à m’employer. D’ici-là, je n’exclue pas de décrocher un emploi salarié plus conforme, au salaire plus régulier ; mais pour le moment, je suis heureux que nous participions chacun aux projets de l’autre.
Et puis il y a encore Phil, marseillais au sang chaud, qui lutte pour faire tourner son camion snack. En trois coups de pédale, je me retrouve régulièrement chez lui, pour accessoirement laver mon linge et prendre une douche chaude ; surtout pour passer du bon temps avec lui, sa Violette et sa petite Janis, 3 mois, qui pousse à vue d’oeil.



 Quant à la découverte de la Nouvelle-Calédonie, elle n’est pas encore à l’ordre du jour, mais je garde mes yeux et mes oreilles bien ouvertes à son sujet. Notamment, j’enquête sur les élections de l’année prochaine, sous tension, qui devrait voir l’archipel obtenir sinon l’indépendance, une autonomie encore élargie. Dans la vallée de Koé, j’écoute les opinions des gens qui m’entourent, des blancs surtout, dans cette partie de la Grande
Terre.
Lors de mes temps libres, j’ai aussi parcouru Nouméa en tous sens : cette petite capitale d’outre-mer est bâtie sur un site exceptionnel, une presqu’île vallonnée qui dessine de nombreux caps et autant de baies. Assez propre et moderne, plutôt étendue, elle est composée d’une population hétéroclite ; métropolitains, caldoches et kanak urbanisés. C’est d’ailleurs en sortant d’un musée que j’ai rencontré l’adorable Marie-Gabrielle, une maman de l’île d’Ouvéa, haute en couleur avec sa robe à fleurs et sa gouaille. Plus tard, j’espère bien découvrir la beauté de son atoll et les traditions de sa tribu.


Aussi, en revenant de Bourail, plus haut sur la côte Ouest, où nous avons repeint une vieille demeure, Philippe, qui connait l’île comme sa poche, a eu la gentillesse de me montrer quelques fameux coins du littoral. A cette occasion, j’ai pu enfin nager un peu dans ce lagon aux teintes irréelles.











La simplicité de mon mode de vie, la précarité diraient certains, comporte l’avantage de m’éclaircir les idées, et de me faire prendre du recul sur le chemin parcouru. Notamment, lors des journées pluvieuses, j’ai enfin terminé une mission de la plus haute importance : écrire consciencieusement à chacun de mes amis du monde, et à ceux restés au pays bien sûr. Après des dizaines et des dizaines de mails, et de nombreuses réponses qui font chaud au cœur, je vais pouvoir me concentrer sur la suite : l’élaboration d’un nouvel itinéraire extraordinaire à travers un nouveau continent, l’Amérique du sud, le dernier en ce qui me concerne. J’ai le luxe d’avoir toutes les options, et le temps d’y réfléchir.