jeudi 25 avril 2013 - 923e jour


Dès 4 h du matin, Yutmen frappe à ma porte et a l’obligeance d’aller chercher quelques beignets pendant que je prépare le café. Et une heure plus tard, le minibus dans lequel je vais passer toute la journée vient me chercher. Il ne date pas d’hier, mais de facture japonaise, il est encore en bon état. Correctement installé, je dors pendant le ramassage des autres passagers et nous ne quittons vraiment Kupang que vers 6 h. Un long chemin nous attend et le chauffeur ne compte visiblement pas s’éterniser : malgré les virages incessants, il appuie sur le champignon. Alors que nous nous enfonçons dans le centre montagneux de l’île, les villages pittoresques des ethnies du coin défilent. Il est déjà midi quand nous atteignons la frontière : je quitte donc l’Indonésie après un séjour de 72 jours. En retard de 12 jours, je dois m’acquitter d’une pénalité de 2 200 000 roupiah (170 euros) : on a beau si attendre, ç’est quand même douloureux. Mais d’un autre côté, j’ai adoré parcourir ce pays, si grand, si beau, si spécial. De Sumatra à Timor, en passant par Java ou Flores, sans oublier Bali évidemment : entre mers et montagnes, j’ai vu nombres de lieux sublimes et rencontré moult cultures fascinantes. Je paye donc sans regret aucun. Et de l’autre côté aussi, je paye un douanier, avec un nouvel écusson sur son uniforme : celui du Timor-Leste, 41e pays de mon épopée et le dernier avant un bon moment. C’est aussi le dernier né des états asiatiques : en 2002, après avoir été une colonie portugaise pendant quatre siècles et après avoir durement subi l’occupation indonésienne pendant 27 années, il devient enfin indépendant. Alors que j’avais fini par bien me débrouiller en indonésien, ici on parle portugais : je ne comprends plus rien. Autre différence notable, l’état lamentable de la route : sur une piste défoncée, nous longeons maintenant un relief très escarpé qui dégringole dans l’océan ; néanmoins, à 1OO m de hauteur, le panorama est superbe. J’ai d’ailleurs tout le temps de le contempler alors que nous attendons que les pelleteuses déblaient la voie en construction. La végétation, même si elle reste fournie, devient de plus en plus sèche, presque de type méditerranéen ; pour un peu, on croirait le Monténégro. Dans ces conditions, nous roulons le plus souvent au pas, tout en étant rudement secoués. C’était prévu mais le trajet, à travers cette petite nation d’un million d’habitants, encore nettement sous-développée, est interminable. La nuit est déjà tombée depuis un bon moment quand nous atteignons enfin Dili, modique capitale en chantier. Du fait de la présence de nombreux occidentaux, membres de l’ONU ou de diverses ONG, les prix sont élevés. Ainsi, dans un dortoir minable, j’atterris sur un pauvre lit superposé en fer qui me coûte tout de même 12 dollars US, la monnaie en vigueur. Il est déjà plus de 20 h, ce qui fait quand même 15h de voyage. Je pare au plus pressé, à savoir diner et prendre une douche. Et puis bizarrement, malgré la fatigue, je veille assez tard en faisant le tour complet du web.



mercredi 24 avril 2013 - 922e jour


Ce matin, comme Yutmen donne des cours, c’est son grand frère, malgré son anglais hésitant, qui prend soin de l’invité. Il m’emmène d’abord à la mairie, où se déroule une foire d’artisanat ; mais comme les stands sont encore en cours d’installation, le tour est plutôt rapide. Il me conduit alors à son école, fermée aujourd’hui, où il officie en tant que prof de musique ; avec les salles de classe bâties autour d’une jolie cour, l’établissement est très agréable. Nous y avons une discussion hautement stratégique à propos de foot, puis c’est au tour d’une de ses collègues de me bombarder de question sur le système français ; elle est sidérée par tant d’avantages. Ensuite, mon jeune ami vient reprendre le flambeau. Après avoir récupéré le visa au consulat en un clin d’oeil, nous filons acheter mon ticket de bus pour Dili, où je me rends dès demain. Au Timor Leste, je ne compte rester que 5 jours avant de m’envoler pour Nouméa : cette fois, ça sent la fin ; la fin d’un chapitre seulement. Pour déjeuner, alors que je me fais généralement un devoir de payer dès que nous sommes dehors, Yutmen tient cette fois à m’inviter. Nous allons donc dans un bon restaurant, sur une vaste terrasse entourée de végétation. Au milieu de cadres en costume, je me régale de porc grillé au barbecue. Plus tard dans l’après-midi, il me réserve une surprise rafraîchissante. En moto comme toujours, nous sortons de la ville, stoppons sur un petit chemin, et partons à pied à travers champ, dans un paysage de hautes herbes jaunies planté de quelques arbres chétifs ; on se croirait presque dans la savane du grand rift. Au bout du chemin, nous descendons dans une grotte étroite, et au fond de la fissure, dans l’obscurité, les reflets d’un bassin dansent sur la roche. En me baignant dans le noir, je ressens une impression étrange, une sorte de vertige. Enfin, pour mon dernier diner indonésien, nous allons dans un bien modeste boui-boui de bord de route. J’y mange un grand classique, ou plutôt deux : saté ayam et mie goreng (brochette de poulets sauce cacahouète et nouilles sautées). Et alors que mon ami et moi philosophons sur le voyage, je l’encourage à être un peu moins sage, lui qui a tout du gendre idéal. S’il veut parcourir le monde lui aussi, il va devoir bousculer l’ordre établi. Quoiqu’il en soit, je me réjouis d’avoir rencontré, sur ma longue route, cet adorable garçon, si brillant dans sa tête et généreux dans son coeur.



mardi 23 avril 2013 - 921e jour


Ce matin, Yutmen effectue un travail de programmation avec son jeune cousin. Quant à moi, installé sur la terrasse, mes leçons portent sur l’histoire et la rédaction, sans oublier une séance d’éducation physique. Pendant le déjeuner, alors que j’ai abandonné mes cours d’indonésien sachant que je vais devoir me mettre au portugais dans deux jours, mon ami continue d’apprendre promptement le français. Puis dans l’après-midi, il tient à me conduire sur la colline qui domine la ville. Nous traversons donc une nouvelle fois Kupang et une fois sur place, je ne peux pas m’empêcher de traîner mon camarade dans les hautes herbes jusqu’à l’ultime point culminant. Et pour être bien certains d’être au sommet, nous allons jusqu’à grimper dans un arbre ; de notre perchoir, nous apprécions une vue époustouflante. Et étant donné la chaleur, nous filons dans la foulée à la plage. A quelques kilomètres seulement, nous stoppons à Lasiana beach. C’est dans cet endroit superbe, étonnement préservé, que les habitants viennent se détendre le week-end ; aujourd’hui, il est désert. Yutmen me présente alors l’heureux propriétaire du seul bar à l’horizon, idéalement placé en retrait de l’interminable rivage, à l’ombre des nombreux cocotiers et rôniers. Dans cette grande cabane typiquement tropicale, je m’excuse auprès d’Ody, la quarantaine, à qui j’avais également demandé l’hospitalité ; mais l’homme est charmant et ne me tient pas rigueur d’avoir répondu en premier lieu à son jeune ami, plus rapide sur le coup. Apprenant que je suis menuisier, il me charge d’inspecter ses travaux d’agrandissement, et en respirant l’odeur du bois coupé, je me souviens qu’il va très bientôt me falloir me remettre à l’ouvrage. Mais d’ici là, Yutmen et moi allons batifoler dans l’eau tiède, avant de longuement marcher sur le sable en profitant de la fin du jour. De retour à la maison, la famille se retrouve au grand complet pour le diner : les deux ainés de mon hôte, qui est le petit dernier, viennent s’ajouter à leurs trois cadets qui habitent toujours le cocon familial, que l’on ne quitte normalement qu’après le mariage. Ainsi, la fratrie est au complet : le plus vieux est pasteur, le second est enseignant, tandis que les suivants, que je connais déjà, sont commercial et consultant financier. Au menu, le goût extrêmement aigre des feuilles de papayes fait débat, mais je préfère rester diplomatiquement neutre. Et plus tard au dehors, dans la douceur de la nuit, j’observe avec amusement les cinq frères se chamailler, comme j’aime tant le faire avec le mien.













lundi 22 avril 2013 - 920e jour


Le programme du jour n’a rien de réjouissant, puisque je dois remplir des obligations administratives. En effet, avant d’entrer au Timor Leste, ce petit pays qui occupe la partie Est de l’île, je dois obtenir le visa de la part du consulat. Débarqué un samedi, l’histoire m’oblige à rester en ville 5 ou 6 jours, mais cela me convient finalement assez bien. D’abord, je suis en excellente compagnie et confortablement installé ; et ensuite, depuis ma pause à Bali, je n’ai pas su, ou pas voulu, retrouver mon rythme habituel. Et puis partager un peu de la vie de mon hôte reste très enrichissant, tant pis pour le Timor rural. D’ailleurs, Yutmen, qui est disponible, m’offre son aide sans hésiter. D’abord, pour compléter mon dossier, j’ai besoin d’un billet d’avion : nous nous rendons donc dans ce fast-food où, sur internet, je cherche la meilleure offre. Rompu à l’exercice, je décortique les offres : la première, Dili – Nouméa, émarge à plus de 1000 euros, une fortune. Alors en décomposant méthodiquement le trajet pendant des heures, je signe pour 4 vols étalés sur 3 jours. C’est scandaleux, mais je ne verrai de l’Australie que 3 aéroports, dans lesquels je vais devoir dormir 2 nuits. Alors que chaque jour, je pinaille pour des sommes dérisoires, me voilà obligé de m’acquitter de 680 euros ; cette fois c’est sûr, je vais arriver en Nouvelle-Calédonie sur la paille ou presque, sans même savoir encore chez qui atterrir. Il me faut encore imprimer un relevé de compte et photocopier mon passeport, et après avoir déjeuner, nous nous rendons au consulat. Je réponds à chaque demande de l’agent en lui remettant mes papiers un à un. Cette fastidieuse tournée est au moins l’occasion de découvrir Kupang, cette agglomération de 500 000 habitants, gentiment animée, avec son inévitable cohorte de motos, et visiblement pas pressée de se développer. Les aménagements sont rudimentaires et de nombreux bâtiments sont vétustes, quand la plupart ne dépassent deux étages ; pourtant, je remarque très peu de chantier de construction. Il y règne néanmoins une atmosphère agréable, nonchalante, impression accentuée par le front de mer qui n’est jamais bien loin. Comme sur le retour, Yutmen me laisse le guidon, je lui montre comment il faut conduire en ville : nous rentrons beaucoup plus vite que nous sommes venus. Après avoir pris un repos mérité, mon ami me propose de l’accompagner à la répétition de sa chorale. Ainsi, devant une belle maison, je m’assoie discrètement dans un coin pour écouter une bonne vingtaine de personnes entonner des cantiques façon gospel. Et je suis stupéfait du résultat, d'une admirable qualité. Yutmen, à la voix de ténor, produit un solo parfait ; ce garçon est décidément bourré de talents. Nous prolongeons ensuite la soirée sous les étoiles, en allant grignoter du maïs grillé sur un quai populaire vaguement aménagé face à l’océan.






dimanche 21 avril 2013 - 919e jour


Sur Florès, les portugais ont légué le catholicisme, mais ici, à l’Ouest de Timor, les gens sont de fervents protestants du fait de la longue présence des hollandais. Et en ce dimanche matin, bien sûr, tout le monde va à la messe. Je passe donc une matinée très tranquille, à déambuler dans la grande maison vide et à travailler sur la terrasse. Puis la famille revient pour le déjeuner : chacun mange où et quand ça lui chante, et je partage mon repas attablé avec Yutmen ; riz évidemment, poisson et feuilles vertes. En suivant, nous allons retrouver la même bande que la veille ; la jolie française, l’espagnol, l’australien et sa petite-amie ainsi qu’un couple de jeune indonésien. C’est donc un convoi de quatre motos qui roulent lentement à travers la campagne en direction d’une plage de la côte Nord. Hors de Kupang, les gens sont tous paysans et vivent de la manière la plus simple. Les cahutes en bambou et toits de chaume se succèdent, tandis que nous prenons de la hauteur. En outre, la saison des pluies de quatre mois seulement étant fini depuis un bon moment déjà, la végétation est nettement plus éparse que sur les îles précédentes. Parfois, au détour d’un virage, au-delà des herbes roussis par la sécheresse, on domine la côte tortueuse, superbe, cernée par l’infini bleu. Après une heure de route, nous nous arrêtons boire un verre dans un charmant village de pêcheur, très pittoresque, puis nous atteignons enfin la plage. Je me demandais pourquoi nous allions si loin alors que tout le littoral est si engageant, mais je dois bien reconnaître que cet endroit sauvage, seulement occupé par quelques locaux, valait le détour : eau tiède et limpide, mer d’huile, et sable blanc agrémenté de quelques anciens récifs coralliens. Comme je manque d’exercice ces temps-ci, je nage longuement, tout seul, avant de me revenir me mêler à la joyeuse équipe. Je bavarde avec les uns et les autres, notamment avec le pauvre ibère qui tient une forte fièvre ; je ne le rassure pas en lui contant ma rude expérience du palu. En repartant, nous nous arrêtons au village pour contempler le coucher du soleil, et après une crevaison, comme Yutmen part raccompagner un ami, je l’attends chez l’australien. Il admire mon épopée, mais j’en ai autant à son service, lui qui accepte un salaire de misère pour aider les autres, tout en vivant dans une maison rudimentaire et en se mêlant avec humilité à la population. Bien plus tard, mon hôte m’emmène diner au marché du soir, où nous sommes les derniers clients au milieu des guinguettes typiques. En dévorant méticuleusement un gros poisson grillé, j’apprends à mieux connaître cet adorable garçon.


 

samedi 20 avril 2013 - 918e jour


Une première fois, je suis réveillé par le raffut du dortoir, qui m’indique que nous sommesdéjà arrivé à Kupang, la capitale de la partie indonésienne de l’île de Timor. Sur l’horloge, je lis deux heures du matin : hors de question de sortir à cette heure-ci, je me rendors aussitôt. Aux premières lueurs de l’aube, les derniers occupants vident les lieux, mais je préfère terminer ma nuit. Et quand les femmes de ménages font leur entrée vers 7h, je me lève cette fois en pleine forme. Je commence par prendre le petit-déjeuner à la gargote du port, puis à une heure convenable, j’appelle mon hôte. Mais suite à une incompréhension, je reste planté là un long moment, à observer les va-et-vient. Sachant finalement où me trouver, Yutmen vient me chercher sur sa moto et m’emmène chez lui. Sur la terrasse de la maison sans faste mais spacieuse, ce charmant garçon de 23 ans, qui est allé faire ces études à Yogyakarta, m’explique être revenu vivre chez ses parents un peu à contrecoeur. Sans emploi véritable, il pourtant un emploi du temps chargé. D’abord, il gagne un peu d’argent en servant de traducteur à une multinationale, puis deux fois par semaine, il dispense bénévolement des cours d’informatique, sa spécialité. Les pratiques artistiques sont franchement encouragées dans la famille, et Yutmen n’est pas en reste : écrivain à ses heures perdues, il chante aussi dans une chorale et il est membre d’une troupe de danse traditionnelle. Justement, il se produit sur scène ce soir, et je suis évidemment ravi d’accepter son invitation. Mais d’abord, nous nous rendons au centre culturel où il doit se préparer ; après avoir salué ses camarades, j’emprunte sa moto pour aller patienter dans un fast-food équipé d’une connexion internet. En début de soirée, le trajet en bémo, rempli des artistes grimés, est des plus cocasses Je m’installe alors dans les jardins du palais du gouverneur en compagnie d’une poignée d’autres occidentaux, engagés dans l’humanitaire pour la plupart. Je fais notamment la connaissance d’un australien et de son invité espagnol, un voyageur cycliste, et d’une charmante franco-ghanéenne, qui vient dispenser ses conseils en matière d’égalité des sexes. Quant au spectacle, organisé en faveur de la lutte contre la drogue, il traîne en longueur. Nous avons droit à de nombreux discours enflammés, ponctués de divers shows musicaux : variété, hard-rock aussi, et donc trois ou quatre séances de danses traditionnelles représentant quelques-unes des 14 ethnies composant la population de Timor. Yutmen, vêtu d’un déguisement de dragon de Komodo, participe à une chorégraphie plus contemporaine. Après cette soirée divertissante, en rentrant à la maison derrière mon gentil monstre, j’estime que je suis encore très bien tombé.

 
 
 

vendredi 19 avril 2013 - 917e jour

Hier, j’ai appris que le ferry que je pensais initialement partir dès l’aube ne prend la mer qu’en début d’après-midi. J’en profite donc pour me prélasser au lit. Plus tard, je me rends au port, juste de l’autre côté de la rue, afin d’acheter mon billet. Je ne manque pas de boire un café et en suivant, je flâne sur la plage avant de m’adonner au meilleur exercice, une bonne séance de natation dans l’eau tiède et cristalline. J’échange quelques mots avec un pêcheur qui rentre du travail dans sa coquille de noix, puis je vais tranquillement préparer mes affaires. Toujours à un rythme de sénateur, je reviens au port, où j’avale une assiette de riz, et lorsque la sirène retentit, j’embarque à bord du gros tas de ferraille. Alors que j’avance droit vers l’Est depuis des milliers de km, je mets cette fois le cap au Sud. Demain matin, je poserai le pied sur l’île de Timor, coupée en deux par une frontière ; c’est donc sur cette grande terre que j’achèverai mes extraordinaires aventures asiatiques. D’ici, là, je traverse la mer de Sawu, en fait une fraction de l’Océan Indien sur lequel je vogue pour la dernière fois ; loin, très loin après la première, lors de mon voyage entre Dar es Salaam et Zanzibar voilà déjà plus d’un an. En me remémorant ce parcours sinueux, démesuré, je fais les cent pas sur le pont, tandis que le navire glisse entre l’île de Solor à bâbord et la superbe Florès à tribord. Comme une évidence, c’est un énorme volcan clairement très actif qui semble me saluer. J’écris ensuite un moment sur ma couchette, dans le dortoir climatisé de la classe « bisnis », jusqu’à ce que mon voisin m’offre gentiment un Pop Mie pour le diner. Il ne parle pas un mot d’anglais, mais je réponds néanmoins avec un paquet de biscuits, auquel il réplique en sortant une bouteille d’arak de son sac. Alors que nous trinquons sous les étoiles, même si la discussion est limitée, nous parvenons à échanger maladroitement, par des regards complices ou des gestes ; par exemple, je lui explique tant bien que mal que cette constellation face à nous, la Croix du Sud, est utilisée par les marins depuis la nuit des temps. Lui bien sûr, y voit un signe de son dieu.



jeudi 18 avril 2013 - 916e jour


Lever dès 6h comme j’en ai l’habitude, j’embarque vingt minutes plus tard dans un minibus ; j’estime que ma longue journée s’engage bien, mais c’était sans compter sur l’attente d’une heure à la gare routière. Dans le coin, comme les gens n’ont pas de voiture, on prend grand soin des bus et celui-ci ne déroge pas à la règle : relativement ancien mais entièrement rénové, il arbore une carrosserie repeinte d’une jolie fresque colorée, et la puissante sono crache des classiques rock américains ou de la pop indonésienne. En milieu de matinée, nous traversons Moni, où j’aperçois ma belle espagnole en train de bouquiner sur sa terrasse. A partir de Maumere, la plus grande ville de Florès, nous roulons un moment le long de la côte Nord, sur la seule portion relativement plate et rectiligne. A partir de là, comme je me retrouve tout seul sur la banquette arrière, je prends mes aises : les pieds et la tête au vent, dépassant de chaque côté du véhicule, la visière de ma casquette judicieusement placée sous la nuque, je dors comme un bébé. A mon réveil, c’est la pause-déjeuner ; évidemment, dans ce restaurant au milieu de nulle-part, je ne passe pas inaperçu. Puis nous repartons dans une succession de montées et de descentes ; la région semble encore moins habitée, et en conséquence nettement plus sauvage, puisque nous franchissons maintenant de véritables forêts plantées d’arbres centenaires. Et après 8h de voyage, nous atteignons enfin Larantuka, le point final de cette courbe colossale que je trace depuis Sumatra. Juste en face du port, le coaxer me dépose devant une vieille bicoque sur laquelle est accrochée une pancarte indiquant « hôtel ». La grand-mère, qui n’en revient pas de me voir chez elle, finit par me donner une minuscule chambre des plus rudimentaires ; je la paye 25 000 rupiah (deux euros), record battu. Je me presse de ressortir avant la fin du jour : ce côté de la ville n’est qu’un village très pittoresque, qui s’étale le long de la côte escarpée. Je me défoule en jouant une partie de volley avec des adolescents, avant de me poser face au panorama toujours aussi sublime ; le soleil se couche sur l’océan et sur ces petites îles qui s’égrènent toujours plus loin vers l’Est. Un homme en moto me conduit alors dans le centre très tranquille, puis comme je parviens à trouver un vaste restaurant doté d’internet, j’arrête un gamin qui m’emmène gentiment chercher mon ordinateur ;  en me déposant devant l’établissement, il déguerpi sans que j’ai le temps de lui donner une pièce. Vers 22 h aussi, alors que je me résous à marcher les 5 ou 6 km sous la voie lactée, un homme âgé a la courtoisie de me raccompagner jusqu’à mon humble demeure.



mercredi 17 avril 2013 - 915e jour


En prenant mon petit-déjeuner sur le balcon de mon bungalow de bambou, je profite encore un peu de la fraîcheur relative de Moni, perché à peut-être 500 m d’altitude, avant de redescendre au niveau de la mer, dans la canicule. Je n’attends pas longtemps sur le bord de la route, et lors de ce court trajet de deux heures, j’ai à peine le temps de fermer l’oeil que me voilà déjà revenu à Ende. J’y trouve un grand hôtel très bon marché, puis j’enfourche immédiatement un ojek pour me rendre au guichet d’une compagnie navale privée. Contrairement à mes informations, leur bateau en direction de l’île de Timor est parti hier, et le prochain ferry public ne lève l’ancre que lundi. J’ai beau aller jusqu’au port de marchandise, l’officier m’indique qu’aucun cargo n’est au départ ; me voilà coincé ici pour quatre long jours. Sur le retour, contrarié, je me contente de répondre poliment mais sèchement aux innombrables « hello misterrr ». Mais en déjeunant sur la terrasse de l’hôtel, le patron m’explique qu’un ferry part après-demain de Larantuka, à l’extrême Est. Pas convaincu, j’hésite quelques minutes avant de décider de prendre le risque d’effectuer le trajet pendant toute la journée de demain. D’ici là, rien de tel pour me calmer que de marcher un peu : je parcours donc les rues bruyantes de cette ville moyenne, ponctuées d’églises et de mosquées, jusqu’au centre, laid et encombré. Pourtant, en me rapprochant de la mer, le bourg devient plus agréable : l’ancien village de pêcheurs est resté en l’état, avec ses ruelles paisibles et ses maisonnettes de bois nichées dans des jardins soignés. Arrivé sur la plage, malgré la chaleur, je renonce à me baigner ; même si le sable noir cache la misère, la plage est jonchée de détritus, sans compter plusieurs cours d’eau qui sont autant d’égouts se déversant dans l’océan. Plus loin, je jette un œil à la maison qu’occupait Soekarno lors de son exil forcé, celui-là même qui proclama plus tard l’indépendance et devint le premier président. Comme le gardien dors à poing fermé et que la porte est verrouillée, je m’introduis par derrière et visite les lieux sur la pointe des pieds. Plus tard, à la sortie de la ville, je m’arrête dans une boutique pour prendre un café au calme ; c’est raté, car la famille et les voisins sont trop contents de voir un « boulé ». Après l’inévitable séance photo, trois adolescentes hystériques et un garçon à peine plus vieux insistent pour que je les accompagne à la plage. Grace à eux, même si la discussion est limitée, je retrouve le sourire. Je le répète souvent : tout dépend de comment on voit les choses. Avec un autre état d’esprit, j’apprécie de regarder les gamins jouer au foot, et surtout j’admire la situation exceptionnelle de cette banale cité portuaire, blottie au fond d’une large baie et encadrée par deux gros volcans verdoyants. Enfin, je passe une soirée paisible sur internet. Ici, loin des circuits touristiques, il n’y a guère plus qu’une poignée de baroudeurs étrangers parmi les voyageurs locaux. Fort de mes deux mois de présence en Indonésie, je distille quelques conseils à un suisse d’abord, puis à un mexicain qui parle très correctement le français ; mais le plus surprenant, c’est son bel accent hispano-québécois.