lundi 25 mars 2013 - 892e jour


La thématique de la matinée pourrait s’intituler « sport et nature », puisque nous partons de bonne heure pour une session rafting. Nous sommes d’abord conduits au point de départ, où des dizaines de touristes enfilent casque et gilet de sauvetage, puis il faut descendre jusqu’à la rivière dans une gorge très encaissée. Il y a trop longtemps que je n’ai pas vu d’endroit véritablement sauvage, tant les javanais et les balinais cultivent la moindre parcelle de terre. Là, la pente est bien trop raide pour être exploitée et la végétation luxuriante est sublime. A bord du canot gonflable, nous embarquons avec un capitaine local et trois jeunes australiennes. Ce sont des comiques, mais pas elles ne sont pas très énergiques pagaie en main ; à l’avant, je compense avec plaisir tandis qu’Olivia, émerveillée par le spectacle, n’est pas en reste. A part deux ou trois rapides nerveux, le torrent n’est pas bien violent, mais évoluer dans un tel décor, à la fraîche qui plus est, demeure un vrai bonheur. Le guide nous arrête de temps en temps pour une baignade dans l’eau froide, ou encore sur la rive pour souffler un peu. Le tarif n’est pas donné, mais avec deux heures de rame, nous en avons pour notre argent. Après un copieux buffet, nous nous faisons déposer juste devant le musée d’Antonio Blanco. Cet espagnol du siècle dernier, outre son talent reconnu, était un original, une sorte de Dali des îles. On le constate d’entrée, en visitant sa demeure extravagante aux couleurs pastels, perchée sur une colline. Grâce à son style singulier teinté d’impressionnisme, il exalte la beauté des balinaises. Et puis on ne peut pas séjourner à Ubud sans voir une représentation de danse classique. Pour conclure cette belle journée, nous nous rendons donc au palais qui, à mon sens, garantie une qualité élevée. Et en effet, le gamelan, l’orchestre traditionnel composé d’une bonne vingtaine de musiciens hors pair, propage des mélodies fascinantes à travers les gongs, les cloches et les xylophones. Quant aux danseuses de Legong, dans le rôle des nymphes divines, vêtues de costumes somptueux, leurs gestuelles allient une précision experte et une grâce envoûtante. Ce spectacle est du grand art ; il nous transporte. Sur le retour, j’explique que nous venons d’assister à l’essence même de la culture ; une vie passée à se perfectionner ne suffit pas, cela implique également des siècles de transmission du savoir.
















dimanche 24 mars 2013 - 891e jour


A voir toutes les jolies choses étalées dans les vitrines, Olivia trépigne depuis que nous sommes arrivés à Ubud. Le shopping n’est pas vraiment ma tasse de thé, mais devant ses beaux yeux, je veux bien faire une exception. Et la liste des cadeaux à ramener dans ses bagages est longue, statuettes pour la famille, sarong pour les copines ou babioles pour les collègues. Ainsi, comme je me débrouille désormais avec la langue, notamment en sachant compter, j’aiguise mon aptitude au marchandage toute la matinée. Entre les étoffes de soie, les masques de divinités, les parfums ou les peintures, j’admets de bonne grâce que la qualité proposée ne facilite pas le choix. Ravie de s’être délestée de quelques liasses de billets, elle me remercie des économies réalisées en me payant un bon déjeuner. En suivant, puisque la cité est connue comme la capitale des arts, nous nous rendons à l’autre bout de la ville pour visiter l’un des nombreux musées. Celui fondée par le peintre Neka est tout bonnement l’un des plus beaux qu’il m’ait été donné de voir. En circulant dans les différents pavillons, nous nous émerveillons devant les sculptures et surtout les toiles des artistes du cru. Autant de talent exprimé dans une telle richesse de style, c’est invraisemblable. Entre le style naïf et foisonnant typiquement balinais, la sensibilité du maître classique Abdul Aziz ou le trait syncopée du célèbre Affandi, nous le quittons époustouflés. Rien de tel pour se remettre de nos émotions qu’une séance de natation ; et après nous être délassés dans notre jardin de rêve, nous ressortons dans la soirée pour prolonger le thème culturelle. Un festival pluridisciplinaire à l’organisation carrée présente plusieurs concerts. Des vieux hippies et de curieux spécimens de jeunes mystiques se dandinent devant un israélien jouant des chansons folk à tendance world, puis le groupe que je tenais à entendre entre sur scène et l’ambiance monte d’un cran. Comme son nom l’indique, Afronesia se compose de musiciens sénégalais et indonésiens : sur des rythmes endiablés, les traditionnels kora et balafon d’Afrique de l’Ouest se mêlent joyeusement à la guitare et au violon plus contemporains. La fusion des genres est excellente, et je retrouve avec nostalgie l’allégresse inimitable de mes frères noirs.



samedi 23 mars 2013 - 890e jour


Comme le veut une tradition très répandue dans le Sud-Ouest asiatique, les cages de trois ou quatre oiseaux tropicaux, sélectionnés pour leur chant particulièrement mélodieux, sont éparpillées dans notre jardin féérique. Ce sont donc leurs jolis gazouillis qui nous tirent de notre sommeil. On nous sert alors un petit-déjeuner complet sur notre terrasse, puis pour finir de nous réveiller en beauté, nous ne manquons pas de piquer une tête dans la piscine à deux pas. Nous partons alors à la découverte d’Ubud : en remontant la rue, nous percevons tout le charme de cette petite citée : aucun immeuble de béton ici, l’architecture traditionnelle est omniprésente, et la beauté des pensions rivalise avec celle des innombrables temples. Nous constatons également son opulence, tant le tourisme prospère. Outre les hôtels de caractère, se succèdent les restaurants raffinés, les boutiques exposant un artisanat de qualité, ou encore des spas aux vitrines stylisées. Et bien sûr, comme dans tous les endroits réputés, les commerçants ne se gênent pas pour gonfler les prix. D’ordinaire, une telle pression commerciale me donne des boutons, mais il faut reconnaître que la ville est superbe, avec beaucoup de caractère et une affluence raisonnable. Tous ces temples surtout, publics ou privés, puisque chaque maison en possède un, confère à l’ensemble une atmosphère très spéciale. Je n’ai rien vu de tel depuis la merveilleuse Luang Prabang, au Laos. Autour du carrefour principal, nous arpentons les allées presque trop nettes du marché, puis nous pénétrons dans la superbe cour du palais, où je prends des renseignements utiles auprès d’un notable. Lui comme tous les autres habitants sont charmants ; peut-être même un peu trop. Plus loin, nous bifurquons dans une voie sans boutique, qui n’en est que plus belle. De plus en plus, la nature déborde les murets des petits jardins, avant de s’imposer sur les constructions de brique et la profusion de statues. Nous déambulons maintenant en pleine campagne, elle aussi splendide, sur des chemins ombragés par de hauts cocotiers qui serpentent au milieu des rizières vert fluo. Pendant ce temps, nous nous arrêtons papoter dans la cabane d’un peintre talentueux ou bien déjeuner des produits frais dans une guinguette en bambou. Il fait toujours aussi chaud, mais Olivia, qui n’a toujours pas vu la moindre goutte de pluie depuis son arrivée, enchaine volontiers les kilomètres avec une mine enjouée. Quant à moi, je ne me lasserai jamais de parcourir de tels décors, variés qui plus est. D’ailleurs, en traversant la ville de l’autre côté, nous débouchons dans une scène encore différente, une véritable forêt tropicale plantée de grands arbres majestueux ; il fallait qu’elle soit sacrée pour être préservée des bucherons. Elle est aussi habitée par une foule de macaque : dans cet îlot de végétation luxuriante, ma copine effarouchée se cache derrière moi tandis que je taquine les facétieux primates. Evidemment, je nous impose quelques détours hors des sentiers battus, mais nous marchons déjà depuis six heures, bien assez pour ma randonneuse du dimanche. Après un passage obligé dans la piscine, nous regagnons notre maison de princesse, fourbus mais comblés.







vendredi 22 mars 2013 - 889e jour



De bon matin, comme je n’ai pas l’intention d’infliger encore à Olivia de tourner dans l’invraisemblable labyrinthe de Denpasar, je la laisse dormir et je m’y colle seul. Et malgré la répétition, le jeu de piste reste ardu. Mais cette fois, je ne traîne pas dans le bureau de l’immigration : quand j’entends que le réseau ne fonctionne toujours pas, je prends instantanément la décision de mettre les voiles sans mon passeport. Après tout, c’est de leur faute, on ne pourra pas me le reprocher. Sur le retour, je rends la moto et reviens à l’hôtel avec deux ojek (taxi moto), qui nous déposent dans la foulée à la gare routière, en périphérie. Ici, je suis dans mon élément, et je jette nos sacs dans un vieux minibus au départ. Mais il est déjà midi et nous sommes les premiers passagers : en avalant une soupe sous une bâche, j’indique à ma copine qu’il va falloir s’armer de patience. Une heure plus tard, alors que personne n’est venu remplir le véhicule, le chauffeur m’offre de nous conduire, rien que nous deux ; comme le prix est honnête, je cède. C’est donc dans un bémo privé que nous battons la campagne en direction d’Ubud, une petite ville distante d’une vingtaine de kilomètres dans les terres. Elle est connue comme étant le coeur artistique de Bali, tandis que les étrangers friands d’une supposée spiritualité en ont fait une étape prisée. Notre carrosse nous laisse à l’endroit indiqué, mais l’adresse est complète. Je déchiffre alors méthodiquement le guide, mais mon choix se situe à l’opposé. Nous voilà donc partis, sac au dos et plan à la main, sur une jolie petite route champêtre, en plein soleil. Plus loin, nous bifurquons vers le centre, urbanisé soit, mais sans commune mesure avec la pagaille de la capitale. Après une courte pause durant laquelle je taquine quelques singes farceurs sous le regard inquiet d’Olivia, nous pénétrons dans une jolie petite cours pavée, agrémentée de moult arbustes à fleurs. Autour, trois ou quatre petits logements individuels, dans le plus pur style balinais, sont admirablement soignés. Ainsi, nous posons nos bagages dans une véritable maisonnette de conte de fée : des murs en briques rouge, ornés de bas-relief exquis taillés dans une roche grise, des menuiseries raffinées, et l'ensemble prolongé par une jolie terrasse couverte. Divisée par deux, la facture reste raisonnable, et ça me change nettement de mes taudis habituels. Et pour couronner le tout, nous avons le droit d’utiliser la piscine de l’établissement voisin, nichée dans un magnifique jardin tropical. Comblés par tant d’élégance exotique, nous laissons filer l’après-midi en nous délassant dans l’eau tiède.






jeudi 21 mars 2013 - 888e jour

Notre programme du jour affiche la visite de deux temples réputés hors de Denpasar, l’un au bord de la mer et l’autre dans la campagne. Mais avant de quitter la capitale, nous devons passer à l’immigration, pour ce que je pensais être une petite formalité. Pourtant à l’aise pour m’orienter dans toutes les métropoles du monde, je ne parviens toujours pas à déchiffrer le plan de circulation insensé de cette ville. Dès que je localise un point de repère, les sens uniques m’envoient à l’opposé, et après une demi-douzaine de virages obligatoires dans le trafic, je perds le Nord, et mon calme. Même dans le secteur administratif, la ressemblance entre les avenues m’embrouillent à tel point que j’ai besoin de plus d’une heure pour enfin entrer dans ce satané bureau. Là, je m’entends dire que l’ordinateur est hors-service, panne confirmée une demi-heure plus tard. Je me retiens difficilement d’insulter le pauvre agent, qui trouve ça drôle, avant de recouvrer ma résignation africaine. La matinée est déjà fichue ; on verra demain. Rouler hors de l’agglomération et de son trafic infernal finit de me détendre, mais la chaleur accable ma pauvre Olivia, dont le teint pâle se change en rose bonbon. Heureusement, elle retrouve une couleur plus raisonnable lors d’une pause dans une guinguette. En début d’après-midi, nous atteignons enfin le fameux temple de Tanah Lot. Une fois passée la traditionnelle porte ornée de bas-reliefs et de statues, ainsi que l’inévitable allée d’échoppes à souvenirs, nous réalisons que ce n’est pas le monument en lui-même qui fait la renommée du site, mais sa superbe situation. En effet, le lieu de culte est relativement modeste, et comme les autres, on ne peut pas y entrer ; mais il occupe le sommet d’un gros rocher isolé dans l’océan, battu par les vagues. Sa silhouette sombre contraste magnifiquement avec les bleues du ciel et de la mer. Comme la marée est basse, on peut accéder à sa base, où trois vieux prêtres bénissent les visiteurs, dont ma camarade conquise, à tour de bras. Après une brève promenade sur le sable noir pour jouir du panorama, nous enfourchons à nouveau notre monture. L’agréable chevauchée à travers champs, durant laquelle je dois demander mon chemin à maintes reprises, nous conduit jusqu’à Mengwi. Aujourd’hui un gros bourg, elle fut jadis la capitale d’un puissant royaume : cela explique l’importance du temple Taman Ajun, bâti au 17e siècle. pour les mêmes raisons symboliques qu’Angkor wat, celui-ci est d’abord entouré d’un canal aux rives luxuriantes, puis d’une enceinte de brique. Néanmoins, celle-ci est suffisamment basse pour permettre, en la contournant, d’admirer l’architecture classique balinaise dans toute sa splendeur, baignée par la douce lumière de la fin du jour. Outre plusieurs autels richement décorés, pointent une dizaine de petits sanctuaires surmontés de ces gracieux toits de chaume superposés. Grâce à l'authenticité et à la sérénité qui règne ici, l’harmonie est parfaite. Nous savourons longuement cette paix salutaire dans les jardins alentour avant d’affronter, encore,  l’heure de pointe sur les boulevards de Denpasar.