lundi 28 janvier 2013 - 836e jour


Je débute la journée en dégustant mon café et mes brioches et en lisant un journal local, assis sur la fontaine d’une jolie place centrale. Il est déjà 8h, mais les lieux sont étonnamment déserts : normal, un article m’apprend que ce jour est férié du fait de Thaipusam. Ensuite, La Malaisie étant relativement couteuse, et la capitale encore plus, je pars en quête d’un logement plus abordable. Le Red Dragon, en plein cœur de Chinatown, est un gros cube gris : nettement plus populaire, il est occupé par des visiteurs asiatiques pour la plupart, et j’y partage une chambre sans fenêtre avec un vieux coréen et deux jeunes japonais. Après une nuit passée à l’aéroport, en transit, lors de mon vol Kathmandu – Hanoï, et encore deux brefs passages ces derniers jours, je m’attaque enfin à Kuala Lumpur, excitante métropole de plus de six millions d’habitants ; son modernisme, avec ses buildings audacieux et ses infrastructures novatrices, et sa diversité, issue des différentes origines culturelles qui la composent. Et puisque je suis basé à Chinatown, là où la cité fut fondée au 19e siècle, je commence mon exploration urbaine par-là, sur les trottoirs ombragés par des arcades, au milieu des étals de nourriture et sous les inévitables lanternes rouges. Puis je poursuis selon la méthode de la spirale à travers tout le centre-ville, assez compact. La diversité ethnique est frappante, puisque la majorité malaise se mêle joyeusement aux chinois, aux indiens, aux quelques arabes et aux visiteurs occidentaux. La mosaïque de styles architecturaux est une autre caractéristique marquante. Le long des grands boulevards à 6 ou 8 voies, le monorail, un métro aérien, slalome entre des gratte-ciels assez récents, bâtis à l’époque du boom économique des années 80. Dans les rues adjacentes, les bâtiments sont plus anciens, témoins des différentes étapes du développement de la cité : ici, des immeubles en béton vétustes des années 60 ; là, une interminable rue commerçante intégralement couverte et ses centaines de stands ; plus loin, des édifices aux couleurs vives datant du début du 20e siècle, néoclassiques, art-déco ou d’inspiration hollandaise ; très rarement enfin, on aperçoit de petites maisons en bois, vestiges d’une période révolue. Tout cela est parfaitement aménagé, très propre aussi, mais le moindre carré d’herbe est rarissime et le béton omniprésent : même les lits des deux cours d’eau, dont la confluence donne son nom à la ville, sont intégralement cimentés. Excité comme une puce, je gambade avec allégresse dans ce tableau captivant. J’entre dans un temple hindou et dans un autre taoïste, ou je parcours les allées du marché central, longue bâtisse rectangulaire bleu ciel. Bien plus tard, je traverse la rivière pour examiner la gare immense, mélange d’architecture gothique et mauresque, avec ses colonnades, ses voûtes et ses minarets, puis je visite le passionnant musée national, un modèle du genre, avant de respirer un peu dans un parc gigantesque et très soigné. Mes jambes deviennent lourdes, ce qui me rappelle que je marche sans discontinuer ou presque depuis au moins huit heures, par 35 degrés. C’est assez, je rentre. Mon hôtel est rudimentaire, mais il a un avantage : un salon dotée d’une large baie vitrée, dont il manque la moitié des carreaux, dominant la rue animée. J’y passe une soirée paisible, en bavardant avec toute l’Asie, dont un vieux japonais rieur. Pour la première fois, je rencontre quelqu’un qui a visité plus de pays que moi, 45 au compteur. Mais j’ai le temps de le rattraper : il m’avoue avoir 93 ans.







dimanche 27 janvier 2013 - 835e jour


Hier, avec les idées fumeuses, je me suis endormi très tard, mais je me réveille pourtant vers 9h30 : pas le temps pour une grasse matinée, je suis en retard pour ma leçon d’histoire. Au sommet de la colline qui domine la ville, j’entre d’abord dans le musée. Le sultanat de Kuala Selangor fut fondé à la fin du 18e siècle, quand le dirigeant de la région put se soustraire à l’autorité d’un royaume dominateur. Après moult péripéties, son descendant reste toujours le gouverneur. Jadis port de commerce prospère, il attira bien des convoitises : il fut attaqué à maintes reprises par les hollandais, repris par les malais puis conquit par les britanniques. Sur cette colline, qui fut le théâtre des opérations, il ne subsiste que les ruines du fort et de vieux canons. Et même s’il y trône un joli phare anglais et que les jardiniers font du bon travail, deux bonnes heures me suffisent pour en faire le tour. Accablé de chaleur, je passe encore deux heures à la gare routière allongé sur un banc, et deux de plus dans un car vétuste. Malheureusement, je n’ai pas trouvé d’hôtes à Kuala Lumpur, et comme le temps presse, j’entre dans le premier hôtel venu. Celui-ci est une magnifique maison de maître de l’époque coloniale, parfaitement organisé pour répondre aux besoins des touristes occidentaux. Tout de blanc et de noir, l’établissement est rénové avec goût, climatisé, avec des portes à digicodes, des patios, un restaurant, et un bar sur le toit. Vu les tarifs élevés, c’est dans un grand dortoir que je pose mes bagages avant de reprendre un bus dans la foulée, plein à craquer d’indiens endimanchés : les dames ont sorti leurs plus beaux saris et certains sont barbouillés de maquillage ou se sont rasés la tête pour l’occasion. David ne s’était pas trompé : la célébration de Thaipusam aux grottes de Batu, aujourd’hui même, est la plus importante fête hindou en dehors d’Inde. Pas moins d’un million de visiteurs y sont attendus. Aux abords de l’agglomération s’élève une haute falaise calcaire couverte de végétation et percée de nombreuses cavités, et à ses pieds se dresse une impressionnante statue dorée du dieu Murugan, plus de 40 m de haut. Les gens déambulent entre des boutiques en tout genre, quelques-uns entrent en transe au son d’une musique tonitruante, mais la plupart se bousculent pour gravir les centaines de marches qui mènent à « la grotte cathédrale ». Certains dévots prouvent leur foi en portant un petit pot de lait sur la tête, d’autres vont plus loin en portant de lourds récipients richement décorés, attachés par des dizaines de crochets plantés à même la peau. La procession se termine enfin dans la gigantesque caverne où ont été aménagés plusieurs temples. Ebahi, je me faufile un moment au milieu de la foule en liesse, puis je regagne la ville avec des images plein la tête.







samedi 26 janvier 2013 - 834e jour

La Terre et les hommes, les deux principaux motifs de ma course folle : depuis que j’ai quitté Bangkok voilà deux semaines, je gambade dans la nature, d’un parc national à un autre, d’une île à une montagne. Pendant les deux prochaines, je vais arpenter des métropoles résolument modernes et des cités chargées d’histoire. Et pour faire la transition, je pars ce matin pour Kuala Selangor, modeste bourgade de bord de mer et ancienne capitale d’un sultanat. Mais la réalité des cartes n’est pas celle de l’asphalte : je dois transiter par Kuala Lumpur, ce qui me rallonge d’environ 150 km et surtout de plusieurs heures. En descendant des montagnes dans mon bus princier, par ailleurs un vrai frigo, comme j’écris un peu le temps passe plus vite, jusqu’aux abords de la capitale où les embouteillages le ralentissent. Dans les banlieues, de grandes barres d’immeubles défilent, puis dans le centre, ce sont de hautes tours de verres. Vers 13h, nous stoppons plein centre dans la gare routière principale : elle est immense, sur plusieurs étages, et organisée au millimètre. Pourtant, le prochain car ne part que dans trois heures, alors armé d’un bout de papier, je traverse donc quelques pâtés de maisons à la recherche d’un carrefour, d’où partent les bus locaux. Rien de luxueux cette fois, le véhicule est probablement plus vieux que moi ; surtout, il s’arrête toutes les cinq minutes. Cependant, il roule mieux après être sorti de l’agglomération, alors que les inévitables palmiers à huile remplacent les buildings. Enfin à destination, je marche encore près d’une heure jusqu’au centre ; j’ai donc voyagé pendant 8h quand mes plans foireux en prévoyaient la moitié. Je déniche une petite chambre sans fenêtre dans un motel élégant, je jette mon sac sur le lit et ressors aussitôt. La côte, occupée par des marécages, n’est pas accessible, mais les autorités ont aménagé une petite réserve naturelle. Je parcours la forêt un bon moment, seul avec les singes et les oiseaux, avant de m’engager sur une très longue passerelle en bois qui s’enfonce dans l’épaisse mangrove, puis j’admire le soleil se coucher sur cette écosystème singulier du haut d’une tour d’observation. Après la douche, je dine chez un arabe quand j’entends parler français : je m’invite à la table de deux compatriotes, des cyclistes qui viennent de pédaler 100km. Je leur demande s’ils ne veulent pas m’accompagner pour voir une curiosité du coin, des milliers de lucioles illuminant les berges d’une rivière. Le premier est trop fatigué, mais le second accepte. David et moi avons beaucoup de points communs, nous nous entendons instantanément. Et pour ne rien gâcher, il a l’excellente idée de partager un peu d’herbe au moment propice. Ainsi, installés sur une barque et les yeux brillants, nous contemplons un énième miracle de la nature à la lueur de la pleine lune. Une luciole, en soi, c’est insignifiant, mais quand elles sont des millions à clignoter en rythme telles des guirlandes de noël, le spectacle devient enchanteur. Aussi, David me parle d’un événement à seulement 10 km de Kuala Lumpur, une fête hindou très importante qui se déroule pile demain. Une belle rencontre ce collègue : j’avais un programme léger, mais la journée va être chargée.

NB : la dernière photo n'est pas la mienne





vendredi 25 janvier 2013 - 833e jour


Dès 8h30, j’ai à peine le temps d’avaler mon café qu’un minibus rempli d’une dizaine d’étrangers passe me chercher. 25 euros pour ce tour organisé, c’est beaucoup pour mon maigre budget, mais le programme est prometteur. Après presque une heure de route, le vieux chinois nous arrête devant un sentier escarpé et nous confie à un guide d’origine indienne haut en couleurs, moustachu et tatoué jusqu’au cou, frusques en cuir et chapeau de cowboy. A un rythme de sénateur, nous nous faufilons alors dans un tunnel de bambous à larges feuilles avant de nous engager dans la jungle, sur un terrain très boueux. Du fait de l’altitude et de la très forte pluviométrie, elle est bien différente de celle que j’ai arpentée trois jours plus tôt : des bambous donc, mais aussi de belles fougères arborescentes, des arbres un peu moins hauts mais plus larges, enlacés de nombreuses lianes, et des sous-bois beaucoup plus denses, peuplé de moult plantes grasses et d’arbustes. D’ailleurs, en sautillant sur des cailloux, nous franchissons une dizaine de cours d’eau vaseux. Et après plus de deux heures de randonnées humides, même s’il ne pleut pas nous découvrons le clou du spectacle, la plus grande fleur de la planète. La rafflesia arnoldii, qui a besoin de 15 mois pour s’ouvrir et fane après 7 jours seulement, peut atteindre un mètre de diamètre. Celle que nous avons devant nous, avec ses cinq pétales rouge orangé d’une étrange matière, n’en est pas très loin. A partir de là, le rythme s’accélère. En redescendant, nous traversons rapidement un village d’aborigènes qui n’a plus rien de traditionnel depuis que le gouvernement leur a construit des maisons en dur. A nouveau sur la route, nous déjeunons en 20 minutes, puis à 5 ou 6, nous sommes ballotés dans un vieux 4x4 piloté par un chauffeur pressé. Nous visitons en vitesse une vaste plantation de thé, datant de l’époque britannique, avant de gravir à fond de seconde le point culminant de la région. Au sommet du Gunung Brinchang, 2030 m, subsistent quelques hectares de forêt primaire que nous parcourons pendant un trop court moment en ce qui me concerne, mais néanmoins avec une grande joie. Sur un matelas moelleux d’humus et dans un enchevêtrement de racines et de branches, des arbres ancestraux couverts de mousse se décomposent sur pied ; enveloppé de brume, l’endroit prend un air mystique. Mais la course continue : avant de regagner nos pénates respectifs, nous faisons halte dans une ferme de fraises, et enfin dans un élevage de papillons ; encore une merveilleuse journée bien remplie. Pendant tout ce temps, je sympathise avec une gentille chinoise, trois polonais qui n’en reviennent pas de mon parcours, et une jeune allemande rigolote ; comme elle est sourde et que j’ai l’habitude de parler avec les mains, je lui sers de traducteur. Aussi, quand cet espagnol discret m’avoue travailler en Suisse, je réplique que j’ai déjà entendu ça récemment ; au Laos en l’occurrence, deux mois plus tôt, de la bouche d’un voyageur à moto. Normal, il s’avère que c’était lui-même.





jeudi 24 janvier 2013 - 832e jour


Hier soir, en épluchant les dépliants, j’ai décidé de grouper les différentes activités des environs en réservant un tour organisé pour demain. Pour une fois donc, aujourd’hui c’est dimanche. J’ai d’ailleurs été bien inspiré, car il pleut quasiment toute la journée : tantôt une averse, tantôt un crachin, tantôt un déluge. Dans la matinée, à la première éclaircie, je tente une sortie pour faire le tour de Tanah Rata, petite station d’altitude un peu vieillotte avec ses immeubles délavés, mais bien tenue, et surtout encerclée de nature. Après une petite heure, je reviens déjeuner au stand d’un couple de vieux chinois, puis j’écris et je bouquine tout l’après-midi sur la terrasse de l’hôtel, au milieu des fleurs. Parfois, c’est bon de ne rien faire.