le Mali, l'Afrique authentique

Après quatre mois de repos et d'immersion, mon séjour dakarois s'achève dans les ruelles du quartier de Ouakam, très typique, où j'ai loué une petite chambre. Je profite de mes derniers jours de tranquillité en passant le plus clair de mon temps avec ma chère Hawa. Lorsque je quitte la capitale sénégalaise, ma belle et mes amis, je débute le deuxième quart de mon incertain périple, durant lequel je compte traverser le continent d'Ouest en Est, jusqu'à l'île de la Réunion. A mi-parcours, je ferai une halte familiale chez mon frère, au Gabon.




En attendant, j'entre d'abord au Mali, déjà le vingt-et-unième pays de mes aventures. De multiples ethnies aux coutumes diverses, dominées en nombre par les Bambaras, composent les quinze millions d'habitants, qui sont essentiellement agriculteurs ou éleveurs. Outre les deux tiers Nord occupés par l'infini Sahara et une partie quasi-tropicale réduite au Sud, le centre du Mali est caractéristique du Sahel. Le majestueux Niger et ses affluents arrosent heureusement ces terres arides, formant le delta intérieur, immense zone marécageuse en grande partie inondée après les pluies d'août et septembre.












C'est après deux jours dans un long bus fatigué, en compagnie de soixante-dix passagers, que j'atteins Bamako. Et mon arrivée est pour le moins mouvementée puisque les vilains bagagistes ont dérobé, malgré ma vigilance, mon appareil photo. Comme je suis certain de la culpabilité de l'un d'entre eux et que mes réclamations bruyantes n'ont aucun effet, nous finissons tous au commissariat. Malgré les beaux discours de l'inspecteur, les bandits persévèrent dans leurs mensonges. Je finis difficilement par me résigner. Je passe ensuite quelques jours plus paisibles chez Aimé, chargé par mes amis de Dakar de prendre soin de moi et qui s'acquitte de la tâche avec bienveillance. Mon nouvel ami habite avec ses parents une confortable demeure, régulièrement envahie par ses nombreux cousins et cousines. Aimé, du même âge que moi, est un garçon éduqué et ouvert avec qui je me découvre beaucoup d'affinités. Comme il part travailler chaque jour, je profite des ses absences pour explorer la vaste capitale malienne. Construite sur les rives de l'imposant Niger et entourée de collines, elle est habitée par près de deux millions de personnes et, bien sûr, elle est en pleine expansion. La végétation y est abondante en ce début d'hivernage, la saison des pluies. Relativement propre puisque lavée par l'eau, elle est dotée de larges avenues où d'innombrables motos chinoises se faufilent entre les taxis jaunes et les transports collectifs, de vieilles camionnettes Mercedes vert bouteille. Dans les quartiers périphériques, les rues sont plutôt calmes et souvent pavées. Je m'attarde plus particulièrement dans le vieux centre, grouillant d'une foule dense, où quelques bâtiments récents cohabitent avec des édifices en piteux état, et où les trottoirs sont inévitablement encombrés d'étals de fortune. Traverser le Marché Rose, à l'architecture originale, s'avère être une expérience éprouvante : il est bien difficile de se frayer un chemin dans ses allées étriquées, encombrées par les clients et des marchandises de toutes sortes. Plus loin, la Grande Mosquée vaut surtout par ses deux impressionnants minarets, tandis que la Maison des Artisans prouve, dans une belle pagaille, la qualité des productions artisanales du pays. Lassé par tant d'agitation, je me réfugie le jour suivant dans l'intéressant musée national, avant de flâner dans l'agréable jardin botanique voisin. Puis mon hôte, serviable jusqu'au bout, m'accompagne au milieu de la nuit jusqu'à la gare routière, d'où je quitte l'effervescence de Bamako.












D'ici quelques semaines, Djenné, ma prochaine étape, sera devenu une île, mais pour le moment, il suffit pour l'atteindre de traverser le Bani, qui n'est encore qu'une modeste rivière. La ville de 20 000 habitants est réputée pour être la plus belle du pays. Bâtie au IXe siècle sous l'Empire du Ghana, elle est aujourd'hui protégée par l'Unesco : il est interdit d'y construire autrement qu'en banco, un mélange de terre, d'eau, de bouse de vache et de paille. Et en effet, la terre, présente du sol des rues au toits des maisons, lui procure une atmosphère mystique. Le tourisme est ici la principale source de revenu et comme les visiteurs se font rares, avoir un guide est presque une obligation, sous peine d'être harcelé à chaque coin de rue. Une fois n'est pas coutume, le mien se fait appeler Papis le magnifique. Beau gosse, musclé et fier comme un coq, c'est un jeune homme intelligent qui connait parfaitement son métier. Nous commençons la visite par la fascinante mosquée, bijou d'architecture soudanaise. Les habitants doivent en restaurer l'enduit chaque année avant l'arrivée de la pluie, celui-ci, craquelé par la chaleur de la saison sèche, n'assurant plus l'étanchéité. En principe, il en va de même pour toutes les bâtiments. Soudain, alors que Papis me promène vers les différentes curiosités de la ville, un violent orage éclate : en quelques minutes, nous sommes trempés jusqu'aux os. Et comme je tombe bêtement à cours de liquide, mon guide me fait loger quelques nuits chez un ami, dans d'humbles conditions. Il me montre aussi le village peul de Senossa. Contrairement à la touristique Djenné, le développement n'est pas parvenu jusqu'ici : sans eau courante ni électricité, les gens vivent ici de la même manière depuis des siècles.












Avec un car hors d'âge, que je dois plus souvent pousser qu'il ne me transporte, j'atteins Bandiagara, capitale du pays Dogon, construite au milieu d'un vaste plateau gréseux. J'y réside presque une semaine, dans une petite auberge déserte et dotée d'un joli jardin. Comme la ville ne présente guère d'intérêt, je prend le temps de visiter de très beaux villages aux us et coutumes séculaires. Mais mon séjour est surtout l'occasion d'arpenter la célèbre falaise de Bandiagara, l'un des sites majeurs du continent. Là encore, afin d'éviter quelque sacrilège, je suis accompagné par un guide, l'attachant Moïse. Le plateau s'interrompt ici brusquement, créant une fracture de deux cents à trois cents mètres de hauteur pour environ deux cents kilomètres de longueur. Outre son superbe paysage et son étonnant microclimat, la particularité de la falaise réside dans les habitats en partie troglodytes accrochés à ses flancs. mon chaperon m'explique que les Tellem, des hommes de petite taille, se sont installés là au XIe siècle, entre ciel et terre, probablement pour se protéger des envahisseurs. Ils furent ensuite chassés par les Dogons trois siècles plus tard. Les descendants de ces derniers habitent désormais en contrebas de petits villages en banco, faisant pousser avec dextérité dans la savane aride diverses céréales, tandis qu'ils cultivent au pied de la paroi de beaux jardins maraîchers. En ce début d'hivernage, les village sont quasiment déserts, hommes, femmes et même enfants préparant aux champs l'arrivée de la pluie. Moïse et moi marchons pendant deux jours, sous le soleil brûlant, au milieu de ce tableau grandiose. Je ne le crois pas quand il me révèle que les Tellem avaient des ailes, imaginant plutôt par quels moyens acrobatiques ces gens rentraient chez eux. Un matin à l'aube, sur le toit-terrasse de l'auberge où j'ai passé la nuit, je suis déjà réveillé mais je rêve encore ; je contemple, médusé, le soleil voilé illuminer doucement la fantastique falaise.

Tournée taf taf





Taf taf, en wolof, signifie "rapidement", "vite fait". Et en effet, après avoir adopté le flegme sénégalais, l'expédition que Yo et moi nous sommes concoctés nous voit retrouver un rythme plus conforme à notre turbulent passé commun. Nous rêvons de parcourir un bout d'Afrique ensemble depuis des années : cette fois, nous y sommes.
















Histoire de bien commencer, pour d'obscures raisons et à deux minutes près, nous ratons l'embarquement du bateau pour la Casamance, au Sud du pays. Qu'à cela ne tienne, nous partons la nuit même, mais en 7 places, qui sont exclusivement d'increvables Peugeot 505. Néanmoins, l'incident nous permet de faire la connaissance de l'aimable Abou qui, comme nous, a raté le bateau. C'est lors de ce trajet que nous traversons la Gambie, petit pays anglophone enclavé au milieu du Sénégal. La Gambie se résume à son fleuve. Nous patientons d'ailleurs plus de quatre heures pour le traverser ; la file de véhicules est impressionnante, et l'organisation est égale à la vétusté des deux bacs qui permettent la traversée. Après une courte halte à Ziguinchor, où nous dormons chez Pape, présenté par Abou, nous atteignons sans encombre Oussouye, puis le village de Calobone. Nous sommes ici au coeur de la Casamance, pays des Diolas, où la nature est si généreuse. Ici, les rues sont des chemins qui serpentent au milieu de l'épaisse végétation. D'épais manguiers portent difficilement des milliers de fruits énormes, tandis que d'immenses fromagers, avec leurs étranges racines qui se prolongent sur le tronc, font de l'ombre à tout le village. Nous sommes accueillis par William, recommandé par les amis cuisiniers du Maquis. Il vit dans une petite maison confortable avec sa femme Hélène, son frère Narcisse, et sa belle-soeur Jacqueline. Toute la famille nous reçoit avec beaucoup d'égards, et les deux frères nous promènent fièrement à travers leur région. En forêt, nous allons observer quelques cousines qui écrasent des pommes de cajou, fruit de l'anacardier, afin d'en extraire le jus. Plus loin, un cousin grimpe jusqu'à la cime des palmiers et fixe quelques bouteilles dans lesquelles s'écoulent la sève. C'est le vin de palme, assez proche du cidre, que nous dégustons à l'ombre d'un gros buisson. En moto, ils nous emmènent également pêcher sur le vaste fleuve. Presque bredouilles, nous achetons une belle pièce à un vieux afin d'éviter les railleries d'Hélène. Surtout, nous explorons l'étonnante forêt des environs en écoutant les explications lumineuses de William. Après avoir été reçus comme des princes, nous regrettons de devoir déjà partir et de ne pas pouvoir en apprendre d’avantage sur les spécificités de cette ethnie aux coutumes si particulières.












Nous atteignons ensuite sans encombre la capitale de la Guinée Bissau, qui n'est qu'un gros village sans infrastructure ou presque. Le pays, où l’on parle un créole portugais, est l’un des plus pauvre au monde. Il n’a pas connu la stabilité depuis son indépendance et se relève à peine d’une guerre civile fratricide qui ne s’est interrompue que depuis deux ans. L’économie du pays n’en est qu’à ses balbutiements : pas de politique d’éducation, industrielle ou agricole. La majorité des revenus de l’Etat provient de la vente des noix de cajou, dont on extrait l’huile. Les mauvaises langues ajoutent que le reste est dû à la vente de la cocaïne des cartels colombiens. La population, qui vit dans des conditions très modestes, sans eau potable ni électricité, pense surtout à boire et à danser. C’est d’ailleurs ce qui nous amène à Bissau, dont la réputation dans le domaine de la fête dépasse largement les frontières. Accompagnés d’Alpha, un expatrié sénégalais qui nous héberge, nous en faisons l’agréable expérience lors d’une nuit torride qui se termine avec les premières lueurs du jour.












Toujours avec Alpha, qui maîtrise le créole, nous embarquons vers l’île paradisiaque de Bubaque, au cœur de l’archipel des Bijagos et sa soixantaine d’îles. Nous y passons le plus clair de notre temps les pieds dans l’eau, dans un décor de carte postale : plage de sable blanc ombragée par de grands arbres tombant dans la mer, eau turquoise et chaude aux vagues minuscules, quelques îlots à l’horizon. On y pêche et on y grille le poisson qu’on mange aussitôt, accompagné de cajou, alcool fort et bon marché. Nous faisons connaissance avec le joyeux Patrick, qui nous trouve une petite pièce inoccupée dans le village, où nous dormons tous les trois sur une simple natte. Aussi, lors d’une chaude après-midi, nous assistons à la finale de la Ligue des Champions, le match de foot de l’année, dans une petite bicoque en terre et toit de tôle où s’entassent avec nous près d’une centaine d’excités. La température frise les soixante degrés, nous nous liquéfions. Sur cette île du bout du monde, malgré la barrière de la langue, nous constatons une fois de plus que les gens les plus modestes sont souvent les plus accueillants. Et même sur le bateau du retour, comme un DJ fait tourner ses platines, le pont se transforme en piste de danse. A l’arrivée au port de Bissau, quelques heures plus tard, tous les passagers, du militaire au paysan, tanguent dangereusement, même sur la terre ferme.






Notre prochaine étape se situe en Guinée Conakry, au cœur du massif du Fouta-Djalon, quelques six cents kilomètres au Nord-Est. La route, épique, est aussi difficile que splendide. Elle nous prend pas moins de quatre jours. Nous passons une bonne partie du temps à patienter dans des gares routières crasseuses ou dormir dans de petits hôtels minables. Lorsque nous roulons à travers l'exubérante forêt guinéenne, c’est à bord de taxis brousses, des 505 pleines à craquer. Je compte jusqu’à dix-huit passagers entassés sur les sièges ou sur le toit. Lors d’une journée interminable, nous passons onze heures à bord du même véhicule, à gravir puis dévaler une dizaine de montagnes sur des pistes défoncées. Le chauffeur a raté sa vocation : il aurait fait un redoutable pilote de rallye.












Depuis cinquante ans et l’indépendance de la France, la Guinée n’est dirigée que par quelques cupides dictateurs qui terrorisent les habitants et pillent le pays, pourtant qualifié de scandale géologique tant le sous-sol regorge de richesses. Aujourd’hui, les guinéens, qui manquent de tout, espèrent enfin une bonne gouvernance qui leur permettra de voir leurs conditions de vie évoluer. Au Nord-Ouest, nous arrivons épuisés à Mali, charmante bourgade posée à flanc de montagne et peuplée de sympathiques peuls. Nous séjournons dans un magnifique campement qui domine la ville, où nous rencontrons l’aimable Tierno. Ici, à plus de mille mètres d’altitude, le climat très pluvieux favorise une flore extravagante. Après un repos bien mérité, nous partons, accompagnés de notre précieux guide, pour une extraordinaire randonnée durant laquelle nous gravissons le mont Loura, 1515 mètres d'altitude et point culminant de toute l’Afrique de l’Ouest. Sur le chemin, nous traversons de minuscules villages de cases où les habitants cultivent avec simplicité mais habileté la terre fertile, puis nous goûtons plusieurs fruits inconnus au goût improbable. Au sommet, le panorama est incroyable ; de tous côtés, nous contemplons les grandioses vallées accidentées, et sous nos pieds, des centaines de mètres plus bas, on distingue à peine les toits ronds des habitations. Yo et moi nous félicitons d’être arrivés jusqu’à cet endroit inaccessible ; à partir d’ici, nous débutons le chemin du retour. Plus bas, en écoutant religieusement le chant de moult oiseaux et les cris des chimpanzés, nous admirons longuement la majestueuse Dame de Mali, gigantesque silhouette qui semble, telle une statue de la Grèce Antique, sculptée dans la roche.














Nous reprenons la route vers le Nord en descendant les derniers contreforts du Fouta-Djalon. Nous relions les soixante kilomètres qui nous séparent de Dindéfelo, village typique du Sud du Sénégal, en 4x4. Le chemin est court mais la piste inexistante. Même le puissant véhicule éprouve beaucoup de difficultés à escalader les pierres. Roulant au pas, le chauffeur ne passe que rarement la seconde. Nous venons voir ici la fameuse cascade de Dindéfelo, près de cent mètres de hauteur. Du campement, notre objectif n’est qu’à trente minutes de marche. Trop facile : nous optons pour la version longue en escaladant la falaise. Après avoir admiré la vue sur la vaste plaine, nous parcourons le plateau où se trouvent quelques petits villages. Au milieu d’un étrange paysage de brousse, nous jouons avec des gamins qui barbotent dans les flaques, puis atteignons une fracture. En contrebas, une rivière presque à sec s’écoule au fond d’un étroit canyon. A l’intérieur, la nature est extravagante. Des arbres poussent même sur des pierres ! Evidement, nous préférons descendre le lit du torrent en se faufilant parmi les rochers et les lianes inextricables, jusqu’à atteindre un vide vertigineux. Il nous faut le contourner pendant de longues heures pour enfin découvrir, stupéfaits, l’impressionnante chute d’eau. L’incontournable baignade, dans ce lieu magique, est salvatrice.












Puis, quelques heures de route plus loin, nous atteignons Salemata, bourgade située au cœur du Pays Bassari. L’ethnie, de quelques milliers d’individus surtout chasseurs et cultivateurs, est la dernière du Sénégal à vivre de façon traditionnelle. C’est en bicyclette, à travers la brousse vallonnée, que nous nous rendons à Ethiolo, modeste village très pittoresque. Les autochtones nous reçoivent chaleureusement et nous expliquent fièrement les spécificités culturelles de leur peuple. Chaque village est indépendant et les règles sociales sont strictes. A partir de dix ans, les garçons sont éduqués collectivement selon un rite précis. Soit, nous n’assistons à aucune cérémonie durant lesquels ils se parent d’étonnants costumes, mais nous partageons, autour d’une bonne bouteille de vin de rônier, de bonnes rigolades. Dominique, le plus ancien d’entre eux, nous avoue avoir quinze femmes et soixante-et-onze enfants ! Lorsque nous lui demandons comment il est possible d’assumer une telle descendance, amusé, il nous montre ses mains dures comme du bois : « c’est avec ces outils que je les nourris tous. »














Lorsque nous atteignons Kédougou, grosse ville sans intérêt, la chaleur s’approche dangereusement des quarante-cinq degrés. On ne résiste pas à une tentatrice pancarte : « hôtel trois étoiles avec piscine ». L’eau y est chaude comme une soupe, mais on est pourtant mieux dedans que dehors. Au milieu de la nuit suivante, nous montons dans un bus qui nous dépose aux portes du parc national du Niokolo-Koba dès sept heures du matin. Les tarifs, guide, location d’un 4x4 et chauffeur, sont prohibitifs. Nous patientons donc pendant sept heures, sous une chaleur écrasante, qu’un chauffeur de car qui emmène ouvriers et officiels à l’intérieur, accepte de nous emmener pour un prix raisonnable. Quatre heures de piste pour deux heures d’observation, c’est peu, mais la forêt de la réserve, composée d’arbres en tout genre et habité par de nombreuses espèces d’animaux, est superbe. Au milieu du Parc, au bord du fleuve Gambie, nous avons tout de même le temps d’observer des oiseaux de toutes les tailles et de toutes les couleurs, des babouins, des singes verts, des antilopes, de massifs phacochères, ou encore d’inquiétants crocodiles.












Enfin, durant le chemin qui nous ramène vers la Basse-Casamance, nous sommes obligés de dormir dans un bus, dans des positions acrobatiques, pour cause de panne d’essence. Nous décidons donc de prolonger encore un peu le voyage en faisant une halte sur l’île de Karabane, dans l’estuaire du fleuve. Nous passons trois jours dans un joli campement, au bord de l’eau. L’île est assez grande, mais principalement occupée par les palétuviers, baignés par la mer par intermittence. La partie habitable occupe une mince bande de sable qui s’étend le long de la plage. Le village, coupé du monde, est peuplé de sept-cent âmes et bâti à l’ombre de grands arbres : baobabs, fromagers, palmiers… Ici, le temps coule très lentement, mais la quiétude habituelle est interrompue par un groupe de musiciens qui joue du matin au soir. Sur un son afro-jazz, composé de percussions ultra-rapides et d’un envoûtant saxophone, les femmes tapent avec frénésie le rythme sur des morceaux de bambous, et accélèrent encore lorsqu’une danseuse s’avance au milieu de la ronde. Dans ma passion pour la musique, l’influence africaine est primordiale : là, je touche les origines.


De retour à Ziguinchor, nous passons une nuit chez Pape et son adorable famille, qui nous avaient déjà reçu trois semaines auparavant, puis nous embarquons à bord du ferry qui nous ramène, au lever du soleil, au port de Dakar. Au cours de cette formidable expédition, qui aura duré vingt-six jours dont quatorze sur la route, nous avons parcouru presque trois mille kilomètres. Surtout, nous avons traversé des contrées extraordinaires, rencontré des gens simples et chaleureux de toutes conditions, et partagé, mon vieil ami et moi, des moments d'une rare complicité. Notre prochain rendez-vous : le Carnaval de Rio 2013...