Bienvenue à lomé

Du fait d’infrastructures convergentes, j’entame le plus souvent la visite d’un nouvel état par sa capitale. Concernant le Togo, je débute cette fois par l’arrière-pays ; ses spectaculaires paysages de montagnes, de collines et de vallées verdoyantes, ses bourgades gentiment animées et ses villages reculés, avant de finir par la trépidante Lomé, érigée sur les rives du Golfe de Guinée.

Ce petit pays, coincé entre le Ghana et le Bénin, est un couloir large de moins d’une centaine de kilomètres pour sept-cent du Nord au Sud, très vallonné et bien arrosé, comme j’ai pu m’en rendre compte. Une quarantaine d’ethnies aux coutumes plus ou moins vivaces composent les 5 millions d’habitants. Déjà, le Burkina Faso affichait une belle mosaïque de religions, mais les togolais sont le premier peuple que je rencontre depuis longtemps à ne pas être majoritairement musulman. En l’occurrence, si on occulte les bissau-guinéens peu concernés, les derniers étaient les grecques. Ici, les chrétiens sont plus nombreux, mais les anciennes croyances animistes, même si elles s’oublient rapidement dans les pages de la Bible et du Coran, prédominent encore. L’immense majorité des actifs travaille la terre et n’a que des revenus de subsistance. En effet, la situation économique est précaire, ce que n’arrange pas la présidence autoritaire du jeune président autoproclamé Gnassimbé. Il fut à bonne école, puisque son militaire de père prit le pouvoir et le garda par la force durant trente-huit années.


Après quatorze heures de routes depuis Ouagadougou, durant lesquelles j’use un bus ancestral, un taxi-brousse rouillé, deux vans fatigués, une vieille moto-taxi, et mes baskets trouées, j’atteints finalement Kanté, petite localité du Nord. De là, je traverse, à l’arrière d’une moto, la magnifique et sauvage vallée de Tamberma. Bordée d’une chaîne de montagnes affichant toute la gamme des verts, qui contraste avec le gris du ciel, elle abrite les Batammariba, communauté installée ici depuis le XVIIe siècle afin de fuir les marchands d’esclaves. Pour la plupart d’entre eux, les usages ont peu évolué. Les croyances, les méthodes agricoles et les coutumes sont singulières, mais c’est surtout leur habitat qui étonne. Comme un hameau au milieu des champs, ils habitent les Tata Somba, fascinants château-forts miniatures construits en glaise. Devant l’entrée, des fétiches protègent la maison des étrangers malveillants. Des tourelles couvertes de chaume, un mur d’enceinte, un toit terrasse : le plan est très fonctionnel. Au rez-de-chaussée, on trouve une pièce noire permettant de voir dehors sans être vu grâce à deux yeux percés dans le mur, ainsi que la bergerie et la niche des chiens. Le palier est utilisé comme cuisine, et à l’étage, les tourelles font office de chambres, tandis que la terrasse sert de salle à manger et de lieu de détente. Ce matin, le chef du village est grognon ; il peste que les guides ne lui donnent pas l’argent prévu. Je le calme un peu en lui tendant un petit billet. Puis Aimé, mon amical chauffeur, me ballade à travers toute la vallée, au milieu d’un panorama éblouissant. Plus loin, on roule sur une ficelle : la frontière béninoise. Ici ou là-bas, pour les Batammariba, c’est le même pays…













Non loin de là, je m’arrête ensuite à Kara, plus de cent mille habitants et principale agglomération du pays Kabyé. Nichée sur un vaste plateau, la ville est agréable, mais pas autant que la compagnie de la pétillante Célestine, jeune serveuse rencontrée derrière son bar. Elle m’emmène notamment jusqu’au pittoresque marché de Pya, installé en pleine nature. Le village, d’ailleurs, est à peine visible, tant les maisons sont dissimulées par les arbres et les hautes herbes. Je fais aussi une longue randonnée dans les rues escarpées d’Atakpamé, plus au Sud, magnifique bourgade accrochée sur les flancs de luxuriantes collines. Mais les pluies fréquentes et la densité de la végétation m’empêchent de m’aventurer plus profondément dans la nature ; cela me permet au moins de me mêler d’avantage à l’accueillant peuple togolais.













Justement, à Lomé, la ravissante Bienvenue, qui porte si bien son nom, me réserve un accueil inconditionnel. Dans un petit immeuble collectif, elle occupe un deux-pièces sobre, sans meuble et sans eau, qu’il faut aller chercher au puits. Simple, gentille et fervente catholique, elle est étudiante en anglais et travaille également « à mi-temps » dans un cyber-café, huit heures par jour, sept jours sur sept, pour la modique somme de 20 000 francs CFA mensuels (trente euros). Je profite de ses absences pour arpenter les rues de la cité. Deux jours entiers me suffisent pour faire le tour de Lomé, énième capitale africaine. Evidemment en pleine expansion, la ville, moins d’un million d’habitants, supporte des travaux de voirie de grande envergure. Mais il y règne pourtant une atmosphère assez nonchalante. Elle aussi très hétérogène, dans le sens où les quartiers sont mixtes ; de grands résidences récentes ou en construction se mêlent à des bâtiments en piteux état, de belles maisons à étages sont voisines d’humbles logements bricolés. Le centre-ville est assez réduit, mais concentre une activité impressionnante : Autour du grand marché, qui n’est qu’une galerie marchande parmi d’autre, les rues fourmillent de commerçants qui s’affairent dans leur magasin ou derrière leur étal. Mais ils sont aussi très nombreux à porter leur boutique sur la tête. Je m’échappe de ce tapage sur la plage bordé de palmiers où je me délasse devant l’océan Atlantique quitté à
Dakar. Puis mon hôte me présente son frère Gédéon, la trentaine. Je suis vite stupéfait de rencontrer un garçon qui me ressemble autant. De bar sombre en maquis minuscule, nos discussions sont soutenues. Curieux, énergique et très attaché à son indépendance, c’est un électricien, qui, comme je l’ai fait moi-même, essaie progressivement de travailler pour son compte. Je rencontre rarement des gens qui comprennent vraiment les motivations de ma quête. Lui en saisit instantanément toutes les nuances, et ses mots élogieux à mon égard me donnent beaucoup de courage.


D’ailleurs, il est déjà temps de repartir.En seulement quelques jours, j’ai développé, avec le frère et la sœur, pour des raisons très différentes, une grande complicité. Dans le taxi-brousse qui m’éloigne du Togo, écrasé par mon imposante voisine, je me dis que je laisse encore deux amis précieux derrière moi.