suivez le fil (bis)


Chers amis lecteurs,

Même si, pour la plupart d’entre vous, vous êtes très discrets dans ces pages, je suis fier et heureux de constater que vous êtes plus d’une centaine à me lire chaque jour. Mais comme vous avez pu vous en rendre compte, le récit s’est interrompu en même temps que l’auteur. Pendant mon séjour en Nouvelle-Calédonie, vous devrez vous contenter d’un bulletin mensuel, pour continuer à suivre le fil.

bulletin calédonien #1

Vendredi 31 mai 2013 - 959e jour



Voilà déjà un mois que j’ai débarqué sur le caillou, installé par hasard dans un camping, au bord d’une rivière translucide et au pied des montagnes. En me laissant porté par le vent, j’ai d’abord passé la première semaine à dormir, profondément ; puis la seconde à affiner les contacts, grâce à mes nouveaux amis ; avant d’effectivement me retrousser les manches pour attaquer, sabre au clair, un joli coin de jungle. je m’adapte donc avec enthousiasme à la nouvelle règle du jeu : gagner ma vie, tout simplement.



Malgré une météo maussade, puisque l’hiver austral approche, le camp est un lieu chaleureux. C’est grâce aux personnages qu’il abrite, trois surtout, chacun en transition à leur manière. Christophe, franco-belge de 55 ans, 2m pour 100kg, éloquent et jovial, habite ici depuis un an, en vivant de divers petits boulots. En tant que cuisinier en chef, il prépare chaque soir un festin pour tout le monde. Zoran est français d’origine serbe, 47 ans, crâne rasé et petit bouc ; il aurait presque l’air méchant s’il n’était pas si rigolo. A son compte dans le bâtiment, il a planté sa tente depuis un mois en attendant de partir en métropole, et de changer de vie. Il remplit le rôle capital de maître-feu. Philippe, 60 ans, la barbe aussi longue et blanche que ses cheveux, est un de ces caldoches, installé en Calédonie depuis 37 ans. Vieux baroudeur doublé d’un grand randonneur, il m’a avoué un soir au coin du feu, être en train de tout plaquer pour – je cite – voyager jusqu’à ce que mort s’en suive.





Au dehors aussi, j’ai de nouveaux amis. Phil d’abord, marseillais à casquette de 30 ans, au grand cœur et à la grande gueule, est le premier autochtone que j’ai rencontré. C’est lui qui m’a payé à manger alors que je posai mon sac poussiéreux devant son camion-snack ; c’est lui encore qui m’a envoyé dans la foulée au camping où je suis encore. Entre teufeurs, nous nous sommes instantanément entendus, et quand il ne m’emmène pas faire la fête, en bon voisin, il me reçoit avec les égards dus aux grands voyageurs, dans la petite case en bois qu’il habite avec la gentille Violette et leur toute petite Janis, née depuis seulement 1 mois. Il y aussi la jolie Leila et la fraîcheur de ses 20 ans, fumeuse invétérée, qui l’assiste dans son camion ; et jamais très loin, puisqu’il occupe la roulotte du jardin, Fabien est un jeune lyonnais de 23 ans, qui pratique assidument le BMX et le tatouage. Pour la peine, juste avant de retourner au pays, il a enfin imprimé sur mon bras gauche la maxime de mon épopée, invenio sapiens.






Ainsi, à partir de rien et grâce à quelques bonnes âmes, je m’invente une nouvelle vie sociale, avec cette fois plus de temps que les 3 jours habituels. Et puisque je n’en suis pas encore à explorer les trésors de l’archipel, je me contente de me familiariser au biotope singulier de la vallée de Koé. La situation du Caillou, quasiment sur le tropique du Capricorne, lui assure une saison chaude et une autre fraîche, climat également assorti de l’influence océanique qui minore les écarts de température et accentue la pluviométrie. Dans le coin, la végétation se caractérise par une campagne verdoyante et des forêts, tandis que les flancs rouges des montagnes sont dissimulés par une sorte de maquis buissonnant. D’ailleurs, en attendant de goûter au fameux lagon et aux plages de sable blanc, Philippe n’a pas manqué de m’emmener gravir la colonne vertébrale de l’île lors d’un trek pour le moins sportif. Puis il m’a offert de travailler avec lui, pour débroussailler le terrain dont la vente lui permettra de partir. Il contribue donc généreusement à mon vaste projet, tandis que dans le même temps je suis fier de contribuer au sien. Et puis « déjungler », je le sais depuis la Réunion, ç’est un parfait exercice de remise en forme, au plus près de la nature.







Soit les conditions sont un peu rudes, et pas exactement celles que j’espérais ; mais le confort ne me préoccupe guère, et je m’applique à faire évoluer les évènements du mieux possible. En préparant mon hypothétique itinéraire 3 ans plus tôt, je savais qu’un jour, je me retrouverai sans le sou au bout du monde ; et c’est déjà très bien d’être arrivé jusqu’ici. J’entame donc une nouvelle étape, un autre défi à relever dans ma longue quête autour du Monde. Bientôt, le moment viendra d’explorer cette grande terre énigmatique, et surtout de préparer la suite, l’Amérique du Sud, éventuellement précédée de quelques îles du grand Pacifique. D’ici là, je garde le contrôle.