Une maman burkinabè






















Pendant deux jours, je parcours le Nord du Burkina Faso comme un dégradé de couleurs, d’une savane ocre encore sèche à une campagne verdoyante déjà bien arrosée. Ainsi, Je laisse derrière moi le Sahel et me rapproche des forêts de l’Afrique équatoriale. « Le pays des hommes intègres » est peuplé de seize millions d’habitants, repartis en une soixantaine d’ethnies aux coutumes plus ou moins préservées. Bien entendu, la plupart sont démunis et pratiquent l’agriculture vivrière. Pourtant, certains économistes classent la nation « en voie de développement », notamment grâce aux réformes capitalistes du président Compaoré. Successeur du célèbre révolutionnaire Sankara, il dirige, depuis vingt-quatre ans, un état réputé pour sa stabilité. Mais voici à peine quelques mois, de graves troubles sociaux ont fragilisé sa position. Profitant du désordre, des militaires enragés se sont rendus coupables d’actes dramatiques, mais aujourd’hui, le calme est revenu et la vie continue.



En effet, Ouagadougou, capitale habitée par deux millions de personnes, montre des signes positifs. C’est une ville agréable et le centre est bien équipé : goudron, trottoirs, réseau d’assainissement, immeubles récents à l’architecture originale, et même quelques espaces verts. Je constate rapidement la bonne humeur et la grande amabilité des burkinabè, qu’ils soient commerçants, simples passants ou même policiers. Surtout, je suis accueilli ici par la bienveillante Mamou, femme d’âge mûr que m’a recommandé Thibaut, voyageur rencontré à Bissau. Sur sa petite moto, elle m’emmène jusqu’à sa vaste maison. Les habitations entourent une grande cour pleine de vie, puisque vingt-quatre parents habitent ici. Elle me présente donc ses quatre mamans, quelques uns de ses trente-deux frères et sœurs et de ses cinq enfants, ainsi qu’une ribambelle de nièces et neveux. Je suis légèrement désorienté au milieu de ce chahut, mais Mamou est aux petits soins. Après m’avoir installé dans la meilleure chambre, elle m’emmène dans un petit maquis pour boire une bière. Je découvre une femme de caractère, intéressante et curieuse. Elle a vécu des moments difficiles, mais s’est
toujours battue courageusement. Les jours suivants, comme elle subit une vilaine crise de paludisme, ce sont un grand frère, une petite sœur ou un jeune neveu, tous très serviables, qui me baladent à travers toute la ville. Dès qu’elle va mieux, Mamou, encore sous perfusion et clouée sur une chaise au milieu de la cour, retrouve de la voix et dirige la troupe avec autorité. Et lorsque je m’absente pour me rendre à quelques centaines de kilomètres au Sud-Ouest, elle me submerge de conseils de prudence. Cette dame tenace me rappelle beaucoup ma maman.


Bobo-Dioulasso, malgré ses huit cent mille âmes, possède un petit centre ville assez charmant qui a su garder son caractère africain. Le jour, ses rues bordées de grands arbres restent assez calmes et les gens affichent un bel enthousiasme. Le soir, l’ambiance se réchauffe franchement ; même sous la pluie, les maquis montent le son des rythmes ivoiriens en vogue et l’alcool coule à flot. Toujours sur les conseils de mon ami Thibaut, je rends visite à Issouf, justement patron d’un vaste restaurant d’extérieur, qui pousse l’hospitalité jusqu’à me payer une bouteille de pastis, avant de me trouver une confortable auberge. C’est un homme d’un gabarit impressionnant dont la voix fait trembler les murs. Son rire est tonitruant quand il parle avec moi, mais le ton est sec lorsqu’il s’adresse à ses employés. Grâce à lui et son copain Fulbert, je m’immisce au milieu des cours et partage un peu de la vie des Bobos et des Dioulas. Je rencontre notamment une bande d’une dizaine de musiciens : dommage, aujourd’hui on ne répète pas, on joue aux cartes.











J’atteins ensuite Banfora, centre névralgique de la plus belle région du Burkina. Lassé de l’agitation de la ville, je ne reste ici que le temps de louer une de ces motos chinoises. Je prends vite la mesure de l’engin, et filer seul sur une belle piste, dans un tel décor, est pour moi une sensation grisante. L’altitude, pourtant faible, modifie radicalement le climat. Le paysage, sublime, est vallonné et la végétation exubérante. La nature est ici très généreuse, et je croise de petits villages de cases bâtis au milieu de grands champs de céréales, de rizières, ou de jardins maraîchers. Grâce à l’autonomie que me procure la moto, je me suis concocté un programme chargé. Je vais d’abord jusqu’au fin-fond du pays, explorer les fascinants Pics de Sindou, étranges formations rocheuses sculptées par le temps, puis je conduis encore jusqu’à quelque hameau reculé où les enfants médusés arrêtent de labourer pour me dévisager ou me courir après. Après une nuit sous tente écourtée par le chant du coq, qui perd dans l’affaire quelques plumes, je remonte en selle et fonce de bon matin jusqu’au lac de Tengréla et ses hippopotames, sacrés bien sûr. En pirogue, un pêcheur me rapproche à moins de dix mètres des énormes bestioles qui barbotent en famille. Puis à travers d’immenses champs de maïs et de cannes à sucre, je me rends aux Dômes de Fabédougou, curiosité géologique unique, puisqu’une petite montagne est surmontée d’une multitude de dômes de roche noire. J’escalade l’ensemble en deux heures, sous un soleil de plomb, ce qui amplifie le plaisir de la baignade dans les eaux fraîches de la cascade de Karfiguéla. Incroyable, c’est dans un grand bus flambant neuf que je retourne à Bobo : la climatisation marche à fond et les sièges sont encore emballés ! Et puisque le sinistre consul du Ghana m’a refusé le visa de son pays pourtant tout proche, il me faut traverser tout le Faso d’Ouest en Est pour atteindre le Togo. Je fais donc une halte à Ouaga où je ne manque pas d’embrasser Mamou et toute sa famille. Le soir, elle et moi retournons un long moment dans le même maquis que le jour de notre rencontre, devant la même bière, où nous passons une excellente soirée. La boucle est bouclée, il est temps de poursuivre ma route.