des déserts


Après divers contretemps, le camion, un Mercedes 207 de 1987, réputé increvable, est fin prêt. Gwalarig, mon ami breton et nouveau chauffeur, vend quelques babioles afin de financer le voyage, et, enfin, nous prenons la route. Nous longeons d'abord le Haut-Atlas vers le Sud-Ouest. Lorsque l'altitude devient accessible, nous franchissons les montagnes au milieu d'un paysage époustouflant : terre rouge, petits buissons verts et grand ciel bleu, tandis que, derrière nous s'effacent les sommets enneigés, dont le Toubkal et ses 4165 mètres.

Puis le relief s'adoucit ; la végétation se fait plus rare, le sable plus présent. J'observe gaiement mes premières dunes, rouges et couvertes de vaguelettes. Gwal, imperturbable, avale les kilomètres pendant que, en bon copilote, je m'occupe d'enchainer cassettes et cigarettes. Alors que, dans la nuit, nous cherchons un coin tranquille en bord de mer, mon acolyte ne voit pas le chemin rocailleux bifurquer. Les roues patinent, nous voilà ensablés au beau milieu de la plage ; déjà... Après une belle bataille matinale pour dégager le camion, Gwal reprend le volant. Il ne le lache pas de la journée, conduisant pendant plus de dix heures.

Voici maintenant dix jours que nous apprenons à nous connaitre. Nos débats idéologiques sont animés ; lui est un irréductible breton, aux idées révolutionnaires et partisan des opprimés. Quant à moi, je me considère comme un simple observateur, sans certitudes et un brin fataliste, croyant que les faibles, d'une manière ou d'une autre, seront toujours exploités. Mais de nombreux points communs nous rapprochent, et je l'observe parfois comme on regarde dans un miroir. Voyageurs, nous avons tous deux une grande soif de liberté, que nous étanchons d'ailleurs goulûment. Aussi têtus l'un que l'autre, nous préférons rester seuls, probablement pour éviter de faire des concessions. En attendant, puisque je ne suis que le passager, les concessions, c'est moi qui les fait.

Nous nous arrêtons à Laâyoune, principale agglomération du Sahara Occidental. En 1976, l'Espagne abandonne le territoire peuplé par les Sarahouis, aussitôt revendiqué par le Maroc. Pendant quinze ans, une guerre d'embuscades oppose le Royaume au Front Polisario, organisation indépendantiste. Aujourd'hui, de fait, la région est sous domination marocaine, assise par une forte présence militaire et des investissements colossaux. Dans la ville neuve et sans caractère, nous séjournons chez Hamid, un "collègue" de Gwal, qui habite seul un appartement confortable et s'arrange pour ne pas travailler. Le personnage, affable, est également un chaud lapin : durant les trois jours que nous passons chez lui, il reçoit successivement la visite de trois jeunes femmes, qui me font comprendre que les marocaines ne sont pas toutes aussi prudes que j'ai pu le supposer.



Nous repartons plein Sud avec deux passagers, un marocain et sa fille d'un vingtaine d'années, qui se rendent eux aussi à Nouakchott. Comme ils ne parlent pas français, la communication est des plus sommaires. Au fil des heures et des kilomètres, lentement, le décor change. Le désert est multiple. Ici, de vastes plateaux de roche noire s'effritent dans l'Atlantique ; là, de longues étendues plates où se mèlent sable, cailloux et broussailles ; plus loin, de hautes dunes blondes sont parsemées de quelques touffes de hautes herbes. Après un copieux déjeuner à Boujdour, Gwal a une petite défaillance et me laisse conduire deux ou trois heures ; avancer sur cette voie infiniment rectiligne est une sensation grisante.

Peu après Dakhla, nous passons le Tropique du Cancer. Par la même, je quitte, probablement pour longtemps, les températures fraîches de l'hiver. Le soleil cogne et, à l'horizon, le bitume semble s'évaporer. Nous atteignons dans l'obscurité le poste frontière de Nouadhibou. Tandis que je partage une chambre avec nos passagers, Gwal dort dans son camion, garé en tête de convoi, juste devant les barrières. Je le retrouve au petit matin, entouré d'une dizaine de badauds, écoulant diverses marchandises, radio-cassettes et autres pièces détachées.

En Mauritanie, le décor est monochrome ; le sable blond n'étant coloré que par de rares plantes grasses. Après environ 2500 kilomètres depuis Marrakech, nous finissons par atteindre Nouakchott à la fin d'une chaude après-midi. Gwal et moi célébrons la fin de nos aventures communes sur la terrasse d'un restaurant, en dévorant un délicieux poisson grillé et en imaginant la suite de nos chemins respectifs. Même si je suis impatient de rejoindre Dakar, je consacre la journée suivante à l'exploration de la capitale.

Il règne dans la ville une ambiance très particulière, presque lunaire. Nouakchott, constamment recouverte d'un épais nuage de poussière, est composée de bicoques simplistes et clairsemées. Seuls deux ou trois banques siègent dans des immeubles relativement modernes d'une dizaine d'étages. Le jeune pays, qui a acquis sont indépendance de la France en 1960, est peuplé de moins de quatre millions d'habitants : les maures blancs, arabes ou berbères, et les maures noirs, descendants d'esclaves. Les hommes sont vêtus de l'inévitable khaftan bleu, tandis que les femmes sont drapées du melehfa, grand voile fortement coloré. Etant donné les conditions climatiques hostiles, les mauritaniens, peuple du désert, ont culturellement une vie sociale réduite. Pourtant, comme je déambule au hasard dans les rues, je découvre un marché bondé ; les commerçants sont assis au milieu de leurs marchandises, posées à même le sol. Puis je pénètre un souk couvert, où les yeux ronds des marchands me conforte dans l'idée que je débarque sur une autre planète.

Je file ensuite vers Rosso et la frontière, à bord d'un taxi-brousse, un vieux break en ruine, comprimé au milieu de huit autres passagers. Le fleuve Sénégal faisant office de frontière, dans la cohue, je suis pris en charge par un sénégalais très loquace. Comme le bac qui effectue la traversée est immobilisé, il m'aide à soudoyer quelques douaniers, afin de franchir le fleuve sur une pirogue, tel un clandestin, entassé au milieu d'une cinquantaine de passagers. En suivant, le garçon parvient à me soutirer 30 000 francs CFA (45 euros). Pourtant rompu aux arnaques en tout genre, je me laisse amadouer par l'incroyable débit du brigand. Je découvre, à mes dépends, de nouvelles règles du jeu. Mentalement exténué par quatre mois d'une intensité invraisemblable, j'ai grandement besoin de repos, et d'un ami. Vivement Dakar.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Jay, quelle traversée.. Pour beaucoup de theoriciens, le désert symbolise la quête, l'initiation. Il n'est qu'un passage a l'issue duquel la "terre promise" se trouve.. Je te souhaite des moments doux et réconfortants auprès de ton ami, au Sénégal, ta terre promise pour quelques temps. Bisous, ade

brice a dit…

30000 xaf pour une pirogue...Bienvenu en Afrique, Toubab. Ton passeur a gagné 1 semaine de travail avec un seul blanc.

"Ceux du Sud" considèrent que "ceux du Nord" qui traverse la mer de sable ont lavé leur esprit avec le vent et ne retourneront jamais plus sur leur pas.

La première leçon est de savoir si tu as autant de temps que celui avec qui tu négocies, pour bien négocier...M'Bolo p'tit frère et n'oublies de sortir avec ce qu'il faut.

Ce qui est vrai en tout cas, c'est qu'une fois touché à l'Afrique noire, tu n'en reviendras jamais entièrement.

le Jura a dit…

Enfin des nouvelles de notre Globe Trotter .Nous pensons beacoup à toi et te suivons avec grand interet , Prends bien soin de toi et des autres .Bisous des Augay du Jura

Anonyme a dit…

Nous te souhaitons une très belle journée d'anniversaire Jay ! Bises, ade & co

Anonyme a dit…

Bon anniversaire,
Biz
Flo

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