attachez vos ceintures


Mardi 31 décembre 2013 - 1172e jour




Soyons réalistes : à moins de posséder son propre voilier, naviguer dans le Pacifique relève de l’utopie. Sans conviction, j’ai placardé une petite annonce devant la marina de Nouméa ; sachant qu’en plus débute la saison des cyclones, autant jeter une bouteille à la mer.

Avant de partir pour « Djéhou », j’avais donc sérieusement étudié la voie des airs, et au retour, Philippe, toujours aussi serviable, m’accompagne en ville dans une agence de voyage. Quand nous en ressortons, j’ai dans la poche pas moins de cinq billets d’avion à bon prix. Des mois en arrière, mon vieux camarade et moi avions parié sur qui serait le premier à partir : cette fois c’est sûr, c’est moi qui gagne.

Comme j’ai refusé de partir 4 jours plus tard et que les vols suivants sont complets pour la fin d’année, j’opte pour le 1er janvier, une bonne date pour un nouveau départ. Soit, je suis en retard sur le planning puisque je serai finalement resté 8 mois au lieu de 6 en Calédonie, mais objectivement, mon séjour est un succès. J’ai pu remplir suffisamment la tirelire, en travaillant à mon rythme et à ma façon. J’ai su me contenter de conditions rudimentaires, en dépensant peu malgré la vie chère. J’ai soigneusement quadrillé le territoire, de la Chaîne au lagon, des forêts au maquis ; et j’ai également saisi ses enjeux sociétaux, au fil de mes incursions dans la ville occidentale et dans les tribus indigènes. Cette société bicéphale, dont les deux têtes se regardent à peine, entre dans une période charnière à l’issue incertaine : l’accession à l’indépendance, ou pas.




J’y ai fait de bien belles rencontres aussi. Tapi au fond de ma vallée, j’ai pu compter sur le soutien essentiel d’une poignée de sacrés personnages, aux personnalités si différentes mais toutes attachantes, aux trajectoires plus ou moins sinueuses. Si tout c’est bien passé ici, je le dois d’abord à ceux que j’ai rencontrés le tout premier soir, j’ai nommé Philippe et Phil. En campant tout l’hiver avec le premier, de 25 ans mon ainé, j’ai découvert que nous partagions de nombreux traits de caractère. Si d’entrée, j’ai pu me permettre de refuser un contrat de travail en bonne et due forme, c’est parce qu’il m’a offert de défricher son bout de jungle ; tâche ingrate pourrait-on croire, pourtant gratifiante à mes yeux sachant qu’elle contribuait modestement à la concrétisation de son rêve. Puis il me proposa de travailler avec lui sur divers chantiers, tout en me baladant un peu partout sur ce gros caillou qu’il connait comme sa poche. Je n’aurais pas pu trouver meilleur collègue, ni meilleur guide. Complice, j’ai pu suivre, voire accompagner, le cheminement qui le verra bientôt commencer une nouvelle vie, sa dernière selon lui : « voyager jusqu’à ce que mort s’en suive ». Je m’attends déjà à croiser sa barbe au détour d’un sentier, sur quelque montagne exotique.
Quant au second, il m’offrit d’abord un énorme sandwich, et le dessert fumant, alors que je descendais tout juste de l’avion. Garçon entier, sa grande gueule, d’où jaillit toujours une sincérité touchante, n’a d’égale que son grand cœur, qui déborde de générosité. Issus de la même génération, nous avons en commun notre jeunesse insouciante et déjantée, une certaine immaturité, et des valeurs. Au cours de nos soirées d’abord, comme autant de récréations, puis après qu’il m’ait offert l’asile au sein même de son foyer, nous avons noué des liens indéfectibles. « C’est la famille », comme il dit si bien avec l’accent des Corbières. Lui aussi, je l’ai suivi, soutenu même, dans ces moments périlleux de sa vie, devenu papa alors que son entreprise périclitait. Je suis heureux de partir en sachant qu’il a vaillamment remonté la pente. Je sais que j’ai toute l’estime de mes deux copains, et eux savent que c’est réciproque.



Aussi, je n’oublie pas l’apaisante compagnie de la douce Violette et de bébé Janis ; ni ce cher Christophe, tellement positif, qui m’a nourri tant de fois et qui, au poker, fut un adversaire coriace. Je n’oublie pas non plus les courtes semaines passées au camping avec Zoran, à la bonne humeur communicative ; ni les vains débats avec Christian, qui prouve qu’on peut être un poil réactionnaire tout en étant charmant ; ni les bons moments passé autour de Tony, toujours gai comme un pinson, de sa femme Vic, la petite rouquine, et de son compère Florian, apprenti voyageur de 20 ans. Enfin, je ne pourrais pas oublier l’hospitalité inconditionnelle de mes frères kanak lors de mes brèves incursions dans les tribus.



Avant mon départ, sachant que la prochaine marche est haute, je ne suis pas mécontent de disposer d’un délai supplémentaire. Maintenant que le compte à rebours s’est déclenché, tout devient clair dans mon esprit. Je sais où je vais, et j’ai même le luxe d’avoir un peu de temps ; je l’optimise en me mettant au repos complet, n’hésitant pas à me balancer mollement dans le hamac du matin au soir, où soi-disant je peaufine les derniers détails. Et puisqu’on approche de Noël, si j’en crois ces guirlandes dans les cocotiers des voisins, c’est surtout l’occasion de profiter encore un peu de cette joyeuse équipe, dans le respect des traditions françaises bien sûr. Entre Noël et le réveillon, auxquels s’ajoute mon pot de départ, les raisons de faire ripaille ne manquent pas, et les festins copieusement arrosés se succèdent avec bonheur.


Mais j’ai déjà un peu la tête ailleurs, focalisé sur le chemin forcément grandiose qui m’attend. Je signe pour une année entière ; la dernière, c’est promis. J’ai déjà planifié le premier quart de mon itinéraire sud-américain, mais avant d’atterrir à Buenos Aires, je m’en vais sillonner la partie occidentale de l’Océanie, le Continent Eau. Mon alléchant programme m’envoie d’abord vers le Nord, au Vanuatu, un chapelet d’îles encore sauvages ; puis plus à l’Est aux Fidji, autour de l’île principale ponctuée par quelques îlots paradisiaques ; cap au Sud enfin, vers les deux géantes néo-zélandaises, pour un grand huit dantesque de 7 semaines. A priori, je vais en prendre plein les mirettes, et autant dans les guiboles.
D’ailleurs les jours filent et voilà déjà le dernier jour de l’année. Je sens monter l’excitation, mais j’arrive à contenir le stress : je suis prêt, définitivement. Il ne reste plus qu’à ranger mes petites affaires dans mon vieux sac, et à trinquer une dernière fois à l’amitié.

















Messieurs dames, le décollage est imminent, veuillez attacher vos ceintures.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

tu resteras a tous jamais dans mon cœur,la larmessss est tombée...un jour on se reverra!!!!tu as ma paroles et si ta un probleme hesite pas meme si je suis perdu au milieu du pacifique!!
fil

Joel et Anne Marie a dit…

Meilleurs voeux pour 2014. Continues ton périple pour aller jusqu'au bout de tes rêves. Nous attendons toujours tes récits qui nous font voyager. Nous partons en Guadeloupe dans quelques jours mais ce sera plus calme....
Gros bisous de toute la famille

Flo a dit…

Bonne année Jay!
Enjoy ta (...semble-t-il...) dernière année de voyage :-)
Plein de bonheur et de belles rencontres, voilà tout ce que je te souhaite.
Bisous bisous
Flo

fil a dit…

j espere que ca va....f.

Jérome a dit…

Merci à tous d'être là. Meilleurs voeux à vous aussi.

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