des paradis pas si perdus



Lundi 17 février 2014 – 1220e jour


Bizarrement, depuis que je parcours le Pacifique, je n’ai que lézarder sur les plages ; D’ailleurs, la première partie de mon séjour aux Fidji fut principalement terrestre, et même si elle fut belle, je me réjouis, depuis le pont du navire qui m’emmène vers quelques îles isolées, que la seconde s’annonce nettement plus aquatique.

Comme j’ai arpenté la cité populaire de Lautoka pendant une journée entière sans parvenir à dégoter un moyen de transport local, je me résigne à faire comme tout le monde, en me rendant dans l’enclave luxueuse de Port Denarau pour embarquer sur l’un de ces fiers catamarans qui trimbalent chaque jour une quantité impressionnante de passagers d’une île à l’autre. C’est que l’archipel des Yasawa, qui dessine en pointillés une longue courbe dans l’océan, est composé d’une vingtaine de petites îles d’origine volcanique qui sont autant de joyaux éblouissants. Ouvertes au tourisme depuis une vingtaine d’années, elles abritent désormais des dizaines de resorts en tout genre, classieux ou plus rudimentaires. C’est bien sûr dans ces derniers que j’ai choisi de m’arrêter, et pour réduire encore les frais, je me contente de dormir sous ma tente, en ne me permettant qu’une seule et unique bière pendant ces 8 jours, et deux petites excursions, qui après négociations ne me coutent d’ailleurs pas un centime.




Le trajet de plusieurs heures, puisque je me rends d’abord au tout dernier arrêt, à l’extrême Nord, est déjà un bonheur en soi. C’est donc avec allégresse que je débarque sur une jolie plage de Nacula, magnifique terre au relief tourmenté et bordée de nombreuses criques baignées par les eaux turquoise du Pacifique. Cet établissement, géré par des locaux, ressemble plus à un village avec ses paillottes végétales et ses bungalows en bois. Et tandis que le staff essaie maladroitement de paraître professionnel, je partage de savoureux repas avec tous ces vacanciers, de jeunes européens pour la plupart. Insouciants, ils n’ont souvent pas conscience de la formidable chance de venir jusqu’ici, si loin de chez nous sachant que là-bas, les gens ont la tête en bas. La grande majorité n’a même pas connaissance de Viti Levu, la grande terre que l’on aperçoit pourtant à l’horizon ; comme si un touriste en Corse ignorait la France métropolitaine. Tant pis pour eux, mais l’ignorance devient vraiment navrante quand certains se comportent en enfants gâtés qu’ils sont, sans se préoccuper des coutumes locales : comme ces filles qui se plaignent d’avoir été mal accueilli au village alors qu’elles sont allées s’y balader en bikini, un scandale pour ces gens pudiques ; ou comme cet allemand arrogant, 20 ans à peine, à qui j’adresse 3 fois la parole et qui trouve le moyen de se plaindre à chaque fois, consternant.







Moi en tout cas, enchanté que je suis, je reste courtois avec cette jeunesse dorée en général fort sympathique, et je ne leur en veux pas pour leur futilité, j’étais pareil à leur âge, mais je préfère de loin fraterniser avec le personnel, ce qui me vaut quelques privilèges. Surtout, en restant régulièrement à l’écart, je me consacre à l’une de mes activités favorites, la contemplation. Pendant ces 4 premiers jours, je m’assoie sur la colline toute proche, en essayant d’identifier les îles qui s’égrènent à l’infini ; je sommeille dans un hamac à l’ombre des cocotiers, perplexe devant ces filles qui se tartinent de crème solaire pour s’allonger sous le soleil de plomb ; j’étudie sagement sur la terrasse en considérant cet improbable dégradé de bleu ; ou je fais de l’exercice dans la meilleure salle de sport possible, la plage, alternant entre le sable blanc ou les tièdes vaguelettes.




Aussi, même si je m’impose le repos en prévision de la suite du voyage, j’explore évidement les environs : les longues plages désertes, le littoral rocheux, les mangroves, et ces modestes montagnes très sèches ou ne poussent que de grosses touffes d’herbe. En effet, ces îles subissent un climat aride et la canicule est la norme. C’est d’ailleurs quand j’atteints le point culminant que s’abat la seule pluie de la semaine, diluvienne. Sans le moindre abri alentour et avec le camp à 2h de marche, je suis bon pour une grosse douche.




 

Puis par une belle matinée, moi et quelques autres nous faisons emmener sur l’île voisine pour découvrir un endroit somptueux, Blue Lagoon le bien nommé. La plongée masque sur le nez est déjà admirable, avec de jolis coraux mous en pleine forme et tous ces petits poissons zébrés très curieux, mais c’est surtout le décor, d’une beauté irréelle, qui vaut le déplacement.



Avant de quitter Nacula, je ne me prive pas d’aller saluer les villageois, en évitant soigneusement la visite guidée avec mes collègues et leurs gros sabots. Je suis évidemment très bien accueilli par ces gens simples, qui se contentent avec bonheur de pêcher ou de soigner leurs jardins. Et inévitablement, je reviens en coupant par la broussaille, suant sang et eau, littéralement.









Puis je me joins à nouveau au ballet du grand catamaran pour redescendre vers le Sud et l’île minuscule de Waya Lailai. C’est l’énorme rocher qui la domine qui a attiré mon attention, de même que le fait que la structure d’accueil soit gérée collectivement par les habitants. Et ceux-ci sont particulièrement affables : là où il m’avait fallu plusieurs jours pour sympathiser avec les employés à Nacula, je suis ici instantanément adopté, probablement parce que je me sens plus proche d’eux que de mes congénères. Ainsi, apprenant que je campe, le cuistot m’offre de dormir dans le dortoir réservé au personnel, à moitié en ruine. La première chose à faire est une évidence : je m’empresse d’escalader ce caillou. De là-haut, la vue panoramique est étourdissante. Là encore, sans aller jusqu’à participer aux jeux débiles, je fais bonne figure avec les autres touristes. En général, je reste plutôt discret sur mon odyssée, mais ici, tout le monde voyage pendant plusieurs mois, alors les conversations tournent immanquablement autour du sujet. A chaque fois que vient mon tour, ma réponse claque : plus de 3 ans à travers 44 pays sur 4 continents. Je m’amuse d’observer la réaction sur les visages, entre étonnement, admiration, ou incrédulité, je réponds poliment à quelques questions, puis je retourne dans mon coin, définitivement plus complices avec mes amis fidjiens. Puis je reprends avec bonheur mes activités oisives jusqu’à cette nouvelle sortie. Je suis moi-même le fier capitaine de la barque qui emmène le groupe jusqu’à un immense récif, immergé à une dizaine de mètres sous la surface. La richesse de la faune et de flore est incroyable, mais le clou du spectacle sont cette dizaine de requins pointes blanches, jusqu’à 1m50, qu’un plongeur excite avec de la nourriture et qu’on parvient même à frôler. Ils ne sont pas dangereux, mais l’expérience donne de sacrés frissons.





  

Et puis pour mon dernier jour dans ce paradis, j’entreprends de contourner tout le littoral, en grimpant sur les rochers ou les pieds dans l’eau. Bien des heures plus tard, j’arrive jusqu’à une étonnante langue de sable qui me permet de passer sur une autre île, avant de passer un long moment dans le village. On m’offre d’abord de partager le repas des écoliers, on m’invite moult fois à boire le thé, affalé sur le sol, jusqu’à ce que je rencontre un notable. Cet homme débonnaire et néanmoins perspicace est celui qui a lancé le resort où je séjourne. Il m’explique longuement le laborieux démarrage et la lente évolution jusqu’à ce que le business soit bien rodé. C’est avec lui que je retourne de l’autre côté, à bord d’une barque, le transport en commun local.




Me voilà donc adapter à la vie des Yasawa, puisque je retourne à la civilisation en canot encore, trois fois moins couteux que le gros bateau, même si pendant la traversée avec les poubelles, le beau temps succède à la pluie au moins dix fois. Je sors de cet archipel de rêve comblé, tout bronzé, et parfaitement reposé. Je suis donc fin prêt pour m’envoler vers un très gros morceau : rien de moins que la Nouvelle-Zélande.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Hello Jay, merci pour ce nouvel épisode. La prochaine fois que tu vois un plongeur exciter un requin avec de la nourriture, arrête le STP ! Tout cela est contre-nature et ne fait que conditionner le comportement des poissons (et des requins) pour un numéro de "cirque" pour procurer des émotions à des touristes. Et invite le à réfléchir sur notre place dans la nature et sa beauté sauvage. Bisous -- ade

Jérome a dit…

Salut Ade,
Désolé, je sais que tu aimes beaucoup les requins, mais on peche des millions de poissons chaque jour, alors jouer avec quelques uns sans meme leur faire de mal, ca ne me semble pas bien grave.
Surtout que le gars qui fait ca est 100 fois plus proche de la nature que nous, et lui fait 100 fois moins mal.
des bises a toi et a Louise.

Anonyme a dit…

Mouais... Perso, je ne cautionne pas des faits parce que d'autres font pire ou alors très bien par ailleurs. Tout cela n'est qu'une question de cohérence et de discipline personnelle. Mais bon, chacun fait ce qu'il veut. A +

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