mardi 4 novembre 2014 - 1480e jour


A l'aube, un bébé sonne le clairon. On dirait qu'il est bien renseigné car, par la fenêtre, apparaissent au loin les dizaines de building de Goiania. Nous stoppons dans une immense gare routière doublée d'un vaste centre commercial très moderne, mais je n'ai que le temps de boire un café et de fumer une clope avant de signer pour quatre heures de plus. Cette fois ca y est, Brasilia est en vue ; je boucle enfin ce trajet interminable de 50h reparties sur quatre jours (pour 170 euros de transport). Dans cette belle station de bus au design contemporain, je téléphone à mon hôte, que j'entends mal. Je vais vers le centre en métro et je ressors au beau milieu d'une ville de science-fiction. Je demande mon chemin avant de me diriger vers le ministère où mon futur ami travaille mais nous nous sommes mal compris et je suis en retard. Je me bats avec une cabine téléphonique quand Ciro surgit derrière moi. Comme j'ai raté mon rendez-vous avec cet élégant métis, costard et lunettes sur le nez, il vient m'en donner un autre pour 17h45 avant de repartir au bureau.




Me voilà donc au coeur de la capitale fédérale, qui se classe parmi les plus grands travaux du 20e siècle. En 1955, le nouveau président Kubitschek décide de bâtir, à partir de rien, une nouvelle capitale. L'urbaniste Lucio Costa imagine un plan en forme d'oiseau et l'architecte Oscar Niemeyer dessine les bâtiments. Les travaux pharaoniques avancent à un rythme soutenu, si bien que l'inauguration a lieu dès 1960. On a donc « inventé » une ville, sortie de nulle part en un temps très court, déjà peuplé par 100 000 personnes. Incroyable, un ovni à l'échelle de l'humanité. Aujourd'hui bien sûr, le plan pilote initial est largement débordé par plus de deux millions et demi d'habitants, mais il a été rigoureusement respecté. Moi qui aime faire les choses avec méthode, je suis subjugué par cette agencement strict, fonctionnel avant tout. Au fond de la monumentale avenue des ministères, tous identiques, se dressent les hautes tours jumelles du Congrès ; une pour l'Assemblée et une pour le Sénat, symbolisés par un dôme et une coupole. Elles dominent la place des Trois Pouvoirs, puisque les très stylés Palais Présidentiel et Cour Suprême s'y font face. J'entre dans le discret bureau d'informations touristiques, où je discute en francais avec un employé, puis je sors du complexe officiel pour aller déjeuner dans un restaurant d'un quartier voisin. Puis je reviens flâner sur la place, au milieu de cette architecture à la grâce intemporelle. Je visite deux petites bâtisses : l'une aux formes galbées, qui renferme une unique peinture, démesurée, glorifiant les pionniers bâtisseurs ; l'autre souterraine, invisible depuis l'extérieur, qui présente une grande maquette de la cité. Alors que je m'apprête à sortir, un terrible orage éclate soudain. Je ressors plus tard pour aller tranquillement à mon rendez-vous. Une fois sur place, je me rends compte que j'ai trois quarts d'heure de retard, encore. J'ai du mal comprendre l'heure, surtout que mon horloge interne est déréglée avec deux fuseaux horaires différents en deux semaines. Je rappelle Ciro d'une cabine : plus de crédit ; j'emprunte un portable et il m'explique être parti à l'université donner un cour. Désolé et pas de problème réponds-je, j'ai le temps d'ici là de trouver le campus et le département des relations internationales.







D'ailleurs j'y vais à pied en traversant l'aile Nord du plan pilote, ce qui doit me prendre deux bonnes heures. Bien sûr le campus est très vaste mais grâce aux indications des étudiants anglophones, je parviens à trouver l'endroit. Je parcours alors plusieurs bâtiments pour essayer d'apercevoir mon ami, sans succès ; je m'assieds donc dans une cafeteria d'extérieur en grignotant et en organisant ma journée de demain. A 22h, je taxe un portable et retrouve enfin Ciro qui me conduit chez lui. Il habite dans les cités résidentielles imaginées par Costa et Niemeyer dans les ailes de l'oiseau, où il occupe, dans une barre d'immeubles, un grand appartement qu'il partage avec quatre autres personnes. Vue l'inflation (200 euros pour sa chambre), la colocation est très répandue au Brésil. Ciro, 29 ans, est donc fonctionnaire au ministère des sciences et technologies, ce qui lui assure un salaire confortable. Issu de la classe moyenne, il m'a l'air d'être un gentil garçon, très cultivé, qui parle pas moins de six langues dont un bon francais, et passionné de géopolitique. Pendant que nous bavardons, les autres occupants passent dire bonjour ; Ciro m'avoue qu'ils n'ont que des relations cordiales, rien de plus. Et puis une très charmante petite togolaise se pointe à son tour. Comme je connais son pays, nous discutons longuement tous les deux. Elle a du mal à comprendre qu'on puisse voyager si longtemps, et moi je me demande bien comment une fille de Lomé de 22 ans peut venir étudier au Brésil. Je n'en saurais pas plus mais cette fille est brillante : elle a un avis éclairé sur son continent. Ca m'a fait très plaisir de parler à une si jolie africaine. Enfin, il se fait tard et Ciro et moi avons eu une longue journée. Lui s'écroule dans son lit encombré de bouquins et moi je déplie une petite banquette amplement suffisante.

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