mercredi 12 novembre 2014 - 1488e jour




Je me souviendrai longtemps de cette interminable journée, probablement ma dernière escapade en terre sauvage, qui fut autant épique que catastrophique. Tout avait pourtant bien commencé : après 10 km en bus, je descends dans un petit village, que je traverse pour attaquer la pente de l'autre côté. J'évolue d'abord dans une jolie forêt assez dense en suivant un sentier pas évident, ce qui m'amuse. Je gravis ensuite une première grande colline ; j'admire le paysage et étudie le terrain. Je redescends dans une vallée encaissée et remonte pour longer une impressionnante falaise à pic. De là, le relief s'accentue encore et mon regard est aimanté par une étroite cassure dans une énorme barre rocheuse. Le temps de descendre encore, de franchir un ruisseaux en sautillant sur les cailloux et d'escalader la pente, je m'infiltre effectivement dans la faille. Je découvre alors une zone très sauvage et très accidentée, émaillée de rochers gigantesques aux arêtes acérées. C'est vraiment superbe et comme le soleil, qui est aussi ma montre, est caché derrière les nuages, j'en oublie le temps qui passe.



























Au détour d'une énième hauteur je me trouve en face de ces deux monolithes monstrueux qu'on observe à l'horizon depuis Ouro Preto. D'ailleurs la ville est bien là où je l'imaginais, tout là bas en contrebas, mais pour la rejoindre c'est une autre paire de manches. Je commence par descendre une ravine, ce qui s'avère vite impossible ; idem de l'autre côté, ce massif est bien trop radical. Arrivé tout au bout du plateau, je déplore l'immense détour nécessaire, sans garantie qu'il ne soit pas trop difficile. Non vraiment, c'est trop loin, le mieux que je puisse faire est de retourner sur mes pas, m'aime si je n'aime pas l'idée. Pendant ce temps, le ciel s'est fait menaçant et ce qui devait arriver arrive : un orage terrible éclate tout près, juste au dessus de ma tête, doublé d'une averse extrêmement violente. Je suis déjà bien mouillé quand je trouve refuge sous une roche pointue. La violence de l'orage monte encore d'un cran, le tonnerre est les éclairs sont tout proches et la pluie redouble ; c'est l'apocalypse. Le vent s'en mêle, soufflant la pluie sous mon caillou et l'eau jaillit entre mes pieds. Alors je cours sous ce déluge dantesque afin trouver un meilleur abri sous un gros rocher couché. L'endroit est au sec mais moi, je suis complètement détrempé de la tête au pied. Evidemment je me gèle et en serrant les dents, je compense en faisant longuement des exercices de gainage. L'orage n'en finit pas et pendant tout ce temps, tantôt je rigole, tantôt je hurle toutes les insanités que je connais.


Après peut-être deux heures, la pluie cesse enfin. Je sors de ma grotte et même si je suis en plein dans les nuages, je devine que le jour touche à sa fin ; et je suis loin, très loin de mon point de départ. Alors je cours, je cours tant que je peux avec la nuit à mes trousses. Le terrain est détrempé mais je m'en fous, je cours, je chute deux fois et me relève, je cours encore, sans distinguer les montagnes cachées par un épais brouillard. Quand je reconnais le paysage, je me rends compte que je suis allé trop loin. Au crépuscule, je rejoins la forêt sombre et le sentier légèrement plus clair qui s'y enfonce. Je le devine encore alors j'avance aussi vite que possible, en tombant encore plusieurs fois. Soudain, plus de sentier : j'erre à tâtons dans le sous-bois. Ce que je redoutais arrive bel et bien, me voilà perdu dans l'épaisse forêt, dans l'obscurité, une situation aussi ridicule que périlleuse. Le seul point positif, c'est que j'aperçois les lumières du village en bas, mais il n'est pas à côté. J'atterris ensuite dans une zone plus humide, peuplée d'une multitude de plantes aquatiques qui m'enserrent les jambes, les bras et le torse. Et voilà que je me bats littéralement avec la nature dans le noir complet ; on aura vraiment tout vu. Et je dégringole le lit d'un torrent encombré de très grosses pierres. Je poursuis un moment les pieds dans l'eau jusqu'à ce que je devine une descente verticale trop haute pour que je m'y engage. Alors j'escalade la paroi en m'accrochant à la végétation pour m'extirper du torrent. Je suis épuisé, j'ai faim et j'ai soif, mais je garde en tête que je dois me sortir de là coûte que coûte, et que la blessure est interdite. Stupide et immature d'accord, mais costaud aussi.



Beaucoup plus tard, comme en l'air le ciel est un peu moins noir que les arbres, je retrouve le sentier emprunté ce matin. C'est donc ce fil d'Ariane gris foncé que je suis en tâtonnant devant moi. Plusieurs fois, je pose le pied en dehors et je glisse d'un mètre ou deux, freiné dans ma chute par toutes les plantes. Je sais que la fin est proche quand je longe ce tuyau blanc, mais soudain il file au dessus d'un creux. Je reviens en arrière, tente de deviner un passage dans les bois sombres, avant de décider de descendre d'un étage en escaladant deux ou trois mètres. Sur une étroite plate-forme, cramponné à un arbre, mon pied ne trouve pas le sol. Je jette une branche dans le vide : le bruit m'indique dix mètres au moins, il faut remonter. Je perds un temps fou pour découvrir finalement qu'une planche invisible, un pont de fortune, longe le tuyau. A partir de là, je ne perds plus le chemin et finit par me sortir de ce calvaire. Je jure par ma Terre-Mère que ce genre de conneries n'arrivera plus : terminé, c'était la dernière fois, il va falloir grandir maintenant.



Au village, j'apprends qu'il est 22h30, voilà donc treize heures que je marche, dont presque la moitié en mode commando. Exténué, lessivé, trempé, tout sale et griffé de partout, j'entre dans un bar où trois gars regardent un match de foot. J'achète un coca, qui pique ma gorge sèche, et taxe une cigarette puisque les miennes sont en bouillie. Puis je remonte jusqu'à l'arrêt de bus où j'arrive pile à l'heure, à la seconde près. Quand je rentre enfin chez Fabio, il se précipite vers moi. Il a vu un gros orage sur les montagnes au loin, et il s'est beaucoup inquiété, au point d'appeler les pompiers. Penaud, je m'excuse avant d'entrer tout habillé sous la douche chaude ; un grand bonheur. Puis mon hôte a la bonté de payer son dernier joint tandis qu'il n'en revient pas de mon histoire invraisemblable. Malgré l'heure tardive, il nous prépare ensuite un bon dîner, que je dévore, arrosé d'un verre de caïpirinha, le fameux cocktail brésilien. Nous nous couchons finalement vers 2h, sachant qu'il va falloir se lever à 6h puisque nous partons tous les deux de bonne heure. Je vais me rappeler longtemps de cette journée ; une sacrée leçon, une de plus.




3 commentaires:

Cara a dit…

Quelle histoire ! Qui aurait pu mal finir...

Jérome a dit…

Hey Joanna ! Je suis content de voir que tu es toujours là...
T'inquiètes pas, je me souviendrai de ce jour, encore une bonne leçon.
C'était assez dur, mais finalement pas si dangereux.
Et toi, t'as déjà essayé de marcher en forêt les yeux bandés ?

Cara a dit…

Eh oui, ton blog était toujours dans ma liste de lecture. J'ai zappé pas mal des très longs articles, mais je suis de retour ;)
Ah non, la forêt yeux bandés, je crois que je préfère éviter :p

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