samedi 2 février 2013 - 841e jour


Quand je préparais mon tour d’Asie, du balcon avec vue sur la mer chez Ben et Karine, à la Réunion, j’avais marqué Malacca d’une croix rouge. Fondée en 1400 sur l’embouchure d’une rivière, les premiers sultans malais surent tirer profit de sa position stratégique, sur les routes maritimes entre l’Inde et la Chine, pour en faire l’une des cités les plus prospères et les plus cosmopolites du continent. Au fil de guerres incessantes, elle a aujourd’hui perdu sa splendeur d’antan, mais est toujours restée une ville dynamique ; surtout elle explique magnifiquement les origines complexes de la Malaisie. En arrivant dans le vieux centre en fin de matinée, je comprends instantanément pourquoi elle est classée au patrimoine mondial : à tous les coins de rue, ça sent l’histoire à plein nez. Dans une vieille maison bourgeoise refaite à neuf, je marchande une chambre sans fenêtre de 5m2, puis je débute sans attendre un fabuleux voyage dans le temps ; dans un endroit pareil, je suis comme un gosse à Disneyland. En tentant de respecter l’ordre chronologique, je visite d’abord la réplique du Palais du Sultan : la longue bâtisse en bois sombre est superbe, et grâce à des mises en scène élaborées, elle montre judicieusement la vie d’alors. Converti par des prêcheurs musulmans peu après s’être établi ici, le souverain mit en place une politique d’ouverture et des règles douanières équitables. Ainsi, des marins d’Arabie, de Chine et des Indes, mais aussi de Birmanie, du Siam ou de Java, y négocient toute sorte de biens ; or et pierres précieuses, soie et parfums, épices, tapis et porcelaine…On en retrouve jusqu’à Venise. A l’époque, on compte alors jusqu’à 84 langues parlées, et des centaines de navires mouillent dans le port. En sortant, j’examine les vestiges de pierre de la forteresse A Famosa, édifiée par les portugais. Déjà présents à Goa, ils viennent à bout de la vaillance des malais et s’emparent de la cité en 1511. Néanmoins, ils imposent des règles douanières qui détournent peu à peu les marchands. Ils coiffèrent le sommet de la colline de l’église Saint-Paul. Elle aussi est mal en point, mais de là-haut, on aperçoit l’océan turquoise : plus de jonques, ce sont désormais des tankers qui croisent au large. De l’autre côté, on revient sur la jolie place centrale, ses grands arbres, sa fontaine, et ses antiques bâtiments tout rouge. Outre une autre belle église, se dressent les quatre étages du Stadthuys, le bâtiment administratif des Hollandais. Ceux-là prennent le pouvoir à grands coups de canons en 1641, mais eux aussi imposent des taxes trop élevés. Même si la ville s’étend, le trafic diminue encore. La suite des événements m’est contée à bord de la Flora de la Mar,  la copie grandeur nature d’une caravelle de naguère. Sous l’angle de la mer, les faits deviennent limpides. Bloqués par l’infranchissable Himalaya, les échanges se font en contournant toute l’Asie, au gré des vents de mousson et des batailles navales. A la fin du 18e siècle, les hollandais devant en découdre avec Napoléon en Europe, ils cèdent temporairement Malacca à la couronne britannique. Comme prévu, elle leur est rendue en 1819, mais les anglais, désormais maîtres de la région, ont pris soin de détruire ses défenses. Ils la récupèrent donc sans combattre cinq ans plus tard. Mais l’Empire est vaste et le port, qui continue malgré tout son développement, n’en est plus qu’un parmi d’autres. Enfin, à l’indépendance, au milieu du 20e siècle, le sultanat intègre la nouvelle fédération. Remis de mes émotions, je ressors dans la soirée. Les festivités du nouvel an chinois, pourtant dans une semaine, ont déjà commencé. Au bout d’une rue noire de monde, on a dressé une grande scène, copieusement illuminée et sonorisée. devant une assistance conquise, une petite cantatrice en tutu et un ténor en costume clignotant rivalisent de mièvrerie en chantant des tubes de pop chinoise. Plus loin, alors que je me régale au hasard de dizaines de stands, des rickshaws abusivement décorés de fleurs et de guirlandes promènent les touristes : l’autoradio balance l’obligatoire Gangnam Style, que j’entends pour la millième fois au moins.




















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