vendredi 1er février 2012 - 840e jour


De bonne heure, je fais mes adieux à ma petite japonaise avec une paire de bises à la française, puis je file en métro vers la gigantesque gare centrale. Mais avant, je dois récupérer ma nouvelle carte bleue au bureau de poste. Il est censé être tout à côté, mais la zone est en travaux. J’ère donc un bon moment avant d’apprendre que je dois retourner tout près de Chinatown. J’y vais à pied en grognant, et je me casse le nez sur la porte fermée : aujourd’hui c’est férié, me voilà coincé jusqu’à lundi. Après deux bonnes heures sac au dos, je retrouve le même lit dans le même dortoir, franchement agacé. Heureusement, Ayumi et sa copine Jo parviennent à me dérider. Je les suis longuement dans les rues commerçantes et les galeries d’artisanat ; à cette vitesse, j’ai tout le temps de m’attarder sur les détails de la vie des gens. A midi, finalement détendu, je discute avec Jo, infirmière philippine installée ici, qui me raconte son pays, cet archipel gigantesque que je ne verrai pas : un peuple de la mer de 100 millions d’individus qui occupe 7000 îles tropicales. Puis les filles me laissent, Ayumi s’ envole dans l’après-midi. Si je me rappelle bien, je n’ai subi aucun contretemps depuis la série noire de Dar-es-Salaam, un an déjà, ce qui est déjà un petit exploit. Je n’ai pas l’intention de rester trois jours de plus ici et il me reste suffisamment de liquide : je partirai donc demain « en week-end » pour voir enfin Malacca, à deux heures de route seulement, pour revenir mardi. En somme, tout va très bien. Je récupère un peu en faisant une bonne sieste aux heures les plus chaudes. Après la douche, je me permets donc d’en griller un petit dans un coin discret, donné par ce bon David à Kuala Selangor. D’ordinaire, je fonce la tête dans le guidon, mais quand je fume, ce qui reste très rare, je parviens mieux à prendre du recul. En ressortant mon atlas, ma bible, je mesure pour la première fois depuis longtemps le chemin parcouru : époustouflant et le mot est faible, mais j’ai encore du souffle. Aussi, je relie mes premiers textes à la Ronde : je n’ai que peu dévié de mon « hypothétique itinéraire » : mon rêve fou prend forme, une forme de courbe astronomique. Surtout, « tel est ma devise » disais-je en octobre 2010 : j’assume pleinement, sereinement, elle n’a pas changé d’un iota. Je retourne alors rêvasser sur mon lit, mais je ne dors que d’un œil, pour mieux écouter en secret une longue discussion. Un jeune italien, qui vient d’arriver, rencontre monsieur Chong, le coréen de 60 ans. Le garçon connait la culture et l’histoire de la Corée sur le bout des doigts, et il pose des questions très pertinentes. Sur un ton hésitant, le vieux raconte sa jeunesse avec son cœur, lui est qui est né au beau milieu de la guerre civile. Je profite là d’une leçon extraordinaire. Je me lève et je me présente au jeune homme, la trentaine. Pour la seconde fois en trois jours, je rencontre quelqu’un qui a visité plus de pays que moi, pas moins de 84 au compteur. Paolo travaille dans son pays deux ou trois ans d’affilé, pour partir une année entière sur un continent. C’est aussi un étudiant du Monde très sérieux, bien plus que moi, du genre premier de la classe. Mais il me reconnait un avantage : faire le tour complet, d’un seul coup. C’est passionnant mais j’ai faim, et il est déjà 22h. Dans un fast-food au décor formaté, je regarde le défilé coloré de la population. En sortant, une grosse averse s’abat sur le béton. Tandis que les gens s’abritent sous les arcades, je m’en contrefiche ; je pars sous le déluge en sautillant entre les flaques.


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