mardi 30 octobre 2012 - 746e jour


Ce jour, un lundi parait-il, est mon dernier en Inde. J’ai encore voyagé en train, mais cette fois en première classe, la dernière disponible. J’ai donc bien dormi sur ma couchette, dans un grand compartiment de quatre, presque spacieux, doté d’une porte et de volets qui ferment. Sur des milliers de kilomètres du réseau ferroviaire, une institution en Inde, j’aurais tout vu. Sauf que quand les trois vieux se réveillent, j’ai droit aux bavardages, aux gargarismes retentissants, aux allers retours au lavabo. Forcément réveillé, je m’active moi aussi. Je me chausse en évaluant la journée de route qui m’attend, une frontière au milieu. J’ouvre la porte : nuit noire. Il n’est que cinq heures du matin, encore deux heures avant l’arrivée… Une gare et un bus plus loin, je marche les derniers kilomètres à pied, en dépassant des dizaines de camions arrêtés, flanqué d’une jeune chinoise rigolote et de deux polonaises éreintées par une semaine sous les regards appuyés des indiens. Exactement sous le panneau, comme d’habitude, je saute à pieds joints : 33e pays.

Six semaines en Inde, ce fut franchement crispant mais aussi terriblement excitant. Ce fut si enrichissant et intense que je secoue la tête et me pince pour y croire. J’ai beaucoup trop à raconter sur ce pays gigantesque qui rassemble un cinquième de l’humanité, alors je résume en quelques mots : les épices du masala, les couleurs flamboyantes des saris, la foi et la fête qui l’accompagne, la fourmilière des foules, la fierté d’une culture unique bien que multiple, un patrimoine historique foisonnant, et aussi la saleté et la pollution, des négociations ardues et des rencontres bigarrées, le chai et les chapatis, les rickshaws et les klaxons hurleurs, et puis les vaches dans les rues bien sûr. Pas le temps de souffler, le Népal m’attend, petit pays des plus montagneux, très pauvre et très rural, peuplé de 3o millions de gens.

Après les formalités douanières, les pauvres polonaises repartent pour dix heures de car vers Kathmandu, de même que la jeune chinoise qui choisit sa destination en jetant une pièce. Quant à moi, je suis presque arrivé : après un court trajet vers la ville frontalière, je m’éloigne de cette route poussiéreuse à bord d’un de ces vieux minibus cubiques ; il faut croire que les gens d’ici prennent moins de place que leurs voisins. Evidemment, beaucoup sont d’origine indienne dans le coin, mais je distingue facilement les traits de montagnards des népalais de souche : le teint un plus clair, les yeux en amande, les pommettes relevées, et pour les plus vieux, un bonnet de laine cylindrique et le visage fripé. Dehors, il y a surtout des rizières blondes, et des arbres, dont des bananiers, des manguiers et quelques palmiers. Il y a donc bien un Népal tropical. Au fond, vers le Nord, on aperçoit une première ligne de montagnes encore luxuriante ; au-delà, loin, très loin, je distingue à peine des pics enneigés : me voilà au pied de l’Himalaya, le toit du Monde. Je débarque dans un tout petit village et j’avance dans l’unique rue de terre. Il y a bien quelques modestes hôtels en béton, mais la plupart des petites maisons sont construites en bambou enduit de terre et couvertes de chaume. Dans les champs, les paysans récoltent le riz avec des outils d’un autre âge. La quiétude et l’air pur sont un vrai bonheur. Il est déjà 16h, je pose mon sac dans une humble pension familiale et je pars dans un jardin dévorer mon premier repas de la journée, cuisine népalaise bien sûr. Plus tard, dans ma chambre, je révise mon programme de 17 jours. J’ai tout simplement prévu de passer par les quatre sites classés au patrimoine mondial : le lieu de naissance de Bouddha, une vaste forêt protégée et sa faune ensuite, puis la vallée historique du Royaume et sa capitale contemporaine, et pour finir, quelques jours en contrebas du massif de l’Everest ; palpitant.


 

1 commentaire:

Eric Courtemanche a dit…

Captivant ! Fascinant ! Passionnant !
Difficile de décrire ce que je lis depuis quelques jours !
Non seulement, le voyage semble extra-ordinaire mais ta narration en est tout simplement admirable !
C'est un véritable plaisir de lire le récit de cette odyssée initiatique !
On ne peut qu'attendre la suite !

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